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Albumrock, les 10 ans !


Matt, le 10/10/2011

Fonction : rédac chef

Avec une bonne quinzaine d'années d'existence au compteur, le webzine est un média qui fait progressivement son trou au sein de la jungle du web culturel. Evoluant généralement sans aucun moyen et sans le moindre piston auprès des professionnels de la profession, le webzinat creuse son sillon avec obstination et devient un espace critique récoltant une attention croissante, de la part des lecteurs comme des observateurs. En ma qualité de rédacteur en chef, je suis de plus en plus sollicité par des étudiants en communication, désireux de recueillir mes impressions pour appuyer leurs recherches sur ces (plus tout à fait) nouveaux médias qui tentent de trouver leur place entre le lustre de la presse papier et l'immédiateté grisante de la blogosphère. Comme il est l'heure d'ouvrir les coulisses d'Albumrock en ce dixième anniversaire, j'ai donc pris l'initiative de compiler, classer, relire et réorganiser ces différents entretiens réalisés sur près de trois ans, histoire de révéler au lecteur comment le webzinat se pratique au quotidien mais aussi évoquer des tas d'autres sujets, de la relation avec les attachés de presse à notre vision de la rock critic, en passant par une tentative de définition de notre ligne éditoriale. En espérant m'être montré le plus lucide et le moins rébarbatif possible.


Décrivez-moi votre webzine. Quelles sont ses particularités ?
Albumrock est très classique dans ce qu'il propose, à savoir tout ce qu'on pourra trouver dans un magazine ou un webzine "standard" : chroniques de disques (l'essentiel de notre activité rédactionnelle), dossiers, interviews, compte-rendus de concerts, actualités, une partie forum bien entendu... Nous proposons également des webcasts, de petites émissions en audio (documentaires sur un groupe ou un sujet précis, interviews...) que l'internaute peut écouter en ligne ou télécharger.

Notre petite singularité consiste dans le fait que l'on revendique Albumrock comme une plate-forme d'émergence, pas juste un simple webzine. Nous mettons en avant des groupes non signés par le biais d’une rubrique spéciale (les sélections albumrock), nous organisons des plateaux live (concerts de trois groupes issus de nos sélections à l'International à Paris), nous essayons de les accompagner en leur apportant un soutien médiatique, de les mettre en contact avec des salles… Cela peut se rapprocher de ce que font les Inrocks avec les soirées CQFD. A ma connaissance, aucun autre webzine d'une taille similaire au notre ne propose ce genre d'évènement. Il reste encore beaucoup à faire dans cette voie, nous progressons peu à peu, mais c’est une orientation qui a toujours été voulue depuis la création du webzine. A terme, l’idéal serait de pouvoir scinder le webzine de la plate-forme d’émergence, les deux entités restant dépendantes de l’association (loi 1901) qui les pilote : Kiprocko.

Nous organiser sous l'égide d'une asso loi 1901 nous permet de gérer l'argent que l'on dépense et que l'on gagne sous un cadre légal, garantissant que les bénéfices ne sont pas générés à but lucratif. Chaque membre de la rédaction doit s'acquitter d'une cotisation de 10€/an, ce qui nous permet de sécuriser le financement de l'hébergement, payer le coût des envois de disques ainsi que des petits frais accompagnant notre activité (impression de flyers, organisation des réunions...).

Comment avez-vous découvert Albumrock ?
Comme pas mal de monde je suppose, en tapant le nom d'un album et d'un groupe dans un moteur de recherche, je ne me souviens plus lequel. Albumrock est le premier site sur lequel je suis tombé. Même si je n'aimais pas tout ce qui y était écrit, je m'y suis tout de suite bien senti. Le webzine était ouvert, accueillant, pas comme d'autres qui étaient plutôt snobs et élitistes. Je sentais instinctivement qu'il était piloté par des gens qui avaient à peu près le même âge que moi, qui étaient entrés dans le rock avec les mêmes groupes. J'ai longtemps participé sur le forum en tant que simple lecteur.

Quand et comment avez-vous rejoint l'équipe ?
Je manquais de confiance en moi. L'envie de rejoindre la rédaction me brûlait, mais jamais je n'aurais osé proposer ma candidature directement, c'était impossible, j'aurais eu trop peur qu'on m'envoie balader en ricanant. J'ai donc commencé par rédiger des chroniques de disque que je postais sur le forum, juste pour voir ce que les autres lecteurs pouvaient en penser. Et puis quelques mois plus tard Jérémie, l'un des responsables du site, m'a proposé de rejoindre l'équipe. J'avais du mal à y croire, surtout qu'à l'époque je m'écharpais avec Lilian, un autre fondateur du webzine, au sujet de ses chroniques que je trouvais molles et consensuelles. J'ai donc intégré la rédaction à l'ancienne en somme, comme les critiques le faisaient jadis, par le courrier des lecteurs. A ma connaissance, ça ne s'est passé ainsi qu'avec moi. Tous les autres sont entrés soit parce qu'ils étaient potes avec les administrateurs, soit parce qu'ils ont proposé leur candidature sur la page recrutement. On était en 2005 je crois.

Quelle était l'ambiance au sein de la rédaction à l'époque ?
Albumrock était en pleine transition. Il était encore fidèle à ses débuts, le site des trois membres fondateurs et de leurs potes, chroniquant principalement des sorties mainstream et des groupes de Seine-et-Marne. Nous n'étions qu'une poignée de gens extérieurs au noyau de départ. Elodie avait rejoint le site quelques mois avant moi et occupait le premier poste vraiment officiel de la rédaction, celui de responsable de la communication. Elle nouait des liens avec les maisons de disque, les labels, les agences de comm et commençait à recevoir pas mal de cd promos. Je faisais partie des forces d'appoint destinées à aider les membres originaux à prendre en charge cet afflux de disques. En dehors d'elle, il n'y avait aucun rôle vraiment défini. Jérémie, Lilian et Matthieu étaient les boss, en dehors de ça il n'y avait pas de réelle cohésion dans la vie de la rédaction, pas de réflexion sur la ligne éditoriale, etc... Chacun postait ce qu'il voulait quand il voulait, c'était à la bonne franquette.

Comment avez-vous accédé au poste de rédacteur en chef ?
Au mérite je pense, il faudrait demander à Matthieu. Un an après mon arrivée Jérémie puis Lilian ont quitté le site à quelques mois d'intervalle, ne laissant que Matthieu à la barre. De son côté, Matt avait fait un peu le tour de la dimension purement rédactionnelle du webzine. Chroniquer des disques, ça n'était plus pour lui. Il préférait se concentrer sur la promotion et l'accompagnement des nouveaux talents, les futures sélections Albumrock en fait, une idée qui n'avait été jusque là qu'un vague projet. Matt a donc voulu réorganiser la rédaction, donner des responsabilités à certains membres, cadrer un peu plus les choses. Ça a été le débat le plus houleux auquel j'ai assisté depuis que je suis sur le site. La question était en gros : est-ce qu'on continue à être une bande de potes qui se fait plaisir ou bien est-ce qu'on structure l'équipe de façon un peu plus "professionnelle" ? Le mot était lâché. Pas mal d'anciens membres, les potes des fondateurs qui venaient de partir, ne comprenaient pas ce qui se passait et ont préféré plier bagages.

On a commencé à poser quelques règles, à fixer un rythme de publication, des objectifs éditoriaux pour peu à peu fonctionner comme une rédaction classique. Comme je publiais pas mal de papiers, j'ai été bombardé rédacteur en chef. Mais à l'époque, mon rôle consistait principalement à décider quel jour mettre en ligne tel ou tel article, je n'avais pas vraiment d'influence sur la ligne éditoriale ou sur l'organisation du contenu, ça n'était pas très intéressant. Quelques mois après, j'ai préféré quitter le poste pour redevenir simple rédacteur. Caroline m'a ensuite remplacé, elle était la seule dans l'équipe à être une vraie journaliste par ailleurs. Elle a donné un peu plus de poids à son poste mais son job lui prenant trop de temps, elle a également quitté le site quelques temps après. Je suis alors redevenu rédacteur en chef, avec cette fois-ci un peu plus de responsabilités. J'occupe la place depuis 2007.

En quoi consiste concrètement votre rôle de rédacteur en chef ?
Mon rôle est moins déterminant que celui que peut avoir le rédac chef d'un magazine papier, lequel impose véritablement sa vision, quels groupes mettre en valeur, quelle priorité donner à tel ou tel genre. On ne peut pas vraiment reproduire ce modèle hiérarchique sur un site bénévole. Les gens viennent écrire gratuitement et sur leur temps libre, ils ont déjà des comptes à rendre devant leur patron ou leurs profs, je ne vais pas me mettre en plus sur leur dos. Je me vois plutôt comme un animateur de la vie rédactionnelle, je fais en sorte qu'il y ait constamment des projets communs, que l'équipe soit en activité continue.

A Albumrock, nous n'imposons jamais le choix d'un article à nos rédacteurs. Chacun écrit sur ce qu'il veut, tant qu'on reste dans les bornes de l'esprit rock, c'est aussi vague que ça. Je fais un point mensuel où je donne une liste de disques que j'estime intéressants de chroniquer, je lance des projets de dossiers... Y participe qui veut. Je m'occupe également du recrutement, j'établis les profils qu'on recherche, je choisis les articles à mettre en ligne, je les relis et les corrige. Je cumule les fonctions de rédacteur en chef, secrétaire de rédaction et DRH en gros, et rend compte de mes projets à Matt, qui reste le patron et tranche en dernière instance. Disons que je fais en sorte qu'il y ait régulièrement quelque chose à lire sur Albumrock qui soit de la meilleure qualité possible et fidèle à la ligne éditoriale.

Et cette ligne éditoriale justement, en quoi consiste-t-elle ?
Là encore, c'est beaucoup plus flou que pour la presse papier. Albumrock ne revendique pas un ton particulier, des groupes ou des scènes à défendre mordicus plus que les autres, une certaine idée du rock à laquelle chacun devrait se soumettre... Depuis ses débuts, le webzine a toujours voulu traiter tout le spectre de cette musique, de la pop au métal, groupes français comme internationaux, de la formation perdue au fin fond de l'Ardèche à Metallica. On essaie de tenir la gageure d'être à la fois accessibles et pointus. Ça peut paraître bateau, mais c'est plus facile à dire qu'à construire dans la pratique quotidienne.

Je déteste l'esprit de chapelles qui règne dans certains magazine et webzines, les private jokes, les clins d'oeil entendus, les gens partageant les mêmes références, sûrs de leur bon goût. On essaie de fuir le snobisme, même si dans le milieu de la rock critic, c'est considéré comme une vertu, un gage de personnalité. Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui, à part les dinosaures des décennies passées, le rock n'est plus vraiment un genre populaire, plutôt un ilot autour duquel gravitent énormément de niches. Le but d'Albumrock est d'en prendre le plus grand nombre possible en compte et de les faire dialoguer, que toutes les sensibilités puissent s'exprimer. Il est assez sain de ne pas laisser des monopoles aux spécialistes, je trouve ça intéressant qu'un rédacteur qui ait plus un tropisme prog que métal parle de Mastodon par exemple. J'essaie d'encourager le plus possible les dossiers collectifs, qu'on puisse aborder un même sujet sur plusieurs angles. Ce qui donne une cohérence à tout ça, c'est le fait qu'on revendique le webzine comme devant traiter majoritairement de l'actualité, on parle à 60 ou 70% de disques ou de rééditions sortis dans les trois derniers mois. Si on ne se raccrochait pas à cette ligne conductrice, je pense que le contenu du site serait beaucoup plus anarchique, beaucoup moins lisible.

Comment recrutez-vous vos rédacteurs ?
Depuis que je gère personnellement le recrutement, j'ai mis fin à la cooptation. Mêmes les amis des membres de l'équipe doivent désormais passer par la procédure standard, parce qu'on a eu quelques problèmes dans le passé avec certaines personnes arrivées directement dans la rédaction parce qu'elles connaissaient déjà quelqu'un. On juge le potentiel, pas les relations, ce qui est finalement plus sain. Sinon, ceux qui désirent rejoindre nos rangs se rendent tout simplement sur la page recrutement. Ils doivent remplir un questionnaire, rédiger une critique de disque et m'envoyer le tout. Je fais un premier tri, en écartant d'emblée les candidatures indigentes. Dès que l'une d'entre elles retient mon attention, même si je ne suis pas convaincu à 100%, je la transmets au reste de l'équipe. On débat, et la personne est retenue après vote. Il m'est arrivé de poser un véto à la décision qui s'était dégagée par la majorité, mais c'est extrêmement rare.

Qu'attendez-vous précisément d'un candidat ?
D'abord, je regarde tout de suite ses goûts, les groupes qu'il revendique. La plupart des candidats pensent que plus ils apparaissent éclectiques, mieux c'est. Or, plutôt que de me submerger sous une avalanche de noms, je préfère qu'ils me disent précisément quels courants ils maitrisent le mieux car mon souci est de voir ce qu'ils pourraient apporter de plus à notre ligne éditoriale. Je sais pertinemment que pour la plupart, ce ne sont pas des monomaniaques obtus, braqués exclusivement sur une seule niche, mais j'ai besoin de savoir laquelle ou lesquelles ils maîtrisent le mieux. En réalité, beaucoup de postulants me donnent l'impression de ne pas avoir véritablement pris connaissance du site, de ses articles comme de sa ligne éditoriale avant de proposer leurs services.

Ensuite et surtout, je lis la chronique. En quelques phrases, on sait à peu près déjà si on va retenir la personne ou non. Je dois bien avouer qu'une fois sur deux, pour être gentil, c'est un festival de fautes d'orthographe et de grammaire, le disque est abordé titre par titre comme si on lisait un menu, avec paraphrases et répétitions à foison, une écriture blog dans le sens péjoratif du terme... Là encore, beaucoup de candidats semblent bâcler leur chronique, ce que je n'ai jamais compris, c'est quand même la base de la pratique ! Lorsque Matt a repris seul la direction du site, l'objectif était de proposer un nouvel article par jour environ. Il fallait étoffer l'effectif de la rédaction, du coup on était moins regardants sur la qualité. On pouvait vraiment développer une écriture au fil du temps. Maintenant que l'équipe a atteint sa masse critique, on est beaucoup plus exigeants, désormais on prend des personnes qui ont déjà un minimum de pratique derrière elles. On ne demande pas non plus qu'on sorte les grandes orgues ou qu'on étale un style particulièrement grandiloquent, juste un texte agréable à lire, clair, qui témoigne d'une réelle personnalité. Mine de rien, ce genre de profil ne court pas les rues. Si la chronique test est bien écrite, on prendra de toute façon le candidat, même s'il se propose sur des groupes que l'on couvre déjà correctement.

Enfin, quand le postulant nous intéresse, je lui expose le rythme de travail attendu : deux chroniques ou un article plus long comme un dossier ou une interview par mois. Ça fait un peu scolaire, mais c'est une façon de le prévenir que si c'est pour poster un petit billet tous les six mois, ça n'est pas la peine. Je ne saute pas pour autant sur un rédacteur en lui criant : "Hé, tu n'as pas fait ton quota du mois de mars !" C'est juste un moyen de lui faire comprendre qu'il fait partie d'une équipe et qu'Albumrock a besoin qu'on s'implique un minimum. Après, chacun habite la fonction comme il l'entend, selon s'il préfère les interviews, les compte-rendus de concert, les chroniques de disque... Je ne censure jamais les avis, la liberté de ton est quasi-totale tant que l'on n'est pas dans l'insulte pure et simple. A vrai dire, la rédaction est si diverse que je valide bien des papiers avec lesquels je ne suis personnellement pas d'accord du tout ! Il m'arrive parfois de demander à ce qu'un article soit étoffé au-delà de deux petits paragraphes, mais dans l'ensemble c'est tout. On n'exige pas de brillants papiers fleuves, on dit juste : fait ce que tu peux, mais fais-le bien et fais-le régulièrement.

Quel serait le portrait robot de vos rédacteurs ?
Impossible de donner une idée générale, car la rédaction est très diverse. Il y a deux ans, la benjamine avait 15 ans, aujourd'hui, le plus jeune membre doit avoir 18-19 ans, le plus vieux la quarantaine/cinquantaine. Pour l'essentiel, la fourchette se situe aux alentours des 25-30 ans. On a beaucoup de filles dans l'équipe, au niveau des rédacteurs on est pratiquement à parité, même si je n'ai jamais visé ce genre d'objectif. Je ne sais pas pourquoi on attire tant de filles, je n'ai jamais su me l'expliquer. Au niveau de la répartition géographique, c'est également très éclaté, on a des rédacteurs partout. A part les responsables du site, on n'a personne sur Paris par exemple. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Avantage parce qu'on a une très bonne visibilité des scènes locales et qu'on peut potentiellement couvrir n'importe quel événement sur le territoire, un inconvénient parce que centralisme français oblige, beaucoup de groupes étrangers ne viennent jouer qu'une fois, et c'est à la capitale. Pour la promo aussi, ça se passe essentiellement à Paris. Donc quand on veut couvrir l'actualité c'est un peu un handicap. Pourquoi n'attire-t-on pas de parisiens ? C'est également un mystère. Albumrock est peut-être perçu comme un webzine de péquenots et de gonzesses, je ne sais pas.

Comment s'organise la vie de la rédaction au quotidien ?
Tout se fait principalement sur le net. Chaque membre dispose de codes de connexion spécifiques qui lui donnent accès à la partie admin du forum, invisible pour les lecteurs, sur laquelle on décide des projets en cours, des disques à chroniquer, etc... L'essentiel de la communication interne se passe là. Sinon on se contacte par mail, téléphone, visio-conférence... On cale une réunion par trimestre sur Paris avec Matt, la responsable comm et Josselin, le responsable des sélections. Ceux qui peuvent venir sont les bienvenus. Pour ma part, j'aimerais bien pouvoir dialoguer avec l'équipe en chair et en os plus souvent. On organise une grande réunion annuelle en province pour qu'on puisse faire connaissance autrement que devant un écran, mais dans le meilleur des cas seul un petit tiers de l'effectif se déplace. Un webzine, c'est aussi et avant tout une aventure humaine, le virtuel ça va un moment. Par exemple, je n'ai jamais vu Jérôme de visu. Pourtant, c'est un pilier de la rédaction, il est là depuis des années. Mais comme il vit à Toulouse, je ne lui parlerai peut-être jamais en face. J'aimerais disposer d'un local, d'un point d'ancrage où les rédacteurs puissent passer de temps en temps. On écouterait les disques qui nous arrivent, on s'engueulerait, on s'échangerait nos points de vue... J'envie beaucoup les magazines pour ça. C'est vraiment ça mon plus grand rêve, pas de maximiser les connections à tout prix.

Quelles différences y-a-t'il entre un webzine et un blog ?
Les webzines supposent une équipe, une certaine hiérarchie, une ligne éditoriale (aussi lâche soit-elle), tandis que les blogs se confondent plus étroitement avec la singularité de leurs auteurs. Sur un blog, on peut dire "je", se contenter de quelques phrases pour introduire un groupe et laisser ensuite un lien vers une vidéo, on peut donner à sa page un aspect plus fourre-tout. Sur un webzine, le choix du sujet d'un article et sa mise en forme sont plus "cadrés". Cela dit, certains blogs valent franchement le coup de clic, et d’ailleurs quelques blogs collectifs soutiennent franchement la comparaison avec les meilleurs webzines. Structurellement, nous sommes finalement plus proches du fanzinat dont on constitue la principale filiation, même si la ligne éditoriale volontairement ouverte d'Albumrock nous rapproche plus des magazines rock généralistes sur ce point. Les webzines proposent donc en général une écriture dont les codes datent davantage de l'ère pré-Internet que le style plus immédiat et épidermique du blog.

Sur quel modèle économique fonctionnez-vous ?
Tout simplement sur celui du bénévolat, comme tous les autres webzines je suppose. Les cotisations des membres nous servent à sécuriser les frais d'hébergement et l'achat du nom de domaine. Nous ne générons pas assez de trafic pour intéresser les annonceurs, les rares campagnes que nous parvenons à décrocher permettent de mettre un peu de beurre dans les épinards de temps en temps. Evoluer sans contraintes de rentabilité et sans avoir de compte à rendre à des partenaires financiers est bien entendu la garantie d'une indépendance et d'une liberté de ton totales. Le revers de la médaille, c'est qu'on est du coup amené à se conforter dans nos groupes et genres de prédilection, avec tous les réflexes de fan que cela engendre. Il faut pouvoir trouver la bonne distance, ça n'est pas toujours simple.

Le bénévolat rend quand même la gestion d'une équipe de rédaction un peu difficile au quotidien quand on a l'ambition de proposer quelque chose de régulier et de qualité. Albumrock, et c'est bien normal, passe après le travail ou les études, les copains, la famille... Le temps alloué au webzine rogne forcément sur le temps libre et de nombreux rédacteurs sont rapidement usés. Il faut dire qu'ils ont en moyenne 25 ans, un âge charnière qui correspond souvent à la fin des études et l'entrée dans la vie active, voire à la fondation d'une famille. Les priorités de la vie peuvent changer radicalement au bout de 6 mois. Fatalement, l'équipe comprend un noyau dur de 5-6 personnes très investies sur le site depuis des années et autour, il y a un gros turnover. Beaucoup de nos rédacteurs ne sont réellement actifs qu'une poignée de mois ou pendant un ou deux ans. Il est très délicat de constituer une rédaction stable et totalement concernée, c'est un fait.

Quand les nouveaux rédacteurs arrivent dans l'équipe, ils sont toujours très motivés. De mon côté, je ne leur promets rien d'autre que de la sueur, du sang et des larmes. Si on ne possède pas cette espèce de force qui nous pousse à mettre en mots notre expérience de la musique et si on n'a pas de facilité avec l'écriture permettant d'être efficace pendant le peu de temps qu'on peut allouer au webzine, on décroche rapidement. En dehors de quelques copies promo et quelques places de concert qu'on peut encore grappiller ici ou là, il n'y a aucun bénéfice à retirer du webzinat, pas même une espèce de vague sentiment d'auto-satisfaction car, croyez-moi, tout le monde s'en cogne que vous écriviez dans un webzine, vos amis comme votre famille. Vos textes ne paraitront pas dans les futures anthologies de la rock critic, les labels, les journalistes pro comme les artistes se moquent de ce que vous pouvez écrire, votre expérience ne valorisera votre CV que de façon marginale, au mieux. On peut juste en retirer la satisfaction de participer à un projet honnête et indépendant, et récolter de temps et temps quelques compliments de la part des lecteurs. C'est tout. Une fois ce décor planté, il est certain qu'il faut être quelque part un peu illuminé pour s'investir sérieusement dans ce type de projet. Cela ne nous empêche pas d'avoir régulièrement des candidats, même s'ils n'ont souvent qu'une connaissance vague des réalités dans lesquelles nous évoluons.

Quelles sont vos relations avec les professionnels de la musique (maisons de disques, labels, agences promo) ?
Elles sont différentes selon le degré de notoriété du label ou des artistes que l'agence promeut. Les labels de niche ou les attachées de presse représentant des artistes émergents sont ceux qui nous abordent le plus régulièrement et le plus massivement, car ils savent qu'ils ont très peu de chance d'être couverts par les grands magazines qui évoluent avec leur propres réseaux et affinités. D'où une grosse demande de leur part qu'on ne peut satisfaire. Pour le reste, les majors comme les gros labels et distributeurs indés, nous ne constituons qu'une infime partie de leur stratégie médiatique. Clairement, à leurs yeux, nous ne sommes qu'un média. C'est-à-dire que nous ne sommes bons qu'à relayer leurs sorties de disques, annoncer les tournées, renvoyer vers leurs clips, organiser des jeux-concours. Quand il s'agit de passer à quelque chose qui ressorte plus du journalisme que de l'agence de comm (chroniquer un disque, interviewer un groupe, ce genre de choses exotiques), c'est une toute autre affaire. Nous passons systématiquement après la presse écrite, la télé, la radio, et n'avons accès qu'aux miettes qu'on veut bien nous donner. Si en termes d'audience, on se défend plutôt correctement dans le webzinat indépendant, nous ne recevons pas assez de visiteurs pour devenir réellement attractifs à leur yeux.

Quand je suis arrivé sur le webzine en 2005, on recevait encore assez facilement des copies promos, ce qui était la seule façon de "rémunérer" les rédacteurs. Aujourd'hui, même les plus grosses maisons de disque ont utilisé le prétexte bien commode de la crise du disque pour se contenter de nous donner un code de connexion à un compte streaming nous permettant d'écouter leurs artistes en ligne pendant une durée limitée. Du coup, chroniquer des disques devient moins attractif pour nos rédacteurs et je peux de moins en moins monnayer une critique bien écrite et rendue dans les temps contre un exemplaire promo. Tous les labels ne sont pas dans ce cas, il en reste encore avec lesquels on peut travailler de façon plutôt saine, mais c'est de plus en plus rare. S'ils ont bien compris depuis quelques années que l'actualité musicale passe aussi par le web, leur communication avec les médias indépendants est plutôt décousue, confiée à des stagiaires qui changent tous les 6 mois, rendant difficile l'instauration d'une relation efficace sur le long terme. Au bout du compte, nouer des liens avec eux représente de moins en moins d'intérêt pour nous. Il existe suffisamment de fils d'actu pour relayer les infos qui nous intéressent et d'autre part, les albums sont souvent dévoilés gratuitement peu de temps avant la sortie de l'album sur le Facebook ou le Myspace du groupe. Pour les interviews, on a de plus en plus tendance à contourner les attachés de presse et contacter directement le management de l'artiste sur sa page communautaire, car c'est lui qui accorde les entretiens en dernière instance. C'est une stratégie qui s'avère parfois beaucoup plus payante que de passer sous les fourches caudines du réseau promo.

A leur décharge, il faut bien avouer que depuis le départ d'Elodie, nous avons eu du mal à stabiliser le poste de chargé de comm, un rôle déterminant pour nous car il est l'interface unique entre notre équipe et les pros. Gérer notre fichier de contacts (une bonne soixantaine d'interlocuteurs, sans compter ceux qui viennent nous solliciter de façon ponctuelle) exige un boulot de chien, deux heures par jour à ouvrir les mails, classer, répondre, relancer. Se pose à nouveau le problème du bénévolat en terme d'attractivité et de motivation. Il y a donc un effort à faire des deux côtés pour que les choses se passent mieux, même si, encore une fois, quand on est motivé, on peut tout à fait se débrouiller sans l'aide des attachés de presse. Tout en comprenant sa place dans la hiérarchie médiatique. Autant ne pas espérer passer une heure en tête-à-tête avec Chris Martin ou Bono, bien entendu.

Vous est-il déjà arrivé d'avoir des pressions de la part des labels ou agences de comm ?
Non. Je n'ai pas le souvenir de plainte de leur part quant au contenu d'un papier ou à la dureté d'un avis. Les seuls petits reproches qu'on a pu avoir, c'était qu'on ne chroniquait pas assez leurs artistes. Comme on fonctionne au volontariat et que je n'impose rien à mon équipe, je ne peux garantir qu'on traitera de tel ou tel artiste. Nous ne sommes pas une usine à chroniques, nous fonctionnons au coup de coeur, en fonction de nos goûts. Certains webzines ne sont pas sur la même ligne, tentant de chroniquer absolument tout ce qu'on leur propose, quitte à faire l'impasse sur la qualité et l'honnêteté, dans l'espoir de pouvoir accéder en guise de récompense à des artistes de plus grande notoriété. Je pense qu'ils n'ont rien compris.

Avez-vous des retours de la part des artistes ?
Non. Il faut dire que, rock oblige, la plupart des articles que nous écrivons concernent des groupes anglo-saxons. De toute façon, leur avis ne m'intéresse que moyennement, ils sont partie prenante dans l'affaire après tout. C'est le retour des lecteurs qui m'importe avant tout car c'est à eux qu'on s'adresse.

Est-ce que pour un groupe le copinage peut être un bon moyen d'obtenir un article sur votre webzine ?
Il faudrait être particulièrement naïf, voire carrément stupide, pour croire qu'une chronique sur Albumrock aidera en quoi que ce soit leur ascension médiatique.

Comment vous situez-vous par rapport à l'histoire de la rock critic et ses grandes figures ?
La rock critic est plus un genre littéraire qu'une sous-branche du journalisme, donc on s'inscrit forcément dans une tradition dont les codes ont été forgés avant nous et dont on reprend certains aspects, souvent à notre corps défendant. Dans l'équipe, on doit être une minorité à avoir déjà lu du Lester Bangs ou du Philippe Garnier. Chacun se forme donc une plume à la hussarde, sans forcément revendiquer des pères spirituels. De toute façon, je ne me suis jamais taxé personnellement de rock critic. A Albumrock, on se décrit comme des chroniqueurs ou des rédacteurs. Quand je me présente, je dis que j'écris dans un webzine, c'est tout. Nous avons une vision plutôt modeste du rôle de la critique dans l'univers musical d'aujourd'hui. On ne revendique pas de posture, on ne cherche pas à provoquer la polémique pour provoquer la polémique, on ne se prosterne pas chaque matin devant le portrait d'Hunter Thompson en faisant des ablutions de Jack Daniel's. Les clichés du genre la vie rock'n'roll, la défonce, le danger, c'est totalement éculé. C'est quoi être rock en 20XX, c'est l'une des questions les plus cons que j'ai pu entendre ces dernières années. Ça pousse à surévaluer l'importance d'un Pete Doherty par exemple, dont l'oeuvre est loin d'être mémorable. Alors c'est sûr, pour les critiques qui tiennent actuellement le haut du pavé et qui revendiquent encore l'esprit des rock critics d'antan, voire qui sont des vestiges de cette époque, on est des gueux. On ne soigne pas notre look, on ne manifeste pas de goût pour la distinction. Le noyau dur de la rédaction a forgé ses goûts à partir de Rage Against The Machine, Pearl Jam, Oasis ou Metallica et a construit sa culture à partir de ça, même si on a tous évolué depuis dans nos propres directions. Notre point de départ n'est donc pas très "rock'n'rollement correct" selon les standards de l'intelligencia de la rock critic. Je comprendrais tout à fait qu'un Nicolas Ungemuth nous considère comme des sous-merdes ou que les gens de Gonzai pensent qu'on est un ramassis de couilles molles. Mais bon, on a bien le droit d'exister aussi, on représente une certaine frange du public rock. C'est pas celle qui fréquentait le Gibus, c'est sûr.

Le rock critic renvoie donc à un passé révolu ?
Oui, pour moi le terme même renvoie à quelque chose de disparu depuis les années 80, une figure littéraire, un genre qui s'est épuisé comme le Nouveau Roman, comme du point de vue de son aura, qui n'a cessé de diminuer avec la télé, la radio, les médias de masse, MTV, le marketing, la crise du disque... Ecrire sur la musique aujourd'hui, ce n'est plus du tout pareil.

C'est donc la mort de la critique ?
Non, il y aura toujours de la critique, car il y aura toujours besoin de passeurs, d'instances de légitimation. Elle est juste marginale, atomisée et vit dans une quasi-absence de moyens, notamment sur le net, mais aussi chez bon nombre de titres papier. Je n'aime pas les théories de la dégénérescence. On peut toujours faire de la critique de qualité, écrire des articles de fond, défricher. Il ne faut juste pas s'attendre à ce que sa parole soit bue religieusement, car elle est noyée dans des tas de discours alternatifs. La critique musicale a dû subir une grosse cure d'humilité, ce qui n'est pas plus mal au fond, car elle a été complaisante pendant tant d'années. Combien de fois ai-je pu lire des articles dans lesquels le critique passe plus son temps à décrire son séjour dans un hôtel new-yorkais que de parler musique. Ça continue encore un peu aujourd'hui, et c'est affligeant. Ça n'empêche pas certains critiques de se prendre encore pour des stars, ça me fait bien marrer.

Et puis il y a une idéalisation du passé. Il était pratiquement impossible de trouver le premier album du Velvet Underground en France au moment de sa sortie par exemple. Forcément, la critique avait un impact beaucoup plus extraordinaire qu'aujourd'hui. On fantasmait à partir des articles des albums qu'on ne pourrait écouter que plusieurs mois voire années plus tard. Et puis on ne retient que les meilleures plumes et on oublie les autres. J'ai acheté quelques Rock & Folk de la grande époque chez un bouquiniste et, désolé, c'était loin d'être excellent de la première à la dernière ligne. Ils n'ont pas saisi tout de suite l'importance du punk au moment où il émergeait, le post-punk c'était pas forcément mieux. Quand tu prends l'historique de leurs disques du mois, au moment où déboulaient Joy Division ou Television, ils célébraient les Eagles, Supertramp, Peter Gabriel, le Pink Floyd de The Wall, ce genre de merdes. Même chez les plus grands, tout n'est pas parole d'évangile. Bangs était excellent sur Lou Reed ou les Stooges, mais son article où il se fout de la gueule des Variations n'est pas terrible. Pareil pour Garnier, son compte-rendu du film Yellow Submarine est médiocre. J'ai beaucoup de respect pour les figures tutélaires de la rock critic, et je trouve qu'il est important qu'un magazine comme Rock & Folk continue d'exister et de défende les articles longs, les plumes, les prises de position, même si bon nombre de ses papiers me tombent des yeux. Mais il faut trouver une façon de parler du rock qui soit suffisamment intéressante et actuelle, qui prenne en compte cette musique comme elle est aujourd'hui, et non comme elle devrait être. C'est un peu le cancer de trop de gens de ma génération, qui ne font que geindre en se disant qu'ils sont arrivés trop tard, ils se prosternent devant les sixties et les seventies en pleurnichant "on n'est pas digne, on n'est pas digne !" L'auto-flagellation, ça va un moment, et ça ne mène nulle part.

La critique a donc une position moins centrale qu'hier ?
Oui, c'est normal puisque le rock n'est plus le véhicule privilégié de la jeunesse. On y vient plutôt à l'orée de ses 20 ans maintenant. J'ai parfois peur que le rock devienne une musique élitiste et un peu morte comme le jazz. Aucun groupe ne s'est imposé de façon significative et massive depuis Nirvana, ça fait 20 ans maintenant. Ni la britpop ni le néo-metal, malgré leur succès certain, n'ont pu inverser cette tendance. Je suis moins légitime pour l'affirmer, mais je pense qu'il en est de même également pour le rap et l'électro aujourd'hui. Je pense que tout le monde a un peu fait le tour dans son domaine, chacun a repoussé les murs. Il n'y a plus vraiment d'artistes qui s'affirment massivement au-delà de leur cercle d'initiés. Je pense que c'est plus un problème générationnel que musical. Les jeunes sont aujourd'hui dans une espèce d'hédonisme désespéré et ne construisent plus autant leur identité à partir de la musique. S'ils veulent s'exprimer, c'est à travers Facebook ou MSN que ça se passe, et non plus par le biais d'un artiste élevé au rang d'étendard. Le public qui écoute de la musique est de plus en plus clivé et étanche. Il y a d'un côté la soupe que déverse la télé et la radio contentant ceux pour qui la musique n'est que le papier peint sonore interchangeable de leur quotidien, et de l'autre des tas de niches plus ou moins grosses peuplées de spécialistes, il n'y a plus de groupes qui font la jonction entre ces deux univers.

Aujourd'hui, en dehors de certains groupes de cette époque qui fonctionnent encore auprès des jeunes, ta culture, tu es un peu obligé de te la construire par toi-même. La vague Strokes/Libertines n'a pas vraiment imperméabilisé le grand public. Beaucoup ne connaissent Pete Doherty qu'à travers les rubriques people ou Jamie Hince parce qu'il vient de se marier avec Kate Moss. Le tube qui est resté, c'est "Seven Nation Army", et beaucoup de gamins braillent le riff sans forcément savoir que c'est un groupe qui s'appelle The White Stripes qui l'a écrit. Arcade Fire, Foo Fighters, même Radiohead, ça ne passe pas en journée sur les chaines musicales ou les radios FM. Le rock, tu as besoin d'y être initié par des amis, un père, un oncle, tu as moins de chances de tomber dessus par inadvertance.

Il faut enregistrer ce constat et bâtir une critique qui tienne compte de son époque. Le rock critic n'est plus ce trouvère contant les faits et gestes des grands héros de cette musique. La rock'n'roll way of life ne représente plus rien depuis des lustres, il faudrait quand même commencer à l'enregistrer. Ça reviendra peut-être un jour. En attendant, il y a toujours de très bon disques qui sortent, il faut juste savoir les trouver, dégonfler les baudruches hype, mener des droits d'inventaire, réévaluer les groupes... Aujourd'hui, le critique n'est plus en avance par rapport à ses lecteurs. Tous peuvent découvrir un groupe au même moment et écouter de la musique en même quantité. Une critique qui se résume à un simple j'aime/j'aime pas n'a aucun intérêt car le lecteur n'a que deux coups de clics à donner pour juger lui-même sur pièces. Elle doit pouvoir apporter une valeur ajoutée. Comme il n'y a plus aucun disque qui soit virtuellement inaccessible, il y a une tendance au zapping. On télécharge, on écoute vite-fait et on passe à autre chose. La critique est un moyen d'introduire la longue durée, l'écoute attentive, la mise en perspective. Elle doit pouvoir nourrir le lecteur, lui apporter un éclairage différent, contribuer à l'élargissement de sa culture ou bien la consolider. Il faut avoir ce genre d'ambition, sinon ça n'est pas la peine. Il y a beaucoup à faire si on veut bien faire les choses.

Quelles sont les différences entre écrire sur le web et écrire dans la presse papier ?
Fondamentalement, il n'y a pas de différence dans la pratique. On est juste moins bien lotis sur le web, parce qu'on évolue sans argent, sans reconnaissance de la part des professionnels de la musique. Dès qu'un groupe commence à avoir un peu de notoriété, un écrémage se fait au niveau des médias, et c'est moins facile pour nous d'y avoir accès. On propose moins d'interviews prestigieuses du coup. Il faut sans cesse se battre, car on ne nous apportera jamais rien sur un plateau. En terme d'écriture, et je m'engueule souvent avec Matt à ce sujet, l'exigence doit être la même. Ce n'est pas parce que tu es sur le web que tu dois faire dans la digest culture, des papiers courts avec pas trop de mots compliqués parce qu'on s'adresse à des gens qui vont lire derrière leur écran. Je pars du principe qu'un lecteur intéressé par la musique est prêt à lire des papiers longs, pourvu qu'ils soient intéressants et bien écrits. Sur le web, on a la chance de ne pas avoir des contraintes de place, on peut développer autant qu'on le souhaite, profitons-en ! Il ne faut pas non plus abuser de cette liberté et étaler des tartines pour satisfaire son égo. J'écris souvent des papiers assez longs, et j'espère ne pas tomber dans ce genre de travers, même si je reste persuadé qu'on n'écrit jamais si bien que lorsqu'on se fiche de ce que va en penser le lecteur. C'est un équilibre à trouver.

Pensez-vous que le webzinat constitue une alternative de cette presse rock ?
Je penche plutôt vers le oui, même s'il serait abusif de considérer qu'on puisse se substituer totalement à la presse pro à l'heure actuelle. Pour les raisons que je viens d'exposer, il y a certains papiers (notamment les interviews de groupes influents) que nous ne pouvons pas proposer. Un entretien fleuve de Noel Gallagher ou Iggy Pop, vous le trouverez dans la presse pro ou sur leurs sites web, pas sur un webzine indépendant. On ne jouit pas non plus de la même imprégnation dans le paysage médiatique, contrairement aux Inrocks ou Rock & Folk qui ont un lectorat et une ligne éditoriale bien définis et qui continuent de donner le "la" en matière d'actualité rock dans ce pays, qu'on le veuille ou non. Enfin, même si on publie plus d'actualités et autant voire parfois plus de chroniques de disques, nous proposons aussi moins d'articles de fond. Même s'ils sont peu payés, ceux qui écrivent à Rock & Folk ont quand même conscience d'écrire pour un canard historique, et le fait d'être publié dans ce canard, même s'il n'a plus autant d'importance qu'il y a trente ans, les pousse tout de même à un minimum d'investissement en terme d'écriture et de délais. Difficile pour Albumrock d'exercer la même contrainte symbolique sur son équipe, parce qu'on n'a pas la même aura. Je n'ai jamais publié un dossier à sa date prévue initialement par exemple, et je dois toujours harceler mon équipe pour qu'elle rende ses papiers dans un délai raisonnable. Donc il nous est très difficile de proposer une offre rédactionnelle aussi étoffée. Dans un magazine standard, on trouve au minimum, en plus des actualités, des chroniques de disques et des compte-rendus de concert, une dizaine d'interviews, 2-3 dossiers, un ou deux reportages. Sur Albumrock, on doit proposer deux ou trois articles de ce type par mois, au maximum.

Sur le plan de la ligne éditoriale, il faut bien s'entendre sur ce que le terme alternative peut bien signifier. Chez beaucoup de webzines, et je nous inclus dans le lot parce qu'est c'est ainsi qu'on s'est défini à nos débuts, la ligne éditoriale consiste simplement à s'opposer à ce que défendent les titres papiers. On va ainsi descendre un album encensé par la presse pro ou s'attaquer à la façon dont ils traitent tel artiste ou tel courant. Or, le Inrocks bashing, même si c'est très tentant, surtout pour moi qui n'ai jamais aimé ce journal, ça ne mène pas loin au final, surtout si on prétend constituer une alternative. On ne construit pas que sur le contre, il faut au moins autant proposer que s'opposer pour être crédible. Si on prend les buzz de ces derniers mois, on a fait un dossier sur les Vaccines, présentés comme les sauveurs du rock anglais par la presse. Nicolas a fait un bon boulot, il ne s'est pas limité à une chronique disant : "regardez ce groupe de nases glorifiés par ces journaux grabataires", il a problématisé et interrogé l'émergence de ce type de hype. C'est très bien, mais il faudrait remettre ça maintenant avec Wu Lyf, on ne va pas continuer indéfiniment ainsi. On ne peut pas se contenter de passer les plats, chroniquer les disques qui font le buzz en cherchant la posture adéquate, il faut également faire un travail de défrichage de notre côté, trouver et mettre en valeur des artistes ou des labels qui passent habituellement sous les radars de la presse, et ainsi avoir la légitimité de dire : Wu Lyf ne mérite pas autant d'attention, nous n'en parlerons pas, l'actualité se joue avec d'autres groupes. Pour arriver à ce résultat, il faut une équipe de véritables soldats hyper volontaires et hyper productifs qui ont leurs antennes partout et savent se construire une culture et une vision en dehors de ce que pré-mâchent les attachés de presse. On retombe sur l'inertie du bénévolat : ce genre de perles rares ne courent pas les rues. Il y a donc encore pas mal de marge, aussi bien qualitativement que quantitativement, avant que l'on puisse se vanter de pouvoir constituer une véritable alternative. Les choses progressent peu à peu. Néanmoins, et je le dis sans vanité, il nous arrive ponctuellement, sur tel artiste ou tel article d'être meilleurs que la presse pro.

Cela dit, ça n'est qu'une impression et je ne peux pas vraiment le prouver, mais j'ai la sensation que notre lectorat n'est pas tout à fait le même que celui de la presse papier, on est lu par des publics qui ne se recoupent pas forcément. Rock & Folk vise les jeunes romantiques qui découvrent le rock en mode Pete Doherty et les cinquantenaires nostalgiques qui collectionnent les bootlegs de Dylan, les Inrocks s'adressent aux trentenaires/quarantenaires branchés. En dehors des journaux de niche avec leurs mérites et leurs limites (Noise, Vox Pop, X-Roads, Magic...), il y a toute une frange du public qui ne se trouve pas concernée par toute cette presse. Je ne pense pas qu'on "pique" tellement de lecteurs à ces magazines, on trouve écho auprès d'un lectorat qui ne les aurait pas ou peu lus de toute façon.

Que pensez-vous des blâmes émis par les critiques professionnels à l'égard des blogs et autres sites de critique amateurs ?
Je ne sais pas. Les remises en cause que j'ai pu lire étaient trop vagues. On se sait pas vraiment qui ils visent quand ils s'attaquent à Internet. Les blogs ? Les forums ? Wikipedia ? Ce sont des lieux tellement différents où des personnes très différentes s'expriment de tas de manières différentes sur des sujets très différents, alors... C'est comme si je m'en prenais à la presse sans faire de distinction entre les quotidiens nationaux et régionaux, la presse people ou les magazines spécialisés, c'est absurde. Je vois rarement les pros prendre spécialement en grippe les webzines cela dit. Je pense qu'ils ont à notre égard la même condescendance qu'ils manifestaient hier à l'encontre des fanzines. On n'est pas des professionnels, notre poids médiatique est très relatif, donc on n'est rien, on n'existe pas. Je n'ai jamais attendu la moindre reconnaissance de leur part et je pense que personne dans l'équipe n'a le rêve d'aller écrire un jour chez eux. Donc chacun suit sa route. Ce qui compte à mes yeux, c'est la légitimité qu'accordent les lecteurs à ce que nous écrivons, c'est leur avis qui m'intéresse. Ce sont eux qui permettront au webzinat d'avoir à terme une voix audible.

Quel bilan faites-vous de l'évolution du webzinat jusqu'ici ?
C'est un média qui existe depuis plus de 10 ans maintenant, il est arrivé à une certaine maturité. Certains webzines proposent avec le temps une excellente base de données critique. On peut réellement dresser un panorama détaillé du rock de la dernière décennie grâce à eux. J'espère qu'on fait partie du lot. Après, il n'y en a aucun qui se soit vraiment imposé de façon significative. Il y a des webzines nés durant la seconde moitié des années 90 qui se sont durablement installés dans le paysage, comme Pop News ou W-Fenec, d'autres comme Gonzaï qui se sont rapidement taillé une réputation, mais les sites réalisant les plus grosses audiences restent les déclinaisons des titres papiers, comme lesinrocks.com ou magicrpm.com. Il n'y a pas d'équivalent français de Pitchfork, sinon des webzines culturels beaucoup plus généralistes, où le rock est traité de façon marginale, noyé au milieu du cinéma, de la littérature, des sujets de société. Peut-être parce que c'est une musique qui est toujours restée moins populaire en France que chez nos voisins.

D'après vous, comment évoluera la critique musicale d'ici quelques années ?
Très difficile de se lancer dans ce genre de considérations. Ce dont je reste plus ou moins persuadé, c'est qu'on trouvera toujours de la critique sous forme papier. La résurgence du vinyle depuis quelques années prouve que l'amateur de musique aura toujours besoin d'un support physique. De même, il voudra toujours trouver un magazine qu'il pourra tenir dans ses mains, avec une belle maquette, de belles photos et des sujets approfondis. En clair je ne vois pas disparaître des institutions comme Rock & Folk. Les ventes ne seront plus jamais ce qu'elles ont été dans les années 60-70, mais le support existera toujours. Le magazine sera un format luxueux adopté par des fidèles, ce qui est déjà un peu le cas à l'heure actuelle, où acheter Noise ou Vox Pop relève presque de l'acte militant.

Pour ce qui est du webzinat la question reste entière. Je ne sais pas si c'est un média qui génèrera un jour assez d'argent au point de se poser la question de sa professionnalisation. A mon avis, il faut faire le deuil de l'idée d'un webzinat fonctionnant sur un véritable modèle économique, c'est plutôt vers des partenariats nous permettant de multiplier notre présence médiatique qu'il faut se tourner. En terme d'écriture, je ne suis pas sûr que le fait d'évoluer sur un support multimédia bouleverse véritablement la pratique. La vertu des hypertextes, c'est que l'on peut renvoyer à des sources précises et installer un dialogue avec d'autres articles, des vidéos, des morceaux... Mais en fin de compte, la critique reste une activité purement écrite, formellement, elle n'a pas tellement changé depuis l'âge d'or de Creem et de Rolling Stone. Fatalement, la critique épousera la manière dont la musique sera vécue et consommée dans l'avenir. Je la vois plus changer d'objet que de forme. Par exemple, maintenant que, la dématérialisation aidant, la sortie d'un disque n'est plus vraiment le rendez-vous privilégié des artistes avec le public, plutôt la mise en ligne de nouveaux morceaux, peut-être que l'exercice de la critique de disque n'existera plus dans quelques années, sauf pour les oldies, au profit de papiers plus généraux et transversaux. On vit une époque de transition, donc il est difficile de prédire ce qui se passera dans les 10 prochaines années. Evoluant sur le web, on a la chance d'être à l'avant-poste de ces changements. Après, peut-être qu'à terme nous deviendrons tous une page Facebook, j'en sais rien.

Considérez-vous les autres webzines comme des concurrents ?
Non. On n'est pas dans le cas de la presse papier, où l'on peut à la rigueur considérer que les 6 euros investis dans un Rock & Folk sont autant qu'on ne mettra pas pour acheter les dernier Magic. Sur le webzinat rock, personne à ma connaissance n'est sur le modèle payant, donc les internautes papillonnent en fonction des groupes traités et de leurs affinités avec tel ou tel rédacteur. Je suis moi-même un lecteur régulier d'autres webzines, il y en a que j'apprécie beaucoup. Evidemment, comme je suis parti pris dans l'affaire, il m'arrive de me dire : "putain, ils ont réussi à interviewer ce groupe", "on aurait aussi dû parler de ce disque" ou encore : "Wouah, il écrit bien, lui, pourquoi il est pas venu postuler chez nous ?" Je connais quelques autres rédac chef, et honnêtement personne ne cherche à écraser l'autre. Il y a une émulation plutôt saine en fin de compte.

L'utopie ne serait-elle pas de fédérer les meilleurs webzines pour créer un média susceptible de concurrencer les titres papiers ?
Créer un Pitchfork français ? Ce n'est pas l'ambition d'Albumrock, et je pense que la plupart de nos collègues sont de notre avis. L'un des plaisirs de bosser sur un webzine, c'est de pouvoir construire et faire évoluer une ligne éditoriale avec une liberté que ne nous autoriseraient jamais la presse papier. Je pense qu'associer plusieurs rédacteurs en chefs au sein d'un même média provoquerait une belle querelle d'égos. Par contre, il est tout à fait possible d'envisager des projets collaboratifs auxquels participeraient plusieurs webzines, des rendez-vous réguliers sous forme de podcasts, voire des émissions vidéo, il m'arrive d'y songer. Même si nous sommes tous trop débordés chacun de notre côté pour y réfléchir sérieusement à court terme, c'est une piste à creuser.

Quel regard avez-vous sur l'évolution de votre webzine depuis sa création ?
Je ne saurais pas répondre. Je suis toujours extrêmement critique sur ce qu'on produit, je ne suis jamais satisfait. Je ne vois que les groupes et les genres que l'on ne traite pas ou pas assez, les papiers qui arrivent trop tard, le manque d'articles de fond, les membres démotivés... Je pense qu'Albumrock est encore loin d'avoir atteint l'idéal éditorial que je lui ai fixé. Même s'il est utopique et un peu glauque de croire que notre site puisse à terme prendre en considération tout le spectre de ce qu'on produit aujourd'hui sous le terme générique de rock, je suis persuadé que la marge de progression reste importante. Etre éternellement insatisfait pousse à se remettre en question et ne jamais se reposer sur ses acquis, ce qui reste au fond un bon moteur pour continuer à avancer. S'il m'arrive parfois de me demander pourquoi j'investis autant d'énergie et de temps dans cette activité, je me rassure en regardant les progrès accomplis depuis nos débuts. Je pense qu'on peut dire de façon à peu près objective que, aussi bien qualitativement que quantitativement, on s'améliore. Ou on est moins pires qu'avant, selon ce que chacun pense de ce qu'on produit. Cela fait six ans que je bosse sur ce média et, franchement, le positif l'emporte tout de même largement sur le reste. J'ai fait de belles rencontres, des musiciens hilarants, des mélomanes passionnants, quelques concerts mémorables et je remercie Jérémie de m'avoir embauché car je n'aurais probablement pas connu tout ça si on n'était pas allé me chercher. Quand on est fondu de musique et qu'on aime écrire, le webzinat reste une épopée qui mérite d'être vécue.
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