Muse
Black Holes and Revelations
Produit par Rich Costey, Muse
1- Take a Bow / 2- Starlight / 3- Supermassive Black Hole / 4- Map of the Problematique / 5- Soldier's Poem / 6- Invincible / 7- Assassin / 8- Exo-Politics / 9- City of Delusion / 10- Hoodoo / 11- Knights of Cydonia
Périodiquement, le terrien se voit confronté à de redoutables catastrophes naturelles qui reviennent par intervalle régulier lui rappeler avec cruauté la fragilité de sa position sur cette planète : inondations, tremblements de terre, sécheresses, épidémies, nouvelles émissions de Cauet… Parmi ces fléaux terribles, il y en a un qui sait se montrer impitoyable : Muse. Tous les deux ans, cet insupportable trio anglais nous gratifie d’une nouvelle galette putride et mal odorante, nous qui n’avions rien demandé à personne. Véritable plaie d’Egypte, ce groupe maléfique a de maintes fois éprouvé les nerfs et les tympans d’une partie de ce monde civilisé avec son prog-rock pompeux et lénifiant. 7 ans que ça dure. Un supplice. Un calvaire. Mais que font les autorités sanitaires compétentes dans ce pays ? Pour parler de leurs crimes discographiques, on tend souvent le micro aux fans béats, qui n’ont que des génie!, chef d’œuvre!, futur du rock! à la bouche. Pendant ce temps, une minorité silencieuse grince des dents. Cette chronique est l’occasion de la laisser s’exprimer. Que les disciples transis du gang de Matthew Bellamy rétractent leurs griffes, ces quelques lignes ne forment pas une insulte personnellement dirigée contre eux ou le groupe mais vise cet espèce de monstre difforme, cette boule de pus suppurante qu’ils génèrent collectivement. On ne lynchera pas les hommes, mais le son, on ne s’attaquera pas aux musiciens mais à leur œuvre. La critique est peut-être facile, parfois injuste. Mais derrière ces mots parfois durs se cache un réel effort de décryptage d’un sentiment très vif d’irritation (assez rare au sein d’une production contemporaine plutôt molle) que provoque l’écoute des morceaux de cette formation pour une certaine frange du public rock. Un sentiment si extrême qu’il mérite qu’on l’interroge. Tentative d’exorcisation.
Il y a déjà un point sur lequel on ne peut qu’être fondamentalement d’accord avec les fans. Muse, on aime ou on déteste. Il n’y a pas d’entre-deux possible, pas de réconciliation, pas de place à la tiédeur. Écouter Muse, c’est combattre avec ou contre eux. Aucune autre alternative n’est envisageable, car c’est une véritable vision de la musique, de la faire comme de l’écouter, qui se voit ici mise à nu dans sa plus brûlante crudité. Les fans du trio, comme tous fans qui se respectent, n’en finissent pas de s’escrimer sur la qualité de ce quatrième opus studio. Un côté électronique trop présent est apparemment en cause. Perdus dans leurs dissections musicales, ils ne se rendent pas compte que le groupe reste rigoureusement le même : toujours cette voix affreuse de Bellamy, insupportable comme une craie violemment appuyée sur un tableau noir, lancinante comme une rage de dents, toujours cet espèce de lyrisme abscons dans les paroles, cette emphase troupière et pompeuse dans les compos. Oui, il y a quelques bidouillages électro de ci de là, plutôt convenus au demeurant (ceux qui qualifient cela d’expérimental feraient bien de se prendre deux heures de colle pour réviser Can), mais il me semble qu’il y en avait déjà dans les disques antérieurs, quoique je n’en sois pas sûr. Quoi ? Vous ne pensez tout de même pas que je vais me fader l’intégralité de la discographie du groupe pour vérifier mes dires quand même ! Courageux, mais pas suicidaire…
Rien qu’avec le titre d’ouverture, "Take a Bow", on se retrouve en terrain (miné) connu : structure qui part du néant (quelques notes) pour évoluer de plus en plus vers le chaos, un peu comme "Sunburn". Avec son timbre d’oisillon écorché, Bellamy se rêve démiurge, convoquant les éléments avec furie et emportement, afin de laisser libre court à son génie créateur et faire Œuvre avec un grand O comme onanisme, car toutes les chansons de Muse se basent sur ce concept : se pâmer devant leur propention à faire du bruit, à ajouter des couches et de couches d‘instruments, à recouvrir un silence redouté par un trop-plein de son. Parce qu’ils sont loin d’être manchots et plutôt doués, les musiciens savent trousser des mélodies qui tiennent la route. Les débuts de "Starlight" et de "Supermassive Black Hole" l’attestent, mais poussés par leur démesure pédante, ils viennent ficher en l’air une bonne base de morceau par des vocaux faussement plaintifs, un côté aérien surjoué, des horribles guitares pesantes, un piano saoulant dans son omniprésence, un écho et des chœurs resservis jusqu’à la nausée. Sur "Supermassive...", on nous refait même le coup du vocoder. Même Daft Punk n’ose plus faire ça. Avec une batterie qui part sans cesse dans d’inutiles roulements (sans doute afin de lui conférer une allure martiale d’un goût douteux), Bellamy pousse sa voix aigrelette sur "Map of the Problematique" (les titres des morceaux sont aussi de grands moments de complexité surfaite) ou "Invicible". Je reviens souvent sur la voix car c’est d’elle que tout part. Toute la structure des compos vise à en mimer et accompagner les modulations. Ainsi, dans la plupart des cas, elle se fait ascendante : Bellamy commence par murmurer (c’est tout à fait relatif puisqu’à aucun moment il ne laisse traîner son filet de voix, pour lui préférer de bruyantes respirations et de longs appuis sur les syllabes sans doute pour traduire une furie qui ne demande qu’à exploser, du coup les moments calmes ne sont jamais totalement consommés et une ballade telle que "Soldier’s Poem" se voit tuée dans l’œuf) pour progressivement atteindre une puissance maximale. Le groupe fait de même. Chaque morceau ne semble ne pouvoir s’achever que de façon paroxystique. Du haut de son inique grandeur, le groupe invite l’auditeur à contempler le travail accompli. À 3 secondes il n’y avait presque pas de son, à 3 minutes 30, tous les potentiomètres sont dans le rouge. C’est cette emphase rébarbative et systématique, cette magnificience creuse de la structure des morceaux, ce simplisme dans la construction qui viennent réduire en bouillie des chansons au départ bonnes, sans être exceptionnelles ("Assassins", "Exo-Politics"), mais corsetées, étouffées, broyées par le traitement de choc qu'on leur impose.
Faisons ici bien attention : Muse n’est pas un groupe merdique. La merde, c’est moche, ça pue. Ça ne prétend pas être autre chose que ce que c’est : un déchet. Si une métaphore devrait être ici employée, ce serait plutôt la chantilly. C’est ça Muse : une impitoyable bombe de chantilly. Comme pour masquer l’aspect squelettique de leurs morceaux, le groupe fait marcher sa bombe et recouvre tout d’une couche épaisse (mais remplie de vide) et crémeuse. Et vas-y que je te rajoute des tartines de guitares, de synthé, de cordes (point d’écoeurement total : le nocif "City of Delusion"). La grande naïveté du trio est de croire que l’émotion se paye au kilo. Plus Bellamy surjoue ses textes, plus il gave ses titres de couches de sons, plus il croit que le sentiment qu’il veut évoquer va se retrouver fidèlement retranscrit. Peine perdue : derrière les moyens déployés on ne voit que la main besogneuse de l’artisan maladroit. Le groupe constitue une sorte de Robert Hossein rock : toujours plus grand, plus gros, plus complexe. Un gigantisme vain. Une grandiloquence du pauvre. Rien n’effraie plus Muse que le vide, jamais aucun espace n’est laissé pour que l’impromptu, l’instinctif, bref quelque chose de l’ordre de l’humain perce. Tout est assommé, figé, écrasé par ces bouffissures baroques qui étouffent toute sensation d’urgence et de spontanéité que l’on est en droit d’attendre d’un groupe de rock. Tant que le groupe conservera cette attitude, cette conception obtue et simplificatrice de l’art de véhiculer une émotion par la musique, il ne restera qu'une bande d'artificiers doués à la musique indigeste. Et leurs albums de simples démonstrations techniques où l'émotion se trouve surlignée à violents coups de marker. Ainsi, ce Black Holes And Revelations est à l’image de ses tourmentés géniteurs qui n’a(muse)nt guère : ni merdique, ni même mauvais ; simplement mais désespérément à côté de la plaque.
L’une des manières les plus simples de résumer le sentiment qu’inspire un album de Muse est de le faire à l’aune de la distance qu’il prend par rapport au canon originel du trio. Prenons donc Showbiz et analysons le canon en question : du rock, certes. Un chanteur à la voix très caractéristique, ample, aiguë, plaintive, volontiers hystérico-agressive et s’épanouissant allègrement dans des falsetos à faire rougir de nombreux ténors d’opéra (et à faire se rétracter les ongles des félins domestiques). Une énergie électrique haletante supportée par une technique sans faille à la guitare et à la basse, un son volumineux, du bruit, de l’ire, des explosions de bombes et des vrombissements de moteur en fusion. Une batterie brutale, souvent monomaniaque, affectionnant particulièrement les down tempos bourrins et les matraquages de cymbales. Un piano (puis des synthés à compter d’Origin of Symmetry) allant du classique tendance XIXème siècle au futurisme visionnaire, en faisant en particulier usage de montées et descentes d’arpèges en cascades. Mais avant toute chose, une absence totale de faux semblants, un discours frontal, un emploi immodéré des instruments, une envie de combler les vides, de lâcher toutes les munitions en réserve, d’éradiquer toute résistance chez l’auditeur. Et le décrochage progressif des amateurs de la première heure semble s’effectuer proportionnellement à la tolérance éprouvée vis-à-vis de la moindre incartade ternissant ce cahier des charges inaugural. Néanmoins, il y a peut-être une approche plus rationnelle à adopter.
Une approche plus musicale, moins émotionnelle, moins sujette à des notions d’espoir, d’attente et de fantasme. Plus rétrospective, sans aucun doute. Si l’on omet The Resistance et The 2nd Law, les deux derniers disques en date qui souffrent chacun de profondes tares (faiblesse des compositions “progressives” pour le premier, éparpillement stylistique invraisemblable pour le second, dissolution identitaire pour tous les deux), et si l’on part du principe, unanimement reconnu ou presque, qu’Origin of Symmetry est le point d’orgue du trio Bellamy-Howard-Wolstenholme, la controverse se porte principalement sur la charnière centrale devonienne, à savoir Absolution et ce Black Holes and Revelations. L’instant où le ressenti se fait moins entier, où le doute s’installe, où la confiance ne se donne plus sans garantie. Bien que, de l’avis général, l’album martien se voit supplanté par son prédécesseur, confirmant par là-même un irrésistible déclin strictement chronologique du trio, les réécoutes successives des deux galettes, après des années passées à prendre la poussière sur les étagères d’une discothèque, donnent étonnamment un net avantage aux Trous Noirs.
Dans les faits, Black Holes, tout comme Absolution (le fameux “breakthrough album” de Muse), répond à une volonté non seulement de diversifier la palette sonore des trois anglais, mais aussi et surtout de rendre leur musique plus accessible. La conquête du monde, Bellamy n’en a jamais fait aucun mystère, et si l’album précédent lui a offert un single hautement radiodiffusé, notamment en France (“Time Is Running Out”), ce nouveau disque est censé parachever la conquête des charts et des coeurs. Pour ce faire, Bellamy voit encore plus grand et se met en tête de filer sur les traces de Pink Floyd. Tout en s’essayant pour la première fois à l’autoproduction, les trois hommes décident de s’établir au studio Miramar, localisé dans un château du Var, en France, là où The Wall a été mis en boîte. Ils font l’acquisition de tout un tas de vieux synthétiseurs, profitant de la solitude des lieux pour expérimenter sur place de nouvelles sonorités, et pour la première fois, ils élaborent des compositions sans se soucier de la manière de les restituer en live. Las, la solitude et l’absence de deadline pesant sur le trio, l’enregistrement se finit à New York en compagnie du même Rich Costey qui a aidé les trois anglais à accoucher de leur précédent bébé. Pour l’anecdote, c’est en allant dans un night club new-yorkais que Bellamy a trouvé l’inspiration du dansant “Supermassive Black Hole”, sorte de fusion entre “la dance music et les sonorités rock de Franz Ferdinand”, dixit l’intéressé. Et pour parachever le tout, la pochette du disque est confiée au défunt Storm Thorgerson qui a accouché de presque tous les visuels du Floyd (à l’exception notable de The Final Cut et de… The Wall, justement). Black Holes est donc un album ambitieux sur le papier, et si rétrospectivement ce disque a permis au groupe de consolider sa base de fans tout en convertissant (beaucoup) de nouvelles ouailles, certains de ses partis pris mainstreams n’ont pas pu être digérés par toute une frange de la Musosphère. Mais même si le fameux canon originel détaillé en préambule se voit ici très dangereusement malmené, il y a encore matière à prendre plaisir à l’écoute de cet album.
C’est un fait, Black Holes est un album mainstream. C’est le disque de Muse le plus accessible, le plus simple dans sa conception comme dans sa présentation, l’un des moins rocks, l’un des moins excessifs dans son traitement sonore. Tout ce qui aurait pu un tant soit peu effrayer le chaland s’y est vu pasteurisé, stérilisé, vermifugé. Adieux les aigus crissants et sur-hystériques de Bellamy, ils sont ici aux grands abonnés absents alors qu’on les verra réapparaître (avec force modération) par la suite. Oui, précisons tout de suite que dans ces lignes, vous ne verrez nulle trace de Matt, de Chris et de Dom, seulement des Bellamy, des Howard et des Wolstenholme. Il est un fait que ceux qui adulent Muse aiment, sans doute un peu trop, à se croire proche de ses trois membres, allant jusqu’à les appeler par leurs petits noms comme s’ils avaient vidé les même canettes de bière ensemble. Un peu de retenue, que diable. Pas de voix de crécelle, donc, ou si peu. Autre caractéristique immédiatement décelable : la tonalité synthétique du disque. N’allons pas jusqu’à parler d’électro, hé ho, on n’est pas non plus chez Hot Chip. Du synthé, il y en a, et en pagaille. “Take a Bow” ressemble beaucoup à “Apocalypse Please” dans le principe, mais en plus science-fictionnel, “Starlight” est tout entier bâti autour d’un gimmick de clavier fort malin, “Supermassive Black Hole” défouraille le vocoder et “Map of the Problematique” ose carrément reléguer les guitares à un simple support rythmique. Même si la suite du traitement sonore est nettement plus nuancée, il n’a pas fallu plus que cette entame de disque pour dégoûter toute une frange de la population musophile.
Or, à bien y regarder, il n’y a certes pas de quoi hurler au génie, mais certainement pas de quoi crier au loup non plus. “Starlight”, vous pouvez retourner l’équation dans tous les sens, mais c’est une chanson sacrément balaise. C’est de la grande pop, une merveille de fluidité entre couplet, pré-chorus et chorus, un joyau d’alternances fort faible, une rythmique binaire à faire se damner un saint. “Time Is Running Out” peut aller se rhabiller. N’importe quel groupe tuerait pour pondre un truc comme ça. Il n’y a peut-être qu’”Uprising”, seul titre vraiment réussi de The Resistance, qui parvienne à se hisser au niveau de ce single. “Supermassive”, c’est atypique mais groovy, avec une utilisation plutôt intéressante du trio guitare-basse-batterie, énergie dans la rythmique vs retenue dans les décibels, et tout l’intérêt du morceau vient du contre-emploi de la voix, certes à l’octave mais sur un traitement complètement différent, tout en douceur, un registre dans lequel on n’attend pas du tout Mathew Bellamy. Dans “Map of the Problematique”, on remarque un certain allant dans les nappes science-fictionnelles de claviers qui entre en contraste avec les grondements gutturaux des cordes électriques, d’où résulte une vraie force épique. Et c’est sur un tel titre que l’on mesure les progrès réalisés par Dominic Howard derrière ses fûts. Non pas en terme de technique : le type sait bigrement cogner, et dans le tempo, mais en terme de variété. Fini le haro sur les cymbales, cet espèce de jeu mononeuronal visant à massacrer un drum kit sans nous épargner le moindre décibel. À partir de Black Holes, Howard commence à faire preuve d’intelligence et de variété dans son soutien rythmique, transformant l’un des réels points faibles du groupe (en regard de la maestria développée à la guitare et à la basse) en atout. Donc non, cette entame de disque n’est pas si minable qu’elle n’y paraît au premier abord. Elle adapte le format Muse à un public plus large et plus difficile à séduire, prompt à fuir face au moindre écart de conduite. En bons élèves assagis, les trois anglais ont rendu la copie qu’il fallait pour emporter dans leur monde leur auditoire élargi. Bien sûr, la perte est considérable. Toute l’urgence, toute l’ire, toute la juvénilité inconséquente des deux premiers albums n’est plus ici présente qu’à l’état de traces. Mais la catastrophe n’a pas encore eu lieu.
D’autant qu’après cette entame, le trio de Teignmouth ne se complaît pas dans le remplissage paresseux. Les nouveaux adeptes étant désormais convertis, il peut commencer à lâcher un peu la bride. De la rage, il y en a encore, vous n’avez qu’à écouter “Assassin” dont le riff est si violent qu’il parvient à faire de l’ombre à celui de “Stockholm Syndrome”. On a rarement vu les trois hommes aussi à cran, mitraillant à tout va et sans aucune retenue même si, nous sommes bien d’accord, le refrain semble tout ramollo. Autres traitements avec le catchy “Exo-Politics”, ses afterbeats et son binaire prompts à faire dodeliner les têtes, ou encore l’alliance flamenco - corrida - influences arabes de “City of Delusion”, Matthew Bellamy rendant ici hommage à ses premières amours puisqu’il a commencé à apprendre la guitare en répétant le répertoire flamenco de son père. Et jolie ligne de basse wah-wahisée au passage, même si, là encore, les violons étaient peut-être de trop sur un refrain un poil paresseux. Ambiance toujours, et décidément, Muse s’est mis en tête de nous faire voir du pays avec l’intro western de “Hoodoo”, un morceau faisant flirter le grand ouest américain avec Rachmaninov, carrément, sur un pont au piano des premiers jours, même si, là encore, les violons étaient peut-être… bref, vous avez compris. Quant à la conclusion, “Knights of Cydonia”, eh bien, elle se laisse également écouter pour peu que l’on aime les développements progressifs. Deux minutes d’intro instrumentales, quand même, lançant une cavalcade - course-poursuite futuriste se concluant par des choeurs glorieux noyés dans un tourbillon synthétique. Et derrière, ça cravache dur à la guitare pour faire galoper l’équipée.
Néanmoins, Black Holes and Revelations souffre d’un énorme point noir, il s’agit de sa charnière centrale. Un ratage pur et simple. “Soldier’s Poem” n’a rien à faire là, c’est un fait. Ce n’est pas tant que cette bluette sentimentalo-niaise soit ratée, c’est qu’elle est complètement hors de propos en regard de l’énergie musicale dégagée par ailleurs. On la verrait bien mieux, tiens donc, égrenée entre deux complaintes d’A Night at the Opera. Marrant d’ailleurs, tout le monde a flingué Muse sur The Resistance en raison d’influences de Queen maladroitement mises en avant, mais lesdites influences étaient déjà nettement présentes sur Black Holes, voyez ces choeurs champêtres sur le Poème du Soldat, ou même le solo de guitare de “Take a Bow” qu’on jurerait échappé de la Red Special de Brian May. Il est cependant un fait que lesdites influences, loin de supplanter le style de Muse et de le faire oublier, le complètent, le soutiennent, l’embellissent, ce qui ne sera plus du tout le cas sur The Resistance, “United States of Eurasia” relevant davantage du plagiat que d’autre chose. Quant à “Invincible”, ce morceau est tout simplement insupportable de niaiserie, de bons sentiments mielleux à souhait, d’emphase déplacée en regard de la vacuité de la thématique abordée. Même le pont un peu musclé horripile, notamment en raison d’un solo ultra-stéréotypé et d’une mécanique déprimante. S’il y a vraiment un vrai gros défaut à ce disque, il se trouve là, dans ces deux titres indigents au possible. Le reste, bon, hein…
Si le traitement thématique recyclant les marottes que Matthew Bellamy avait sérieusement introduites sur le disque précédent, complot, conspiration, défiance envers les élites, extra-terrestres, guerre totale, apocalypse et on en passe, peuvent rapidement au choix saouler ou indifférer, on est en revanche heureux du traitement mélodique sensiblement moins dépressif que sur Absolution. Un disque qui souffre énormément de ses pièces lentes, car c’est là le vrai point faible de Muse : ils savent maîtriser l’électricité comme personne dès qu’ils laissent éclater des sentiments extrêmes - et en cela, leurs obsessions paranoïaques entrent parfaitement en osmose avec leur musique - mais ne parviennent pas à émouvoir dans la douceur. Maxime le pointe bien dans sa diatribe : Muse a peur du vide, et lorsque le vide se fait, il n’y a souvent plus grand chose à gratter. Les pièces lentes d’Absolution, donc, nettement plus nombreuses que sur Black Holes, handicapent considérablement le disque aux types volants au-dessus du bitume en regard de la galette aux joueurs de poker martiens, toute pop, mainstream et synthétique soit-elle. Il n’y a ici rien de glorieux, d’incontournable ou d’indispensable, mais le disque demeure tout de même bon, et d’ailleurs pas si mainstream que ça pour peu qu’on lui laisse sa chance. On passera rapidement sur la suite tellement The Resistance et The 2nd Law ont dépassé les bornes de la bienséances tout en restant, en de très rares occasions, proprement jouissifs. Preuve que le trio du Devon possède encore un fond valable qui pourrait, pourquoi pas, resplendir à nouveau avec Drones. Il n’est pas interdit de rêver même si, soyons honnêtes, plus personne n’attend désormais quoi que ce soit de Muse.