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Jello Biafra
Alors que les indignés de tous âges essaient d'éveiller à nouveaux nos consciences enfouies sous le matraquage politique et médiatique et émoussées par notre nombrilisme quotidien, un concert de Jello Biafra est forcément un événement. Vieux routier de la révolte, il nous secoue les puces avec ses "protest song". Et puis, quand on va voir un concert de punk, autant aller voir du bon punk, ce n'est déjà pas facile de renouer avec ce style qui nous a fait tant pogoter à la fin des 80's... Les groupes de punk actuel, (de "punk-ados" ?), ont quand même du mal à nous faire frémir comme l'ont fait leurs redoutables ancêtres vauriens, Ramones, Clash et autres Sex Pistols...
Jello, c'est déjà un mythe : Tombé dans la marmite du militantisme et de l'engagement social et politique quand il était petit, avec des parents travailleurs sociaux, il a été marqué par les images de l'assassinat de Kennedy et bouleversé par la tragédie du Biafra. Il va en faire son pseudonyme, lui accolant son prénom comme un paradoxe (Jell-o est une marque de gelée alimentaire) . Cet activiste va s'engager sur fond de guerre du Vietnam à combattre les gouvernements , les "corporations", les oppresseurs de tous poils : il se présente à la candidature à la mairie de San Franscisco en 1979 (démarche qu'il réitère aux élections présidentielles de 2000 en tant que candidat du Green Party.)
Il découvre le rock au hasard d'une émission de radio, et va choisir la musique punk comme media pour faire passer ses messages : Avec East Bay Ray, il fonde les Dead Kennedys qui se sépareront en 1986, et avec qui il ne restera pas en bons termes. Ils se déchirent à coup de tribunaux pour les droits sur les chansons de l'ex-groupe. Appliquant à la lettre le "Do it Yourself", il fonde en 1979 son propre label "Alternative Tentacles".
Ce 13 juin, direction la scène de la Petite Coopé, juste à la bonne taille pour la rencontre, pas de grande scène, c'est un concert de "club".
C'est Sofy Major qui entame la soirée. Cela faisait un petit moment que le groupe de hardcore clermontois ne trainait plus ses guêtres par ici, occupés qu'ils étaient par la tournée européenne pour la promotion de leur album Permission to Engage.
L'atmosphère est lourde et pesante dans les parties mid-tempo, qui succèdent à des passages rapides...quelques spots blancs, un maximum de stroboscopes, sale temps pour les photos....mais efficace pour l'accompagnement. Le public est étonnamment calme, en fait très accro au set et très concentré sur la musique assez sophistiquée de Sofy Major. De longs ponts de guitare soutenus par la basse nous laissent le temps d'apprécier leur hardcore progressif, technique et prenant. Triple bravo en passant au batteur !
Les musiciens du Guantanamo School of Medicine se placent sur la scène. Décontractés, il gratouillent leurs guitares et câlinent la batterie. La line-up est de choix : aux guitares Ralph Spight (ex-Victims Family, Freak Accident) et Kimo Ball (Freak Accident, Carneyball Johnson, Griddle), Billy Gould (Faith No More) à la basse, Jon Weiss à la batterie , ce n'est pas du menu fretin.
Premiers accords en douceur , Ralph Spight nous demande le silence, nous enjoint par geste et tout sourire à nous décontracter. Il mime une respiration profonde et calme," be cool"..... et on passe en fracas de 75 à 102 décibels.
Sous le déchainement des guitares et les rafales de la batterie, Jello fait son entrée, blouse blanche couverte de sang .
Pendant que le premier pogo démarre dans la salle, "John Dillinger" retentit.
Les titres vont s'enchainer, issus du dernier opus Audacity of Hype ou plus anciens, certains datant des Dead Kennedys. Dès les premières mesures, c'est le délire sur "California Uber Alles","Holidays in Cambodia" ou" Three Strikes". Les pogos sont d'ailleurs assez violents.
Les titres dopés aux amphétamines alternent avec le spoken word : les textes déclamés sont appuyés par une gestuelle et des expressions du visage que Jello manie avec brio. La fréquentation d'une école de comédie à Santa Cruz, et son expérience de la scène font qu'il excelle dans le langage du corps. Il mime toutes ses chansons : l'homme abruti par son ordinateur et internet, par l'alcool ("Too drunck to Fuck"), le flic méprisant qui fait tourner son sifflet ("Police Truck"), le prisonnier qui clame son innocence ,et se retrouve menottes à la main...et Jello chante, saute, court...
Il nous interpelle : la patrie, l'argent, l'écologie, l'armée et la police, les gouvernants, les banquiers et les businessmen, ses thèmes de prédilections pour ses textes incisifs et féroces "tax the rich people, not the poor people, the rich must pay ". Basique, mais efficace et fédérateur !
Il ne se limite pas qu'aux States : sa tirade sur "Président Sarkozy..." suivie de quelques mots très évocateurs nous fait bien penser que le rebelle quinquagénaire n'est pas véritablement en accord avec notre président.
La mise en scène est simple : pas de jeux de lumière, toute la scène est éclairée, mettant en valeur aussi bien le chanteur que ses musiciens. En fait l'essentiel est ailleurs : le combo de musiciens est discret, en retrait de son frontman qu'il soutient avec une solide présence .
Jello ne laisse rien au hasard : arrivé habillé d'une blouse tâchée de sang (le rapport avec son véritable nom Eric Boucher parait trop simple), ses changements vestimentaires prennent peu à peu du sens : il présente l'homme et la conséquence de ses actes (le sang), suivi par le porte drapeau de la patrie (Biafra exhibe une veste aux couleurs des Etats Unis), puis par le rebelle (tshirt "Democracy we Deliver") , et finit torse nu en criant sa rage.Jello se penche dans la foule, il disparait parfois au milieu de ses fans, pour rejaillir dans un pogo, slamme sur les bras tendus, il témoigne vis à vis du public d'une confiance absolue et se livre à cœur ouvert.
Et c'est là sans doute ce qui nous touche et qui fait que son concert est si enthousiasmant : la congruence, ce gars est tout en congruence : ses messages sont en accord avec le choix du canal, la musique punk, qui colle parfaitement, sa voix, vibrante et claire, son énergie sur scène, sa proximité avec son public, les sentiments qu'il exprime, et....ses actes, ses engagements personnels, qu'il nous explique, nous fait partager. Il ravive la flamme enfouie quelque part tout au fond de notre cerveau reptilien d'adolescent, celle de la rébellion, et on sent le frémissement remonter au bout de nos poings tendus vers la scène.
Deux rappels nous permettent de profiter encore un peu de ce "reborn" en prolongeant le set d'une bonne demi heure, et la soirée se termine comme elle a commencé sur quelques accords tout en douceur...atterrissage....
On bave un peu sur le merchandising à la sortie de la salle, et notamment sur la pochette du vinyle Audacity of Hype, et on repart galvanisés avec des résolutions plein la tête :
Ah oui, c'est promit Jello, demain, ce ne sera pas un jour comme les autres, demain, ce sera comme tu l'as dit : " protest will be stronger, louder and wilder !"
Ou pas.
http://www.myspace.com/jellobiafraandthegsm
http://www.alternativetentacles.com/
http://www.sofymajor.com/