
Rush
Hemispheres
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1- Cygnus X-1 Book II Hemispheres / 2- Circumstances / 3- The Trees / 4- La Villa Strangiato


Affirmant plus que jamais son orientation progressive, Rush offre en 1978 un sixième album, Hemispheres, à la pochette qui, de toute leur discographie, sera la plus inscrite dans l’esthétique visuelle de ce genre musical. Le trait du dessin et les couleurs évoquent au choix Arena de Maruspilami (1971) ou Raindance de Gryphon (1975), tandis que l’illustration met en scène deux personnages surréalistes (dont un homme en costume qu’on croirait issu de l’œuvre de Magritte) se rencontrant sur la surface d’un cerveau, en référence aux hémisphères du titre.
L’opposition entre l’homme dévêtu et l’homme apprêté évoque aussi l’affrontement entre le dionysiaque et l’apollinien, les deux concepts tirés de la théorie esthétique de Nietzche forgée dans La Naissance de la tragédie (1872) sur laquelle repose la longue pièce d’ouverture, "Cygnus X-1 Book II: Hemispheres". Il s’agit également du second volet de l’aventure science-fictionesque inaugurée à la fin de l’album précédent (A Farewell to Kings – 1977), qui croise ici la mythologie grecque réinterprétée philosophiquement au prisme nietzschéen. Long de dix-huit minutes et divisé en six mouvements, le titre pousse ainsi la totalité de l’épopée à un peu moins d’une demi-heure : il était particulièrement audacieux d’ouvrir l’album sur une telle pièce. Admirable par bien des aspects, celle-ci est empreinte de l’écriture rushienne, enchaînant les plans dès l’introduction, articulant les mouvements sans anicroche ou seulement avec des ruptures bienvenues, et en étant à bien des égards virtuose (la section rythmique est toujours aussi épatante). Pourtant, nous restons ici un peu sur notre faim à cause de l’absence de moments mélodiques vraiment marquant comme pouvait en contenir "2112", mais aussi d’une certaine répétitivité et d’un air de déjà entendu.
Sur cet album, Rush aura davantage marqué les esprits avec "La Villa Strangiato (An Exercise in Self-Indulgence)", un instrumental très virtuose où la guitare démonstrative s’insinue dans plusieurs registres, alors que l’écriture fait preuve d’une véritable progressivité qui amène subtilement la rythmique et le riff, ainsi que des moments spectaculaires - un intermède tamisé aux notes claires voire floydiennes, des lignes de basse virevoltantes
Malgré cette orientation très progressive, le groupe propose également deux titres plus calibrés, avec d’abord "Circumstances", qui est assez mineur au sein de leur répertoire, puis surtout l’excellent "The Trees", l’une des compositions les plus mémorables de leur carrière. Le contraste entre les arpèges et le riffing heavy, les mélodies sublimes et le beau travail sur les claviers, mettent parfaitement en valeur ce conte forestier.
Ainsi, Rush poursuit son séjour dans les contrées progressives en portant une flamme de moins en moins entretenue outre-Atlantique : malgré ses limites, Hemispheres se hisse comme une des meilleures productions de l’année 1978 dans ce genre.
À écouter : "The Trees", "La Villa Strangiato (An Exercise in Self-Indulgence)"


















