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Critique d'album

Mike Oldfield


Tubular Bells


(25/05/1973 - - Rock Progressif - Genre : Rock)
Produit par

1- Tubular Bells (part one) / 2- Tubular Bells (part two)
Note de 4/5
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Note de 2.5/5 pour cet album
"Si le moine copiste est plus célèbre que Dieu, il nous reste l’athéisme. Güdrün Birdie"
Daniel, le 03/06/2023
( mots)

Prélude

Un jour de 1974. La lumière se rallume dans le cinéma. Le film – L’exorciste – est enfin terminé. En ces temps anciens, il n’est pas encore question de cellule psychologique ni de traitement de stress post-traumatique. Je devine pourtant, en quittant mon strapontin de velours rouge, que mon équilibre mental, déjà perturbé par une adolescence rock conflictuelle, est définitivement détruit.

C’est le premier film d’horreur de ma vie (1). Epouvanté, je vais connaître un nombre incalculable de nuits sans sommeil. Aujourd’hui encore, il m’arrive ponctuellement, à l’heure du coucher, de vérifier s’il n’y a pas un peu de vomi verdâtre sous le lit.

Parenthèse conspirationniste

Un jour de 1972. Au Nord-Ouest de Londres, à Chipton On Sherwell. Dans une des nombreuses pièces d’un manoir du XVème siècle transformé en studio d’enregistrement. Christian Vanderschueren frappe machinalement les touches d’un piano. Pour se détendre entre deux séances de répétition. Sans raison particulière, il est absorbé par le souvenir de son grand-père, un Flamand de Belgique joueur d’accordéon. Une mélodie répétitive, obsédante, lui vient alors en tête. Il la joue jusqu’à ce que ses dix doigts en acquièrent le souvenir.

Il l’appelle "La Dawotsin". Puis, il la remise dans un coin de sa mémoire.

Zoom arrière. Dans l’encoignure de la porte, un gamin l’observe. Il traîne souvent par là. Il est fuyant, complexé et taciturne.

Un an plus tard, c’est en visionnant L’exorciste dans un cinéma anglais que Christian Vander entendra à nouveau "La Dawotsin". Dans le générique final. Le titre est crédité à un certain Mike Oldfield.

Le gamin fuyant, complexé et taciturne du Manor Studio.

Retour aux affaires

Dès 1974, soit un an à peine après sa sortie, Tubular Bells a rejoint ce Panthéon domestique où reposent les œuvres que tout le monde se doit de posséder. Le plus souvent, ces "objets obligés" sont rangés sur une étagère, à côté de l’intégrale (reliée en skaï) de la Pléiade. Un élément du décor que l’on retrouve en arrière-plan de toutes les photos de famille.

Ce qui a élevé l’album au rang d’incunable, c’est la décision prise par le réalisateur William Friedkin, connu pour ses lubies, ses colères et son caractère imprévisible, de virer le compositeur Lalo Schifrin (2) de la bande-son de L’exorciste.

Friedkin, en parfait natif de Chicago, ne sort jamais sans parapluie lorsque le ciel est couvert. Quand il limoge Schifrin (qui écrira plus tard la musique d’Amytiville), il tient déjà son plan B.

Ahmet Ertegun, le patron d’Atlantic Records, lui a fait écouter quelques minutes de musique aux faux airs de ritournelle horrifique. Ertegun est harcelé par Richard Branson, le fondateur de Virgin Records qui insiste pour qu’il promotionne aux USA la musique d’un parfait inconnu. Un inconnu qui ne tient pas à être connu et qui refuse tout concert de promotion.

Ahmet Ertegun a écouté distraitement l’intro de Tubular Bells, le premier album publié par la jeune firme de disques (sous la référence V2001). Le concept ne l’excite pas vraiment. Mais, à défaut d’interprétation publique, pourquoi ne pas recycler cette ritournelle en musique de film ?

Mike Oldfield – qui a assuré plus tard détester les histoires d’horreur – va connaître une consécration universelle mais décalée. La plupart des acheteurs de l’album se ruent sur ce qu’ils croient être la bande originale d’un film qui cartonne au box-office. L’immense majorité (qui ne s’intéresse pas à la musique rock) va déchanter une fois passées les cinq premières minutes du disque.

Richard Branson est tout sauf un idiot. Il adapte immédiatement sa communication pour accentuer l’ambiguïté (3). Et Oldfield (qui a déjà de la peine à se situer dans le monde des humains), devient l’incarnation d’une contradiction philosophique : vaut-il mieux être pris pour ce qu’on n’est pas que d’être laissé pour ce qu’on est ?

Souffrant d’un syndrome d’abandon maternel, le multi-instrumentiste est décrit comme inadapté à toute vie sociale. Il erre quelque part dans une forme de spectre autistique (4). Même s’il a mis ses compétences musicales au service de quelques groupes liés à la scène de Canterbury (avec Kevin Ayers), il peine à s’imposer en tant qu’individu. Il se raconte qu’il lui arrivait de se réfugier sous une table quand il y avait trop de monde dans la pièce.

Autodidacte, Mike Oldfield a en tête une composition « originale » qui le hante. Il s’agit d’un instrumental interminable, à l’origine dépourvu de percussions et de chant, mais caractérisé par des alternances rythmiques (7 ou 8 temps) qui atténuent la sensation d’ennui répétitif.

Il n’a pas encore fêté ses vingt ans. Les maisons de disques l’éconduisent l’une après l’autre. En vérité, il n’est même pas utile d’écouter la démo pour refuser le projet. L’œuvre est trop longue peut être programmée en radio. C’est ce qui s’appelle un empêchement dirimant.

Mais Richard Branson n’en a rien à faire des empêchements dirimants. Il crée sa maison de disques pour publier Tubular Bells. L’avenir lui donnera raison.

Le présent se révèle pourtant ingérable. Mike Oldfield, libre de toute contrainte, enregistre la face A de l’album en quelques heures. Il restitue ce qu’il a en tête, jouant de tous les instruments qui sont ensuite énumérés, de manière très décalée, par Vivian Stanshall, le chanteur du groupe parodique Bonzo Dog Doo-Dah Band (5).
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Puis le barde solitaire se met à tergiverser parce qu’il n’a jamais pensé à une suite. Et ce sera laborieux. Il faudra des mois pour qu’il accouche d’un bric-à-brac sonore, hésitant entre une forme inaboutie de rock planant et un "grand final" qui évoque le générique de Popeye The Sailor Man. L’ensemble est gâché par un insupportable passage growlé que le jeune maître improvise en pleine crise de soulographie potache.

Dans sa globalité (et si l’on excepte quelques moments "charmants"), le résultat est plus qu’artisanal (pour ne pas dire quelconque) et souffre de variations exaspérantes du calibrage sonore. Tubular Bells reste un puzzle musical assez hermétique ; à défaut de batterie ou de percussions (à l’exception d’un passage rythmé sur la face B), l’ouvrage ne livre aucun repère à l’auditeur. Oldfield tripatouille les bandes, ajoute des instruments à n’en plus finir et enregistre certaines guitares à vitesse lente pour les faire sonner ensuite comme des mandolines.

Quand tout est terminé, il juge son œuvre inaboutie. Il passera par ailleurs l’essentiel de sa vie à la réenregistrer. Richard Branson, probablement à bout de patience, sort le disque tel qu’il est, c’est-à-dire très imparfait et par moment difficilement audible. On connait la suite…

La pochette, bricolée pour 100 livres avec des ciseaux et un peu de colle en bâton, représente une cloche tubulaire tordue (6) sur un fond de mer déchaînée. Le verso révèle quelques ossements qui se consument inexplicablement sur une plage du Sussex. Les os disparaîtront sur certaines rééditions.

Son forfait accompli, Mike Oldfield emprunte la Bentley de son patron et part se réfugier à la campagne avec sa petite amie du moment. Loin du bruit. Loin du tumulte. Loin de ses cloches tubulaires.

Dans les discussions mondaines, Tubular Bells est considéré comme une pierre angulaire. Principalement par ceux et celles qui ne l’ont jamais écouté. Mais la pierre angulaire de quoi ? Elle ne ferme aucun angle. C’est une espèce de Sud sans Nord. De face sans pile. De Gérard Lambert sans sa mobylette. Une "absence de présence", histoire de citer Kansas.

Mais les cinq premières minutes du disque continuent de me terrifier…


(1) J’excepte volontairement mon premier long métrage, Tintin et les Oranges Bleues, parce que les vrais cinéphiles font – à juste titre – la différence entre un film d’épouvante et un film épouvantable.

(2) Le pianiste et compositeur argentin est l’auteur du générique imparable de Mission Impossible. Ses travaux préparatoires pour L’exorciste restent néanmoins une curiosité dans son œuvre ; les partitions auraient fait merveille dans un épisode de La croisière s’amuse. C’est involontairement drolatique et décalé.

(3) Le single, publié en France sous une pochette noire, porte un bandeau précisant qu’il s’agit de la bande originale du film. Et le titre L’Exorciste est écrit en caractères deux fois plus grands que Tubular Bells.

(4) Pour approfondir cette part du mystère, il peut être utile de lire Josef Schovanec (Nos intelligences multiples : le bonheur d’être différent aux Editions de l’Observatoire - 2018).

(5) Le premier groupe à avoir enregistré dans le studio de Branson.

(6) Une aimable façon de moquer Oldfield qui avait martyrisé l’instrument en jouant avec un marteau plutôt qu’avec le maillet en bois traditionnel. Le son enregistré était trop puissant pour le mastering. Cette anomalie aurait imposé une impression plus coûteuse en vinyle 180 grammes, comme pour les albums de musique classique. Mais, finalement, l’équipe de production a opté pour un bricolage sonique qui va desservir l’ensemble. 

Commentaires
DanielAR, le 08/06/2023 à 17:15
Merci pour vos commentaires et l'expression de vos votes. Je suis certainement trop naïf pour écrire des "leçons" et trop peu rigoureux pour être "historien". Mais j'apprécie chaque remarque parce qu'elle enrichit le débat et alimente une discussion rock qui semble curieusement sans fin.
Steve, le 07/06/2023 à 09:51
Je connais peu Mike Oldfield, hormis le tube sus-nommé et la géniale "Nuclear" utilisée pour la bande-annonce de Metal Gear Solid V. Alors merci pour cette petite leçon d'histoire
Sebastien, le 03/06/2023 à 23:16
"Gérard Lambert sans sa mobylette": excellent !
DjangoNero, le 03/06/2023 à 17:54
Pour la petite histoire, Schifrin a recyclé des pans entier de son travail pour l'Exorciste dans Amytiville, avec, au final, un oscar pour la BO de ce dernier.