
Triumph
Allied Forces
Produit par Triumph
1- Fool For Your Love / 2- Magic Power / 3- Air Raid / 4- Allied Forces / 5- Hot Time (In This City Tonight) / 6- Fight the Good Fight / 7- Ordinary Man / 8- Petite Etude / 9- Say Goodbye


En mai 1983 à San Bernardino (Californie), le US Festival rassemble la crème du rock, avec une journée spéciale pour les plus grandes formations du Hard-rock et du Metal (le "Heavy Metal Day" du 29 mai), de Scorpions à Judas Priest en passant par Van Halen, Ozzy Osbourne ou encore Mötley Crüe. La foule est compacte, il s’agit des groupes les plus plébiscités par le public américain, parmi lesquels on retrouve les Canadiens de Triumph dont la performance sera publiée en 2003 (Live at the Us Festival).
Difficile de se rendre compte de l’enthousiasme outre-Atlantique tant le combo est relativement peu connu en Europe, notamment en France (mais les compatriotes de Rush subissent également ce manque de reconnaissance, dans une moindre mesure tout de même). Pourtant, depuis la fin des années 1970, le trio est incontournable et trône au sommet des affiches ainsi qu’au milieu des stades. Bien sûr, la qualité de leur Hard-rock d’abord teinté de progressif puis plus grand public, tel qu’on a pu l’entendre sur les quatre premiers opus, et le jeu fantastique de Rick Emmett (un guitariste hors-pair), ont permis d’inscrire le groupe dans les cœurs mélomanes (voire même au-delà). Mais la gloire - la vraie, la grande – ne pouvait être atteinte qu’avec un véritable chef-d’œuvre ; c’est chose faite en 1981 grâce au sublime Allied Forces et sa Flying V rutilante en couverture.
L’album brille d’abord de l’alliance des deux forces (jeu de mots incontournable) qui font la musique du groupe : un Hard-Rock très aguicheur et des touches progressives qui apportent de la finesse. Allied Forces se situe au tournant entre les différentes strates esthétiques du Triumph, tout en étant plutôt dans la lignée des deux opus précédents – entendez par-là qu’il est plus grand public que progressif. Preuve en est de la "Petite Etude", pièce brève de guitare classique comme Rick Emmett aime en introduire dans chaque album, ou le goût pour revisiter avec saturation et vélocité le rock’n’roll classique "Hot Time (In This City Night)" : nous sommes dans des passages obligés de l’œuvre du groupe.
Le succès imparable d’Allied Forces a été permis par la composition de morceaux immédiatement accrocheurs, un peu calibrés peut-être : le refrain et la transition à la Toto vers les arpèges de "Say Goodbye" ou encore l’hymne pour stade qu’est "Magic Power" (avec un petit côté Who pour introduire le solo) … Certes, c’est jouer sur les émotions avec quelques facilités, mais c’est plutôt bien fait et Emmett propose toujours des interventions dignes d’intérêt.
Seulement, Allied Forces ne se limite à ces morceaux, et s’il est supérieur à ses deux prédécesseurs, c’est qu’il comporte de superbes compositions de Hard-rock nord-américains bien plus inspirées. L’album s’ouvre d’ailleurs sur le survolté "Fool for Your Love" un très bon titre de Hard-Rock qui navigue entre Bad Company et Ted Nugent, tandis qu’ "Allied Forces" peut faire rougir Scorpions ou UFO dans sa frénésie une fois les combats aériens passés (référence au "Air Raid" qui le précède en tant que mise en bouche).
Comme nous l’avons dit plus tôt, Triumph renoue aussi quelque peu avec de légères touches progressives, et ce sur un titre très typé Rush (le grand frère avec qui ils sont comparés sans cesse), "Ordinary Man". Entre les claviers, les chœurs, le contraste entre la première partie sous forme de ballade et le tournant très speed, il y a une vraie finesse dans l’écriture qui n’égale pas en complexité, évidemment, ni la musique de Rush ni même Rock & Roll Machine (1977) – leur second opus. Tout se passe comme s'ils diffusaient très subtilement leur savoir-faire en la matière pour demeurer à la portée du premier auditeur tout en proposant quelque chose d’un peu plus élaboré.
Cela culmine dans le plus beau titre d’Allied Forces, "Fight the Good Fight". Là encore, les liens avec Rush sont sensibles (dans certaines ruptures rythmiques, dans le chant – plus que sur tout autre morceau, dans l’introduction) mais Triumph demeure dans ce qu’il sait faire de mieux, un Hard-rock mélodique, très prenant, et ingénieux. On n’évoquera l’excellent solo d’Emmett que pour son clin-d’œil à "Stairway to Heaven" assez évident.
S’il n’y en avait qu’un à retenir, ce serait celui-ci tant Triumph parvient ici à trouver comment exprimer de façon optimale son esthétique propre. Il s’agit d’une sorte d’aboutissement décliné en une belle série de titres de premier choix. De quoi mesurer la dimension véritable d’un groupe trop vite écarté de la grande histoire.
A écouter : "Fight the Good Fight", "Allied Forces", "Ordinary Man"