↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.

Hellfest, Troisième Jour: Sous le sable de la Terrorizer Tent


Geoffroy, le 22/07/2010

Passion brulante et bassins de mercure: Garcia Plays Kyuss.

Garcia Plays Kyuss


Les tics nerveux commencent à apparaître. C’est d’abord les pieds qui tapent la grille de fer, les premiers à être impatients. Puis c’est tout le corps qui se met à trembler avant d’entendre les classiques vulgarités qui accompagnent la terrible attente, frénétiquement répétées pour canaliser la tension envahissante. Et les lumières s’éteignent. Enfin se tamisent plutôt, puisque personne ne se cache, pas de surprise ce soir, on est en famille. Une communauté massive s’est regroupée sur la droite de la scène, elle aussi impatiente de vivre ce moment unique dont il faudra se souvenir pour toujours. Le guitariste Bruno Fevery, le bassiste Jacques de Haard et le batteur Rob Snijders entrent sur scène d’un même mouvement, chacun s’installant paisiblement derrière son instrument comme s’ils ne se considéraient pas la cause de l’orage qui les accueille sous la Terrorizer Tent et se préparent à lancer les premiers soubresauts de la fièvre.

Dés les premières notes de "Asteroid", la tente est en fusion, et l’on est en doit de se poser des questions: après tout, nul membre de Kyuss n’est encore sur scène et ce qui est en train de balancer l’un des plus sévères instrumentaux de tous les temps n’est finalement qu’un ersatz de la composition originelle. Serait-ce donc un travers de se sentir transcender par une simple reprise ? Simplement, il est possible que Kyuss soit suffisamment entré dans la légende pour que la moindre interprétation devienne une raison de chialer, alors quand John Garcia se pointe…

Sous l’intro sinueuse de Blues For The Red Sun, le chanteur aux lames de rasoir se fend d’un sourire et d’un regard significatifs, témoins du plaisir qui le traverse face à ce public, les yeux écarquillés, prêt à entonner le moindre refrain à ses côtés, comme un seul homme… et "Thumb" est lancée, véritable char d’assaut au groove dantesque et au psychédélisme suintant voyant Garcia éructer de sa voix rauque et sensuelle au son de cette rythmique lourde et de ces lignes sabbatiques, s’insinuant dans l’esprit pour mieux se lover. Le cœur en prend un coup, saisi de pincements terribles. Et ce n’est que le début.

Ron Snijders envoie sans broncher le beat de "Hurricane", et l’on commence à sentir les limites. Le morceau est lent, un peu trainant, mais il est facile de sentir la difficulté de la retranscription. Le rock est vraiment une question de gestuelle sonore et quand l’identité musicale d’un artiste est trop imposante pour être imitée, ça devient difficile. Josh Homme et Scott Reeder sont de cette trempe, et même si Bruno Fevery s’en sort avec les honneurs malgré une certaine sécheresse, Jacques de Haard galère un peu plus, trop peu fluide pour faire ressentir l’essence des lignes de basse du second bassiste de Kyuss. Mais ceci n’enlève rien à cet orgasme envahissant que ne lâche plus les premiers rangs, assouvis face à un John Garcia atteignant des sommets vocaux, fort de la maturité acquise durant toutes ces années. Il nous offre un "One Inch Man" brillant, s’autorisant de plaisantes improvisations sur les parties instrumentales, chaud comme jamais, comme à la grande époque. Mais là…


« J’aimerais inviter sur ce morceau, mon ami Nick Oliveri ». Le tonnerre gronde. Le chauve chope la basse, se colle contre l’ampli et se retire, limite timide, loin de ses frasques habituelles, comme investi d’un sentiment lointain, effluve d’un temps révolu, envoyant les lourdes fréquences de l’intro de "Freedom Run", sourire aux lèvres. De suite, l’émotion gonfle et prend aux tripes, véritable shoot d’adrénaline et endomorphines exponentiel au nombre de figures originelles sur scène… Déjà l’on se sent privilégié d’assister à un tel évènement, la réunion de deux êtres qui ont engendré quelque chose de dingue, une relique sonore d’un contexte temporel et spatial et d’où ressort une aura incroyable et touchante. Ce sentiment d’effleurer des sensations inconnues. Plus personne ne cligne des yeux,appréciant cet instant comme l’attente d’une vie et qui ne se reproduira plus jamais. Et là encore ce n’est que le début.

Jacques de Haard se remet à l’ouvrage et Bruno Fevery, après quelques mots de Garcia, balance le riff de 'Supa Scoopa & Mighty Scoop', premier extrait vocal de l’album éponyme de Kyuss. Ce couplet tout en tension prépare le chapiteau à l’extase sous l’attaque démentielle du refrain, voyant Garcia donner tout le superbe de sa voix, tenant le public dans le creux de sa main. Le break instrumental est surpuissant, Fevery s’abandonne totalement au solo et Garcia nous entraine à donner tout ce qui est possible sur les blancs du pattern final, jusqu’à extinction de voix.

Jusque là, le quatuor s’est retenu de dévoiler ses facettes calmes et envoutantes, privilégiant les grosses baffes saturées, et "Allen’s Wrench" n’est pas la pour inverser la tendance, offrant à la Terrorizer Tent le break le plus intense de son histoire, tout bonnement hurlé par son public sur les coups de cymbales ravageurs: « Breathe, sooth, take, Jealous wrath » . Garcia exulte, lui l’infirmier vétérinaire mais aussi la part d‘un des groupes les plus légendaires de la musique contemporaine. Kyuss a atteint ce stade ultime qu’apporte le succès d’estime poussé à son paroxysme, un respect éternel de tout musicien en connaissance de cause. Nul besoin d’écumer le monde et remplir les stades pour toucher à l‘absolu, simplement des bonnes personnes et des vraies valeurs, l’amour de la musique et du partage sans égal avec les mecs d‘en face. Et les voilà qui entament "Spaceship Landscape" le chef d’œuvre final de … And The Circus Leaves Town, véritable bombe psychédélique et progressive de dix minutes amenant la foule sur le point de faire une syncope collective avec ce passage transcendant: « Why the finger ? It’s all right, Me and you could, it’s all right… ». Et maintenant ?


« J’aimerais réinviter Nick Oliveri, et… j’aimerais également inviter mon frère, Brant Bjork, c’est d’accord ? »… Ceux qui ont vraiment connu la transe peuvent comprendre ce sentiment de béatitude immense, intarissable, qui survient quand l’espoir de toute une existence arrive à ce point à son terme, dans son expression presque complète. Une fratrie quasi réunie jouant ensemble sur la même scène pour la première fois depuis de longues années, dans un élan de bonheur incommensurable et face à une foule en larmes qui n’a attendu que ce jour… Peut être que c’est la première fois que Nick joue "Gardenia" et oui il s’est planté deux fois dans le riff d’intro, mais qu’est-ce qu’on en à foutre ? Kyuss est là à deux mètres de notre gueule à jouer une œuvre merveilleuse, un monument du binaire, ici, en France, pas en Californie ni à l’autre bout du monde, mais au Hellfest de Clisson. Brant Bjork chatouille ses fûts en grimaçant, retrouvant son groove percussif et sensuel, laissant le champ à Bruno Fevery de remplir son difficile rôle à la perfection et offrir à "Gardenia" un solo à sa hauteur pour la minute d’après envoyer valser le riff de "Green Machine", nous lançant en pleine tronche pour la seconde fois de la journée le solo de basse de Nick Oliveri et servant un John Garcia en pleine extase, faisant chanter son public, et donnant le dernier refrain au Brother Bjork: « I’m a loadin’, loadin’ my war machine… ». Et la fratrie de s’enlacer après de trop brèves retrouvailles et un salut sincère, trop beau pour être amer en pensant que ce connard de rouquin n’a même pas daigné participer à cet émouvant moment de grâce et d’amitié. Grandiose.

Pas le temps de se reposer… Les Hollandais reprennent leur place et se préparent à jouer le dernier acte de ce concert mythique, dévoilant devant la foule ébahie les accords de "100°", courte et intense explosion saturée qui ne fait que relancer la folle pression. Les membres du staff et les groupes de la journée sont à fond sur le côté de la scène, dansant dans une transe inépuisable comme à l‘époque des Generator Parties, conscients de la valeur sans nom de ces instants. « J’aimerais dédicacer ce morceau à mon manager, Ram, pour tout ce qu’il fait pour moi. Ram cette chanson est pour toi ». Jacques de Haard met du cœur à l’ouvrage malgré sa sécheresse et débute la ligne de basse clinquante et désarticulée de "El Rodeo", dernier témoin du dernier album de Kyuss ce soir. Le public n’est plus vraiment définissable à ce stade du concert, partagé entre contemplation béate et expression physique minimale, totalement possédé par la puissance et la signification de la moindre note, poussé en avant par les éclats vocaux du plus sombre des Desert Sons, fondu dans son élément, dans l’histoire de sa vie.

Puis tout se calme, tout s’apaise. Rob Snijders frappe un beat léger, progressif dans son intensité, et le monde comprend, aussi retourné soit il. La ligne de guitare de Bruno Fevery se mêle à la basse de Jacques de Haard pour un "Whitewater" enflammé, une ode au Soleil brulante comme le sable de Palm Desert, passionnée comme une désillusion. La déferlante de l’ultime morceau de la Vallée Céleste est redoutable, clouant ce qui reste de la Terrorizer Tent au sol, les synapses trop stimulées pour encore pouvoir encaisser ce sommet du psychédélisme et du mysticisme: « Oh Sunshine, Through love and beauty, pass me by, Should I waste my time, In your valley, beneath your skies ». John Garcia lève sa main et prononce d’une voix solennelle un merci profond et sincère, esquissant un sourire transpirant du bonheur ressenti ce soir. Personne n’y croit, après tout, ça ne peut se finir ainsi. La foule gronde, forte de l’énergie retrouvée dans le refus de tout stopper ici, et après quelques minutes, le quatuor remonte sur scène, fier et serein, prêt à offrir un dernier souffle à cette apothéose. Mais Jacques de Haard n’aura qu’à peine le temps de reprendre son instrument. Peine perdue face à l’organisation du Hellfest, déjà mise en retard avec le débordement du groupe sur l’horaire prévu. Garcia se tourne vers son public et s’excuse de tout son être, nous invitant à nous revoir très bientôt et quand les lumières se rallument et que les acteurs ont finalement quitté les planches, on a un goût amer dans la bouche, le sentiment d’avoir été floué, émasculé, coupé en plein orgasme. Encore cinq minutes avant on touchait aux éthers, le monde entier dansait, possédé, et ce vide maintenant. On en sortirait presque déçu. Quand un évènement si précieux se produit, on ne peut l’interrompre sous le prétexte d’un timing serré. On accepte de ne pouvoir le contrôler et de se laisser porter par la transe jusqu’à l’épuisement, jusqu’au bout. Le temps de la faire la part des choses, on finit par pardonner, regrettant l’absence d’Alfredo Hernandez, mais conscient d’avoir été privilégiés le temps d’un heure et quelques, d’un privilège que peu ont connu et connaitront un jour, témoins d’un lieu, d’un instant et de protagonistes qui ont fait de ce contexte l’une plus merveilleuses choses qu’un être puisse ressentir. Merci.




Crédit photos: Shinji












Merci à Shinji et à Greg de Hellfest TV pour leurs photos.
Commentaires
Soyez le premier à réagir à cette publication !