Pavlov's Dog
Pampered Menial
Produit par Sandy Pearlman & Murray Krugman
1- Julia / 2- Late November / 3- Song Dance / 4- Fast Gun / 5- Natchez Trace / 6- Theme From Subway Sue / 7- Episode / 8- Preludin / 9- Of Once And Future Kings
Théorie de Pavlov
Expérience de laboratoire (1) : prenez un petit rocker lambda et isolez-le dans un milieu aseptisé et silencieux. Il va rester morose et prostré. Diffusez simultanément un parfum de houblon et un gros riff de guitare au son saturé. Le sujet va aussitôt s’humecter les lèvres tout en manifestant divers signes de jubilation. C’est le principe du réflexe conditionné : le stimulus neutre (SN) entraîne une réponse conditionnelle (RC) provoquée par la mémorisation de l’association avec l’autre stimulus.
C’est à cette théorie que Pavlov’s Dog a emprunté son nom.
Un mystère rock
Comme les rares photos du groupe montraient des silhouettes humaines indistinctes, perdues dans une forêt d’arbres immenses, les premiers chroniqueurs de nos contrées ont parlé d’un groupe canadien.
Or Pavlov’s Dog, originellement formé par Mike Safron, batteur désœuvré de Chuck Berry, provenait du Missouri, un état situé entre le Kansas (de Kansas, le groupe) et l’Illinois (de Styx). Un cousinage qui fait référence. Et pas seulement aux oreilles des géographes.
Mais ce n’est pas là que réside le mystère rock...
Même si le dossier est peu documenté, Pavlov’s Dog avait eu la riche idée de signer avec deux firmes de disques. Si fait que Pampered Menial a été édité presque simultanément par ABC (en avril 1975) puis par Atlantic Records (en juillet 1975) sous deux pochettes légèrement différentes (2). C’est le seul album connu qui ait été classé deux fois (sous les deux labels distincts) dans le Billboard.
La version d’Atlantic Records vaudra au groupe un premier disque de platine.
Ceci explique pourquoi l’album est parfois référencé sous deux dates de publication différentes. Mais ce n’est pas là non plus que réside le mystère rock...
Au printemps 1975, dès que le single "Julia" s’est glissé dans les play-lists des (très) rares radios d’alors qui diffusaient nocturnement la musique du Diable, c’est la voix, totalement inédite, qui a le plus prêté à controverses et élucubrations. Certains pensaient que ce chant "elfique" résultait de la synchronisation parfaite d’une voix d’homme et d’une voix de femme, enregistrées à l’unisson. D’autres avançaient qu’il s’agissait de mélodies synthétiques produites par un ordinateur (3).
Une voix de fausset parfaitement surréelle .
La vérité était beaucoup plus simple et plus étrange à la fois. Ce chant, perché dans la stratosphère, était naturellement modulé par les cordes vocales de David Surkamp, concepteur, leader et principal compositeur de Pavlov’s Dog. Il chantait et chante encore vraiment comme ça. J’ai eu l’occasion de le rencontrer et de l’entendre. J’admets que c’est pour le moins curieux mais c’est bien lui (et seulement lui) qui produit ce son venu d’ailleurs (4).
Mais ce n’est pas là non plus que réside le mystère rock…
La vraie (et seule) question est : comment un groupe, porté par tant de fées bienveillantes sur les fonts baptismaux, a-t-il pu exploser en plein vol après deux albums aussi parfaits qu’inattendus (5) ?
Don ou malédiction
David Surkamp a hérité d’une tessiture à nulle autre pareille et d’une capacité (sur)naturelle à composer des mélodies délicates et extraordinaires. Mais son destin va démontrer qu’il n’était pas forcément né sous une bonne étoile.
Pampered Menial emprunte à la musique européenne les influences qui ont marqué tout le courant pomp-rock américain des seventies. A titre d’exemple, l’excellent instrumental "Preludin" pourrait figurer sur n’importe lequel des cinq premiers albums de Kansas, comme le sublime "Julia" aurait pu être composé par la plume stygienne de Denis DeYoung.
Il manquera trois choses à David Surkamp : la capacité de "flairer" l’air de son temps (qui allait bientôt faire basculer la musique dans une autre dimension), le sens de la communication et un peu de cette énergie rock qui musclait la musique de ses contemporains.
Surkamp s’est toujours obstiné à composer – avec un talent incommensurable – un Adult Oriented Rock charmant et romantique mais immédiatement désuet. S’il avait pu compter sur un partenaire plus radical (comme James Young chez Styx) pour varier son propos ou sur un entourage plus éclairé pour canaliser ses efforts, le gaillard aurait explosé tous les compteurs.
Mais, avec des "si", Dunkerque se situerait dans le Massif Central et, durant le carnaval de Clermont-Ferrand, les édiles jetteraient des harengs aux manants depuis leurs terrasses.
Serviteur choyé
Symbole de fidélité, le chien de la pochette est suffisamment dodu pour témoigner du fait que ses maîtres le nourrissaient en abondance. Probablement en récompense de sa garde attentive et aimante.
En s’entourant dès son premier album de l’équipe de production du Blue Öyster Cult – Murray Krugman et Sandy Pearlman –, Pavlov’s Dog place très haut la barre de l’excellence. Le son complexe et très riche du septuor (6) est magnifiquement capté. Pampered Menial a les allures d’une œuvre parfaitement mature, d’un aboutissement.
Le plus fascinant est que la voix de Surkamp a souvent estompé ses inestimables talents de songwriter. Influencé par les constructions mélodiques de Jean-Sébastien Bach et de Frédéric Chopin (qui lui avaient été enseignées par sa grand-mère pianiste), le bonhomme est capable de distiller des émotions d’une subtilité rare et d’une belle humanité.
On pourrait lui reprocher la légèreté de ses textes. Il est vrai que la poésie adulescente des lyrics (7) reflète une âme, probablement un peu naïve ou complexée, qui recourt au romantisme pour masquer ses fantasmes sous une versification cryptée. La brève discographie de Pavlov’s Dog est en effet truffée de poèmes évoquant des amours rêvées et/ou des femmes inaccessibles (8).
Si la beauté surannée de Pampered Menial rend l’album intemporel, elle ne permet pas, à l’inverse, de l’ancrer dans son temps. Le septuor propose une musique romantique, extrêmement sophistiquée et délicatement rehaussée de parfums médiévaux, qui, en 1975, appartenait déjà un peu au passé (9).
"Julia" est le seul single évident mais l’opus ne compte aucun filler. Les neuf titres forment une œuvre cohérente, inattendue, passionnante et foisonnante, où les passages aériens côtoient des instants plus furieux. Pampered Menial s’inscrit dans la riche mouvance de Equinox (Styx) et Masque (Kansas). Avec une petite pointe de romantisme ajouté. Et une voix baroque...
Très subjectivement, mes préférences vont à "Song Dance", "Late November" ou à la suite conclusive "Preludin" / "Of Once And Future Kings". Mais mes propres choix varient en fonction des saisons et des humeurs.
Pampered Menial ne sera pas défendu dignement en-dehors de quelques scènes aux USA (et souvent en première partie de groupes de hard-rock).
Il est rapporté que David Surkamp préférait la solitude et l’anonymat à la vie d’un groupe rock sur la route. Le guitariste-chanteur sera même déclaré mort et rechignera à démentir l’information…
Mais, ça, petits rockers, c’est une autre histoire qu’Oncle Dan chroniquera ultérieurement.
(1) Je précise que l’expérience a été réalisée sous un strict contrôle médical. Elle n’a généré aucune souffrance ni humaine ni animale à l’exception de quelques acouphènes et d’une grande soif chez le cobaye.
(2) Pour les amateurs d’art, les deux pochettes reproduisent toutes deux la même œuvre du peintre anglais Edwin Landseer, le créateur des célèbres lions de Trafalgar Square. Ce choix – qui n’a rien d’innocent – révèle, dès avant l’écoute de l’album, l’ancrage européen des influences artistiques du groupe.
(3) Cinquante ans avant sa banalisation, l’Intelligence Artificielle frappait déjà les esprits...
(4) On ne peut plaire à tout le monde. Des chroniqueurs grincheux ont écrit que les titres de Pavlov’s Dog auraient été meilleurs dans une version instrumentale.
(5) Ça, ce fut pour moi un des mystères rock les plus énigmatiques… Il m’a poursuivi durant près de cinquante années. Jusqu’à ce mois de novembre 2024 où la "vérité rock" m’est apparue. Elle était pourtant aussi élémentaire qu’évidente à la simple écoute de l’album. En fait, la réponse était dans la question et je n’y avais jamais pensé. Cette récente épiphanie m’a ensuite été confirmée par la lecture éclairante d’une étonnante "interview vérité" (publiée en 2016) de David Surkamp. Je reviendrai plus longuement sur ce point dans la chronique consacrée au deuxième album du groupe.
(6) L’impressionnant mur de son est généré par des guitares, des claviers, un mellotron, une flûte, une basse, une batterie, un violon, un vitar (croisement expérimental entre un violon et une guitare) et une viola pomposa (un violon à cinq cordes).
(7) Comparaison n’est pas raison mais les rimes de Surkamp sont parfois cousines de celles de Ken Hensley.