Galaad
Paradis posthumes
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1- Terra / 2- Apocalypse / 3- Moments / 4- Le Rêve D'unité / 5- Amor Vinces / 6- La Douleur / 7- L'instinct, L'instant / 8- Ton Ennemi / 9- Paradis Posthumes / 10- Jour Sidéral / 11- Divine
Où il est question d’un Prélude
Jadis ou naguère (selon la perception que l’on a du temps qui passe), les orchestres dits "classiques" n’étaient pas tous accordés selon le même "La". C’est la raison pour laquelle ils débutaient leurs prestations par un prélude, c’est-à-dire une pièce brève qui familiarisait l’oreille des spectateurs avec la tessiture de la musique à venir. Stratagème.
"Terra", le prélude instrumental de Paradis posthumes, prépare son rocker à un voyage en cinémascope (1). Tous les ingrédients sont réunis, y compris la majesté, par nature un peu empathique, du propos.
Où il est question de rock (et de langage)
Mais, même si tous les marqueurs du prélude se retrouvent à des degrés divers parmi les dix autres plages qui composent l’album, la musique de Galaad ne mérite pas d’être classée dans une catégorie réductrice. Il est clair que le groupe navigue dans une mer rock plus vaste que son seul rivage.
La batterie de Laurent Petermann s’accorde de tous les rythmes, les claviers de Gianni Giardello sont érudits et éthérés, les guitares de Sébastien Froidevaux sont toujours inspirées, pertinentes et éclectiques, la basse de Gérard Zuber est volubile (et particulièrement admirable quand elle évolue en mode fretless), les chœurs sont splendides et la voix de Pierre-Yves Theurillat (PYT, pour les intimes), même si elle tape parfois dans le rupteur, est plus que convaincante dans une prosodie hantée qui capture l’attention et inspire le respect.
Il n’est pas question de magiciens, d’épées, de dragons, de divinités antiques ou de sorcières. Galaad évoque (et invoque) l’humanité, l’amour, la vie, la mort. Avec justesse et sans fard. Parfois crûment.
Le choix de la langue française est évidemment déterminant et c’est peut-être même un des atouts essentiels de cet opus. Parce qu’il ne se trouve guère de chanteurs "latins" qui excellent en anglais (2). Le voyage auquel nous invite PYT, entre ombres (beaucoup) et lumières (parfois) ne laisse pas indifférent. Il peut même être terrifiant. Comme dans "Jour sidéral" qui interpelle douloureusement le corps et l’âme (3), rappelant fort à propos que la disparition est toujours douloureuse et que l’Art ne se limite pas à un exercice de style pusillanime. On se promène ici sur certains sentiers escarpés d’Ecosse empruntés par William Derek Dick (alias Fish) au cours de sa carrière solo. Pas moins. Comme s’il existait un pont sur les étoiles pour unir les cluses de Moutier et le marché aux grains de Dalkeith.
Le groupe existe depuis 1988 et, malgré des éclipses parfois interminables, il fait montre d’une unité et d’une complicité particulièrement convaincante. Galaad est un maul qui ne sait pas ce que reculer veut dire. Il est clair que chaque musicien dispose d’une grande liberté créatrice mais tout le monde concourt à un effet de "bloc" qui, en occupant avec intelligence tout le spectre sonore, confère aux 11 titres une sensation impressionnante d’unité et de "toute puissance".
Sous un artwork magnifique du prolifique Stan-W Decker, Paradis posthumes est une Œuvre au noir, conçue en sachant que ce procédé alchimique peut détruire l’âme. Globalement, l’ouvrage, financé par un crowdfunding généreux, est sombre comme ont pu l’être, dans un autre domaine fascinant, les créations post-1976 d’un Philippe Druillet dévasté.
C’est un sentiment éminemment subjectif mais il manque à mon bonheur quelques rayons de franc soleil pour me réchauffer l’esprit. Ou un peu de légèreté en contrepoint, histoire d’amortir les coups.
C’est d’autant plus vrai que, s’il fallait poser un bémol sur cette brillante partition, il concernerait la durée de l’album (64 minutes). A mon sens (c’est strictement personnel) le groupe aurait gagné en efficacité s’il avait été un peu plus concis. Quand l’inspiration est là (et c’est indéniable), on peut comprendre que des musiciens veuillent "tout graver". Et il est également probable que mon oreille soit formatée à l’aune des vinyles d’antan. Pourtant, je comprends mal la surenchère qui consiste à ne publier que des "doubles" dans un monde où – Attention au grand écart intellectuel ! – le temps d’attention d’un cerveau humain sur Tik-Tok ne dépasse plus quelques particules de secondes (4).
Dans un pays où le croque-mitaine emprunte l’apparence d’un cheval surnommé Gauvin (comme le neveu du Roi Arthur), Galaad (le fils de Lancelot du Lac) peut légitimement revendiquer une place d’honneur à la table ronde du rock et de ses légendes, passées, présentes et à venir.
(1) Mâtiné pour l’occasion d’accents morriconiens que ne pourrait renier le claviériste Gianni Giardiello. L’ombre de Maître Ennio plane ici comme une marque jaune sur une couverture d’album de Blake & Mortimer.
(2) A titre d’exceptions, on pourrait citer "Merde In France" de Jacques Dutronc, "Kili Watch" de The Cousins, "Prisencolinensinainciusol" d’Adriano Celentano ou tout le répertoire de B. Devotion. Mais ce n’est jamais vraiment du rock. Ni de l’anglais.
(3) Les émotions musicales me font souvent pleurer et il faudra un jour que je persuade la rédaction d’Albumrock de prendre en charge les paquets de Kleenex figurant dans les notes de frais des rédacteurs.
(4) A ce titre, je glorifie la démarche de Rival Sons qui a choisi de sortir, à quelques mois d’intervalle, deux albums distincts en 2023 alors que les titres ont été enregistrés durant une session unique.
Afin que nul n’en ignore, Paradis posthumes (au même titre que ses prédécesseurs Frat3r et Vae Victis) est disponible en France auprès de Built By France (www.builtbyfrance.com).