
Devin Townsend
PowerNerd
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Devin Townsend est un artiste insaisissable, éclectique, qui fait avancer son œuvre au gré de ses envies esthétiques, des défis qu’il souhaite relever (composer un album en quelques jours en l’occurrence), et de ses états d’âme (dépressifs au moment de l’écriture de l’opus). Nul ne pouvait savoir ce qu’aller réserver cette vingt-huitième production, sinon qu’il était peu probable que le génie des musiques populaires poursuive la direction pop de Lightwork (2022). Retour au rock progressif ? Concept-album symphonique ? Brulot metallique ? Le champ des possibles était comme toujours grand ouvert et Powernerd comporterait à coup sûr son lot de surprises, d’autant plus pour ceux qui comme moi, ne sont ni un grand connaisseur, ni un inconditionnel du musicien. D’ailleurs, c’est justement parce que Powernerd est préservé de ses explorations les plus progressives et symphoniques qui ont tendance à me laisser dubitatif par leur style pompier, qu’il a su me séduire, au point de me réconcilier avec le style alternatif qui l’enrobe. Nul autre que Devin Townsend aurait su me faire vibrer avec un titre comme "Gratitude".
L’opus ne renoue donc pas avec le Metal progressif mais se montre au contraire très efficace, sans pièces à rallonge ni élucubrations symphoniques, plutôt mélodique bien que souvent Heavy et toujours très subtil dans son écriture fouillée. Certes, l’esthétique Metal-progressive subsiste dans des plans de l’éthéré et sublime de "Falling Apart" ou dans la composition de "Glacier", assez caractéristiques du style de Townsend. On pourrait sans trop de problème leur joindre "Goodbye" qui synthétise élégamment plusieurs approches du musicien (Metal, rock alternatif et phases méditatives) ainsi que le magistral "Jainism" dont le refrain épique à la Blind Guardian et le pont central (entre 2’28 et 2’57) méritent plus qu’une écoute attentive.
Mais c’est avant tout la diversité du propos qui alertera l’auditeur.
Une touche rock’n’roll encadre ainsi l’épopée, dans une version modernisée et survoltée avec "PowerNerd", dont les multiples pistes superposées bâtissent un mur sonore infranchissable, et dans une conclusion inattendue avec "Ruby Quaker", qui fait le pont entre les années 1950 et les années 2020 pour dessiner l’histoire du rock entre quelques minutes. Après son introduction électronique, "Knuckledragger" s’engage au contraire dans un genre proche des derniers Alice Cooper, alors que des univers plus aériens et pleinement alternatifs sont annoncés par "Dreams of Light" et développés sur "Ubelia" ou "Younger Lover", dans un registre plus proche de la ballade acoustique. Et peu importe les chemins suivis par l’artiste, ce dernier parvient à s’emparer pleinement des territoires musicaux qu’il explore.
Powernerd continue d’asseoir le statut de Devin Townsend parmi les artistes les plus accomplis du XXIème siècle, qu’on apprécie ou non ses pérégrinations esthétiques parfois insaisissables. En outre, il s’agit du premier volet d’une tétralogie ambitieuse, dont les prochaines étapes sont déjà annoncées : The Moth (qui sera interprété pour la première et seule fois en mars 2025), puis Ruby Quaker et Axolotl (source : Rock Hard, N. 257, 10/24, p. 21). Rendez-vous dans nos colonnes le moment venu.
À écouter : "Jainism", "Gratitude", "Falling Apart"