
Sparks
The Girl Is Crying in Her Latte
Produit par Sparks
1- The Girl Is Crying in Her Latte / 2- Veronica Lake / 3- Nothing Is as Good as They Say It Is / 4- Escalator / 5- The Mona Lisa's Packing, Leaving Late Tonight / 6- You Were Meant for Me / 7- Not That Well-Defined / 8- We Go Dancing / 9- When You Leave / 10- Take Me for a Ride / 11- It's Sunny Today / 12- A Love Story / 13- It Doesn't Have to Be That Way / 14- Gee, That Was Fun


Beaucoup de larmes, un peu de café et un désespoir intergénérationnel
Il restera à jamais de The Girl Is Crying In Her Latte l’extraordinaire "clip" (2) de sa plage titulaire où la merveilleuse Cate Blanchett, belle à faire pâlir un soleil d’été dans son délicieux costume jaune, "interprétait" le titre au gré d’une danse robotique.
Sous le regard bienveillant de Russel Mael qui avait invité l’artiste à "faire tout ce qu’elle voulait".
Sans susciter le moindre intérêt de Ron Mael, trop occupé à faire le ménage en arrière-plan.
Une fois encore, Sparks (ré)conciliait deux arts majeurs : la musique et le cinéma (d’auteur). Un cinéma de jeux d’ombres comme les aimaient les films noirs des années cinquante. Par exemple.
La plage titulaire, un modèle absolu de pop synthétique intemporelle, décrit comment un monde absurde provoque inexorablement le désespoir des humains que nous sommes.
Comme souvent chez Sparks, tout part d’un petit détail de vie (une larme qui tombe accidentellement dans une tasse de café) pour définir des vérités universelles qui dépassent l’entendement humain.
Chaque jour, c’est la même rengaine (Tellement de gens)
J’ai essayé de comprendre ce jeu (Tellement de gens)
Ils commandent tous la même chose (Tellement de gens)
Je suppose que c’est la faute du monde (Tellement de gens)
Il y a tellement de gens qui pleurent dans leur latte...
Bien entendu, les constats judicieux de Sparks sont souvent dissimulés derrière un degré d’humour (fort) avancé, mais cet humour est rarement caustique, "méchant" ou irritant. Il permet simplement de sourire et de surnager dans l’océan de conneries qui noie nos existences.
C’est que le désespoir selon Sparks touche toutes les générations. "The Girl Is Crying In Her Latte" interpelle les adultes. Tout en amont dans le spectre des âges, le musclé "Nothing Is As Good As They Say It Is" donne la parole à un bébé joufflu, âgé de vingt-deux heures à peine, qui se rend déjà compte que le monde réel ne ressemble pas du tout à ce à quoi il s’attendait et qui demande à sa mère de lui venir en aide.
Maman, est-ce qu’il y a une solution ?
Est-ce que je pourrais retourner d’où je viens ?
J’étais si heureux là où j’étais avant
Je flottais tranquillement, la tête haute
Maman, s’il te plaît, compatis
La surprise a été terrible
Et, de l’autre côté du temps, même les êtres les plus anciens (et les plus « people ») sont gagnés par l’envie de foutre le camp. "The Mona Lisa's Packing, Leaving Late Tonight" décrit la soudaine prise de conscience et la révolte de La Joconde.
L'atmosphère actuelle devient trop pesante pour elle.
Alors elle prend une décision de faire ce qui lui semble bon
Personne ne savait qu'elle était perturbée
La Joconde fait ses valises ; elle partira tard ce soir
Le monde entier est tellement agité et mal à l'aise
Où va-t-elle ? Je ne peux que deviner
J'imagine une île antique, quelque part, sans la pression du monde
Où elle sera loin de toute douleur et de toute misère
Si tout le monde se barre (ou fond en sanglot), que nous restera-t-il ?
Il nous restera Sparks !
Le duo est une paire de lunettes aux verres déformants, colorés de délire et de second degré. Un artefact qui nous permet de voir notre quotidien un peu plus "rose" ou un peu plus "divertissant" qu’il ne l’est vraiment.
Plus supportable, pour rester concis.
Ron et Russel, je vous aime d’amour !
Trop vieux pour le rock. Trop jeunes pour arrêter de penser de travers...
Les choix systématiquement borderline de Sparks se confirment encore lorsque le duo confie le design de l’album à l’extravagant artiste américano-nigérian Munachi Osegbu. C’est que le "créatif" de service a l’art de sublimer les plus extrêmes vulgarités (d’une épouvantable Nicky Minaj, par exemple). Son design flashy laisse une impression mitigée de pur décalage artistique. Mais ce malaise s’estompe lorsque l’on prend le temps de feuilleter le livret et d’observer les regards complices de Russel Mael qui semble toiser l’objectif pour "relativiser" le contexte.
Considérés (à grand tort) comme un One Hit Wonder des seventies, les Californiens connaissent un surprenant retour d’affection depuis le début des années dix et voient grandir et prospérer un (nouveau) public album après album.
Pourtant, entrer dans le monde de Sparks nécessite une "initiation". Une initiation à leur fantaisie. Ou à leur vision dérangée de nos vies. Mais, à titre personnel, je me réjouis sincèrement chaque fois qu’un être humain adhère à leur "vandalisme". Parce que chaque nouvel adepte ne peut être qu’un prosélyte. Et la bonne parole n’a d’intérêt que si elle est répétée sans cesse.
Ce n’est par conséquent pas un hasard si l’on croise une forte mixité d’âges aux concerts les plus récents du groupe.
Pour la plupart, quatorze titres de The Girl Is Crying In Her Latte se déclinent sur un fond de pop électronique, baroque et synthétique qui s’éloigne souvent des standards rock. A priori, tout semble débile et/ou dépourvu de sens commun, mais chaque note (comme chaque mot) finit par générer des images qui s’imposent à nous comme des miroirs qui renvoient à notre humanité, faite de torts et de raisons, de vérités et de mensonges.
Les goûts et les couleurs ne se disputant pas, chacun trouvera son bonheur et ses préférences en fonction de sa sensibilité. A titre personnel, j’ai adoré les trois titres déjà cités mais aussi "Take Me For A Ride", "It’s Sunny Today" (délicieux de "bêtise") ou "We Go Dancing" (monument d’ironie nord-coréenne").
Et c’est une ballade douce-amère, "Gee, That Was Fun", qui clôture sur une rupture un opus remarquable.
Voilà, c’est fini.
Et tout est foutu.
Mais qu’est-ce que c’était chouette...
Pas vrai ?
(1) C’est le début d’une citation de Eric Idle. Qui poursuit : "X au carré puissance deux moins cinq multiplié par sept virgule huit trois fois dix-neuf est approximativement égal à la racine cubique de MCC au carré divisée par X moins un quart de tiers de pour cent. Gardez cette règle simple à l'esprit, et vous ne pourrez pas vous tromper beaucoup…" Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est que l’IA cherche désespérément à résoudre cette idiotie quand on lui pose la question.
(2) Ça paraît tellement ringard de parler de "clip vidéo" en 2025 que je ris tout seul en tapant le mot sur le clavier. Mais celui-ci, par la grâce de Cate et le génie de la mise en scène de Sparks, est une œuvre d’art. Une œuvre d’art aussitôt désuète mais à ce point extravagante qu’elle en devient également post-moderne.
Cette chronique AlbumRock est rédigée sans IA.
Elle a été tapée sur un clavier par deux vraies mains humaines.

