Jean-Michel Jarre
Oxymore
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1- AGORA / 2- Oxymore / 3- NEON LIPS / 4- SONIC LAND / 5- ANIMAL GENESIS / 6- SYNTHY SISTERS / 7- SEX IN THE MACHINE / 8- ZEITGEIST / 9- CRYSTAL GARDEN / 10- BRUTALISM / 11- EPICA
Tandis que le rock a tendance à s’enfermer dans des formules ghettos (répertoriées en sous-catégories hermétiques de plus en plus étriquées), Jean-Michel Jarre propose, avec Oxymore, ce qui est, à ce jour, une des plus fabuleuses expériences sonores (ou soniques) du XXIème siècle.
Pas plus. Pas moins.
Les racines de l’ouvrage sont ancrées dans le siècle dernier mais ce qui fleurit ici va bien plus loin que notre contemporanéité.
L’art acousmatique est né dans les studios de Radio France durant la seconde guerre mondiale. Cette création était motivée par une volonté de percevoir le monde différemment, en mariant la musique et la philosophie, en allant titiller la pensée humaine pour interroger la conscience.
Cette musique dite aussi "concrète" implique l’enregistrement et l’assemblage de sons (au départ d’un micro ou d’un quelconque générateur de bruits) et une diffusion par des haut-parleurs. Il n’est question ici ni de partitions, ni d’instruments "physiques", ni de codifications académiques.
Pierre Henry (1927 – 2017) à qui Oxymore rend un inestimable hommage, a été un représentant majeur de la discipline ; il a par ailleurs fait preuve de prémonitions particulières en jetant des passerelles entre l’acousmatique, le ballet (1) et le rock (qu’il désignait sous le terme de "jerk").
Jean-Michel Jarre rêvait d’une collaboration artistique avec le grand maître mais la mort du plus vieux DJ du monde a ruiné ses espoirs. Oxymore contient quelques "sons" originaux (2) légués par Pierre Henry mais ces vestiges restent le plus souvent un prétexte ornemental.
Oxymore est une œuvre a priori aride, anti-mélodique, parfois violente, souvent intrigante. Il ne faut pas de clé(s) ni de prérequis pour entrer dans cet univers immersif. Il suffit d’avoir l’esprit "disponible" puis de se laisser emmener loin de ses repères, de ses sentiers battus et de ses certitudes.
Une fois les portes franchies, le voyage devient addictif.
Fidèle aux fondamentaux du Groupe de recherches musicales de Pierre Schaeffer (1910 – 1995), où Pierre Henry a fait ses classes (avant d’entrer en rébellion), Jean-Michel Jarre réécrit la "sonorité universelle" en douze pièces magistrales dont les premières fulgurances sont la plage titulaire, "Synthy Sisters", "Crystal Garden" et le coda génialissime (et positif) qu’est "Epica".
"Brutalism" – qui porte bien son titre – fait l’objet d’une version alternative (que l’on trouve sur la toile sous le titre de "Brutalism Take 2") enregistrée avec la complicité intergénérationnelle de Martin Gore.
Kandinsky a mis la musique en peinture, parfois de façon "bruyante" (3). Jean-Michel Jarre vient de mettre la peinture de notre monde en musique. Entre espoir et désespoir. Une étoile dansante née d’un chaos surprenant chez un homme de 74 printemps.
Ecouter cette musique est une douce violence. Sans complaisance mais avec beaucoup d’amour.
Comme toujours…
Une histoire d'amour sans paroles
N'a plus besoin du protocole
Et tous les longs discours futiles
Terniraient quelque peu le style
De nos retrouvailles…
(1) A titre d’exemple, Pierre Henry a composé Messe Pour le temps présent (1967) à la demande du très avant-gardiste Maurice Béjart.
(2) L’essentiel de l’œuvre de Pierre Henry est archivé à la Bibliothèque Nationale de France.
(3) On "entend" la fureur extrême sur une œuvre comme Noir et Violet qui clame la colère du peintre russe contraint à l’exil en France.