Deportivo

"Dis-toi mon garçon qu'il est temps, en soi de changer de veste"
Cet extrait du single "Ivres et Débutants" résume assez bien le contexte qui entoure le groupe Deportivo au moment de publier son troisième opus tandis que la maison de disque Barclay commence à se lasser de l'attitude désinvolte du cancre assis au fond de la classe à côté de radiateur. A l'heure de la décennie 2010, il est temps pour le groupe du Bois d'Arcy de rentrer dans le rang et de troquer les vestes en jean trouées pour un blaser plus "passe partout". Ainsi le trio emmené par Jérôme Coudanne arrive en studio dévêtu de certains de ses apparats : adieu les textes chantés en anglais, le kazoo et surtout la spontanéité aux contours rudimentaires de leur son.

Une évolution stylistique caractérisée par le producteur de cette troisième livrée qui n'est autre que Gaëtan Roussel (Louise Attaque) auquel Deportivo semble avoir cédé, sans concession, une large partie de la force créatrice de l'album. Le chanteur de Louise Attaque s'approprie la musique du trio originaire des Yvelines dans des proportions hallucinantes à l'image du titre "Nos Baisers" dont on se demande s'il ne provient pas d'une chute de l'album A Plus Tard Crocodile tant la ligne de basse mêlée aux accords de clavier sonne avec toute la force du classicisme d'une chanson composée par Roussel lui-même.

Une production qui refaçonne la personnalité musicale de Deportivo la déshabillant de sa fureur minimaliste construite autour du triangle guitare/basse/batterie pour la resculpter à grands coups de claviers et de cordes. Autant d'instruments qui enferment la musique du groupe de Jérôme Coudane dans un cadre lisse, aseptisé de toute notion de puissance, à l'image du single éponyme "Ivres et Débutants" dont la version studio se trouve à mille lieues de l'énergie ardente dégagée dans sa retranscription en live.
Le paradoxe de cette surproduction sera atteint sur le titre "Au milieu" où un effet disgracieux sur le riff du couplet contraste fortement avec la force organique dégagée par le naturel du refrain et du pont.  

Réappropriation et cloisonnement conduisent à l'inévitable : ce disque contient les titres les plus défaillants de toute la discographie de Deportivo : "Rejoue Quand Même" et "N'ai-je", deux morceaux embarrassants de niaiserie et bien qu’ un solo de guitare tente, sur le premier titre, de donner un semblant de vitalité rock à l'ensemble , il sonne faux tant il semble avoir été posé là uniquement pour la forme. Pour passer outre les mélodies candides, il faut se plonger dans la plume de Jérôme Coudanne pour trouver un semblant d'intérêt à ces deux morceaux :
"Mais si tu m'aimes, pourquoi vouloir me faire payer toutes les sales choses et les peines qu'on avait peine à expliquer". "Tu fuis la ville et ses méandres et moi je fuis chaque décision à prendre".

Une nouvelle fois le chanteur du trio francilien démontre toute sa maîtrise et sa pertinence dans l'art lyrique, totalement prenant par sa force métaphorique quand celle-ci est accompagnée d'une composition où le groupe retrouve enfin son essence comme on peut l'entendre sur l'excellent "Le Bruit Que La Vie Fait". Un morceau où l'alchimie entre insouciance des débuts et nécessaire évolution font corps. Une émulation que l'on retrouve dans la piste introductive "Fais-moi Comprendre" et son refrain sublime tout en puissance maîtrisée.
Ce ne seront pas les seuls exploits contenus sur cet album Ivres et Débutants. Si ce troisième opus contient certains des titres les plus faibles du groupe, il nous offre aussi le meilleur. Ainsi "Intrépide" se distingue comme un sentier accidenté aux bordures sombres, puisant sa force dans son versant ascensionnel sur lequel le détachement de la mélodie proposée par Jérôme Coudanne règne en maître accompagné par son riff entêtant.
La production décuplée fait finalement des merveilles que ce soit dans le registre martial distillé tout du long de "Au Saut Du Lit", ou bien dans l'accompagnement de la délicate balade acoustique "Pistolet A Eau" où la section cuivres vient propulser un texte, une nouvelle fois radieux, dans des sphères contemplatives.

En s'en remettant totalement à une tierce personne -aussi talentueuse soit elle intrinsèquement parlant- Deportivo nous propose avec Ivres Et Débutants un disque paradoxal où le tout meilleur côtoie le mauvais goût.  A l’écoute le trio semble désengagé dans l'interprétation de ses chansons défaillantes et le contraste est d’autant plus fort en regard de la limpidité carnassière des compositions les plus abouties contenues sur ce disque.
Deux ans plus tard, avec la sortie de Domino, Deportivo aura su faire le tri pour garder le meilleur  de cette expérience (le clavier) et proposer un album qui allie, d'un bout l'autre, une forme de maturité musicale à la spontanéité juvénile de leurs deux premiers disques.
En connaissant l'histoire on se dit que Ivres Et Débutants aurait dû être le quatrième et dernier album en date du trio franciliens. Une position qui aurait donné un sens particulier à la dernière piste du disque ("C'était Cool") et son texte empreint des reflets mêlés de la nostalgie et des au revoir :
"Oh c'était cool aussi d'inventer des paroles puis ci et là improviser quelques lignes pour leur expliquer. Tout ça pour nous, leurs yeux et nos reflets".

A écouter : "Fais-Moi Comprendre" ; "Intrépide" ; "Pistolet A Eau"