Long Distance Calling
Eraser
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1- Enter: Death Box / 2- Blades / 3- Kamilah / 4- 500 Years / 5- Sloth / 6- Giants Leaving / 7- Blood Honey / 8- Landless King / 9- Eraser
Si l’une des grandes forces d’Albumrock est d’avoir su s’intéresser au Rock au sens large, grâce à une certaine liberté de ton et une ligne éditoriale favorisant l’ouverture d’esprit, il est un fait : les musiques instrumentales (c-à-d dénuées de chant) s’avèrent finalement peu représentées sur notre webzine ! Ce n’est pas faute d’avoir essayé*, mais force est de constater qu’il n’est jamais facile de s’extirper du traditionnel combo "chant-guitare-basse-batterie". N’en déplaise aux amateurs de jazz et de musiques électroniques, l’organe vocal tient une place prépondérante dans notre appréciation d’une œuvre musicale. Il s’agit souvent du premier élément qui interpelle (qui n’a jamais été rebuté par certaines voix ?) et qui constitue - quoi qu’on en dise - une part importante dans l’identité esthétique d’un groupe. A l’heure où le rock se renouvelle tant bien que mal en se réappropriant ses gloires passées, le fait de se passer d’un tel outil de différenciation relèverait presque du sabordage.
Pourtant, bon nombre de groupes se prêtent au jeu (par défaut ou par conviction), en particulier dans les domaines du post-rock et du metal progressif. Certains sont forcément mieux armés que d’autres, mais il serait réducteur de limiter l’exercice à de simples prédispositions techniques. Plus rares sont en effet les formations instrumentales en mesure de rester captivantes sur toute la durée d’un album et d’être en mesure de stimuler l’imagination. Long Distance Calling peut clairement prétendre à cette catégorie (forcément, sinon il n’y aurait pas de chronique !). Créé en 2005, ce groupe allemand a d’abord visé une structure plus conventionnelle en tentant d’intégrer un chanteur dans ses rangs. Après plusieurs auditions infructueuses la petite bande a préféré tracer son chemin en laissant parler sa musique (même si le groupe a de temps en temps fait intervenir des chanteurs). Depuis, le quatuor allemand ne cesse de gravir les échelons, jusqu’à devenir un acteur reconnu de la scène progressive grâce à une musique évoluant entre post-rock, prog et heavy metal.
Le talent du groupe réside également dans sa régularité (une discographie faite de 8 albums de très bonne facture) et sa capacité à se renouveler et à explorer de nouveaux territoires. A ce titre, nous vous recommandons vivement l’album How Do We Want To Live? (2020), tant celui-ci se montre captivant avec son patchwork d’ambiances vintages et rétrofuturistes. Poursuivant sur son rythme d’un album tous les deux ans, Long Distance Calling revient avec le sobrement intitulé Eraser : un opus qui se veut cette fois-ci nettement plus direct et incisif.
Les Allemands ne se font pas attendre et marquent immédiatement les esprits avec une véritable démonstration de savoir-faire. Doté de riffs puissants et d’une rythmique soutenue, le titre "Blades" nous embarque ainsi dans une ascension aussi tumultueuse qu’exaltante, dans laquelle le groupe prend le temps d’étoffer sa section instrumentale. La technicité des quatre musiciens se met alors au service d’une musicalité qui ne lâche jamais l’auditeur, alternant entre phases d’accalmies et sections plus explosives. Si les compositions se montrent en permanence imprévisibles, celles-ci semblent suivre une certaine trame narrative, conférant par moment à l’album une dimension cinématographique. Le tout formant un ensemble plutôt cohérent, formant une boucle avec le conclusif et éponyme "Eraser".
La qualité étant au rendez-vous (tant en termes de production que de composition), on finit par en oublier l’absence de chant ! Une absence qui se voit compensée par un jeu particulièrement expressif : on perçoit une certaine mélancolie lors de l’introductif "Death Box" ; on endure toute la douleur et la gravité émanent d’un titre comme "500 Years" lorsque la guitare aigue et plaintive se confronte à la frénésie de la section rythmique ; on ressent un véritable instant de la plénitude avant d’aborder le final tout en intensité de "Kamilah"… L’analyse étant complètement subjective, il ne tient désormais qu’à vous de vous laisser transporter par la musique proposée et de raconter votre propre histoire.
Une fois dans les bonnes conditions, vous serez en mesure d’apprécier les nombreux détails de compositions, tout en découvrant de nouvelles subtilités à chaque nouvelle écoute. Le groupe s’adonne par ailleurs à différents styles (sans pour autant nuire à la cohérence d’ensemble) : l’ambiance raffinée de "Sloth" avec ses arpèges cristallins et son élégante partition de saxophone ; la formule plus entraînante de "Giants Leaving" qui évoque Death From Above 1979, ou encore la petite incursion funk de "Landless King".
Avec ce huitième album, Long Distance Calling assoit sa position de fer de lance de la scène instrumentale. Si l’on peut reprocher un petit manque de surprise et de folie (on a déjà vu le groupe allemand plus aventureux), Eraser n’en reste pas moins un album particulièrement efficace et immersif qui saura convaincre les amateurs du genre et ouvrir la porte à un plus large public.
A écouter : "Kamilah", "500 Years", "Landless King"
*Bien conscients de cette lacune, nous avions créé une catégorie « Rock instrumental » dans le cadre de nos Contre-Victoires de la Musique 2021, mettant en avant des formations françaises pour le moins prometteuses telles que BRUIT≤, When Waves Collide ou encore YMNK.