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Billet Albumrock

Edito avril 2016 : vinyle, plaidoyer pour un support... et ses contraintes


Nicolas, le 14/04/2016

D’où l’art d’exploiter une information pour lui faire dire tout et son contraire. On a en effet appris qu’en 2015, joie, les ventes de vinyles avaient dépassé le streaming gratuit en terme de masse financière. Plus exactement, la publicité sur YouTube et/ou Spotify a rapporté 381 millions de dollars (+ 31%) contre 416 millions pour les ventes de LPs (+ 32%). De là à imaginer que la musique dématérialisée a supplanté le streaming, il n’y a qu’un pas que nombreux auront franchi, sauf que le calcul en question ne prend pas en compte les abonnements payants, principale source de revenus des Deezer, Spotify et consorts, sans même parler de la musique dématérialisée dans son ensemble puisque, bien évidemment, les ventes de mp3 via iTunes et autres ne sont pas comptabilisées. Plus amusant encore, si les deux secteurs, streaming gratuit et vinyle, progressent d’une égale manière (31 et 32 %, c’est kif kif bourricot), il y a tout lieu de penser que cette information… se vérifiait déjà l’année dernière. Pourquoi alors gloser là-dessus aujourd’hui ?

 

 

Peut-être pour se donner du baume au coeur, et en cela oui, ce genre d’actualités fait plaisir. Il est un fait que ce face à face compare deux façons radicalement différentes de consommer de la musique. D’un côté une offre gratuite, dématérialisée et par certains côtés virtuelle, ubiquitaire et universelle, accessible partout dans le monde connecté, écoutable à tout instant, sans le moindre effort ni le moindre discernement. D’un autre une proposition payante (et même onéreuse), un support physique fragile, une contrainte spatiale (la platine) et temporelle (la disponibilité pour en profiter) et un investissement intellectuel obligatoire pour trier le bon grain de l’ivraie musicale. Si on ne saurait contester le caractère “pratique” du streaming et le fait qu’il soit abordable pour toutes les bourses, le succès croissant du vinyle tend quant à lui à valoriser une passion noble par bien des aspects.

 

 

Ceux qui s’y sont intéressés le savent : si la distinction entre CD et mp3 n’apparaît pleinement que sur des platines ultra haute définition, et encore à condition que le fichier compressé soit incorrectement encodé (ce qui est aujourd’hui rarement le cas, piratage exclu), le son digital et celui, analogique, du vinyle n’ont absolument rien à voir. J’en ai fait l’expérience récemment, ayant eu l’opportunité de récupérer gratuitement, en vidant quelques greniers à mes heures perdues, un coffret vinyle de Pink Floyd de 1979 (goddam !) et un vieux gramophone Philips. Moyennant une petite remise à neuf des composants électriques via un passionné habitant à une petite demi-heure de voiture, la platine tourne comme au premier jour et Dark Side of the Moon ne s’est jamais montré aussi séduisant. La rondeur, la chaleur du vinyle n’est pas un mythe, c’est une foutue garantie.

 

 

Dès lors, la quête de nouvelles pépites égaie mes moments perdus. Quel plaisir que de redécouvrir intégralement des disques que l’on croyait connaître par coeur, en vrac le MTV Unplugged de Nirvana, le Close to the Edge de Yes, le Master of Reality de Sabbath ou encore Brief Nocturnes & Dreamless Sleep de Spock’s Beard, un album pourtant mineur dans la disco des américains mais qui prend autrement plus aux tripes sur sillons noirs. Il faut dire que le vinyle se montre exigeant. La matériau est auguste et fragile, il demande de l’entretien, de la délicatesse dans la manipulation. On bichonne son acquisition, on la flatte, on l’entrepose avec méticulosité et on l’exhibe avec fierté. Avouez que vous ne regardez même plus les artworks des CD que vous achetez - quand vous en achetez encore - mais en vinyle, quelle classe, non ? Le visuel se fait plus imposant, plus prégnant, il nous accompagne dans l’écoute. Une écoute fixe, dans un fauteuil ou un canapé, à un moment de pause ou de détente. La musique ne se superpose pas à une autre activité, ne se contente pas de combler quelques interstices cérébraux laissés libres en toile de fond dans sa cuisine, en voiture ou dans la rue. Elle se montre intransigeante. Elle demande une attention, une écoute active, et l’on se retrouve à réexplorer consciencieusement ses disques, la pochette à la main, les paroles sous le nez et du rêve plein la tête. Plus question d’écouter un album en boucle sans se poser de question : lorsqu’une face s’arrête, on se lève et on retourne la galette, on fait l’effort, le choix, de poursuivre ou non le voyage. Certes, la passion a un prix. Un album vaut en moyenne 10 euros en mp3 et 12 à 15 euros en CD, mais il faut débourser le double, soit 25 euros, pour un vinyle. Et seulement pour les articles neufs, les éditions originales pouvant s’échanger à un prix parfois nettement supérieur en occasion. Dès lors, on comprend qu’un choix doive être effectué. Plus question d’aller acquérir n’importe quoi : en vinyle, on en veut pour son argent, la daube n’a pas sa place. Mais qu’importe : même s’il me faut réinvestir dans une partie de ma discothèque, j’ai toute la vie devant moi et tant de belles choses à redécouvrir.

 

 

Cette suprématie qualitative du vinyle, les groupes modernes la vivent différemment, même si tous comprennent l’importance qu’elle revêt pour leurs subsides. On a vu Jack White défendre jusqu’à l’obsession l’analogique via Third Man Records, on a vu aussi certains groupes attacher une importance toute particulière à ce support lors de l’enregistrement d’un de leurs albums. Exemple récent avec Black Mountain qui, pour son numéro IV, a essayé de créer une ambiance musicale différente pour chaque face du disque. Mais au-delà de la chaleur du son, du caractère collector de l’objet et de la segmentation en plusieurs faces, ces rockers ont-ils vraiment réussi à saisir le support dans ce qu’il a de plus tyrannique ? Il est vrai que depuis Rubber Soul, les groupes essayent de concevoir des albums composés de morceaux rentrant dans un tout cohérent, quoique souvent différent d’une face à l’autre, et en cela l’équipe de Stephen McBean et d’Amber Webber a bien compris l’idée du disque qu’on se lève pour aller retourner. Pourtant, de façon assez étonnante, IV se décline en double vinyle, soit sur 4 faces. En clair, cet album simple selon les critères actuels aurait été vendu - et vanté - comme un double album s’il était sorti dans les années 70, époque dont la musique de la montagne noire se revendique d’ailleurs assez largement. Bien sûr, la longueur du disque (56 minutes) est loin d’égaler par exemple celle du White Album des Beatles (93 minutes), pour reprendre deux exemples parmi les plus caricaturaux. Alors quoi ?

 

 

Allons plus loin. À quelques minutes prêts, le IV de Black Mountain aurait pu tenir sur deux faces, tout comme celui de Led Zeppelin. Quelques minutes d’élagage, quelques choix supplémentaires qui auraient pu, pourquoi pas, changer radicalement le visage du disque. Les plus grands chef d’oeuvres ont souvent dû se plier à cette contrainte de deux fois 22 minutes, soit en remplissant des espaces vacants, soit en taillant dans le gras de morceaux pantagruéliques. Exemple typique avec Sabbath qui a dû composer le cultissime “Paranoid” dans une urgence absolue pour combler au pied levé la face A du disque éponyme, morceau élaboré, répété et mis en boite en quelques heures à peine. Inversement, les quatre hommes ont du équarrir “Warning” qui, de 15 minutes, s’est retrouvé réduit à 10 pour tenir sur le face B de Black Sabbath… et c’est cette version tronquée que les hommes ont ensuite scrupuleusement reproduite en concert. Les précédents du même genre ne manquent notamment pas dans le milieu progressif, on pourrait citer au hasard Pink Floyd (“The Great Gig In The Sky” ajouté in extremis sur Dark Side et “Shine On You Crazy Diamond” coupé en deux et sérieusement tronqué sur Wish You Were Here), ou encore “Echoes” et “Close To The Edge” occupant une face entière des disques où ils apparaissent respectivement.

 

 

Cette contrainte inhérente au vinyle a aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, complètement disparu, les groupes de rock ne se privant pas d’allonger la sauce et de bourrer au maximum des supports physiques digitaux que, paradoxalement, plus personne n’achète. On en arrive ainsi à des albums de 50-60 minutes, voire davantage (le CD pouvant accueillir, rappelons-le, 75 minutes de musique) qui pourraient être réduits à 40 moyennant un minimum d’autocritique et de cohérence d’ensemble. La structure de la galette noire s’étant elle-même volatilisée, la liberté acquise n’est en rien devenue un gage de qualité. Un bon album est souvent un album court, question de choix et donc d’élagage, mais aussi d’harmonisation et de concentration de l’auditeur, le cerveau décrochant progressivement lorsque l’écoute s’éternise. Plus que le son en lui-même, plus que l’objet physique redevenu moteur de passion, plus qu’un “vintagisme” lucratif qui ne devrait d’ailleurs pas vraiment rentrer en ligne de compte dans l’équation - mais qui y rentre quand même, car qu’on le veuille ou non, il faut bien vivre, Madame Michaux - c’est peut-être cette contrainte temporelle que devrait se réapproprier avant toute autre chose les groupes d’aujourd’hui qui se revendiquent de l’esprit vinyle.

 

 

Des albums plus brefs, des compositions initialement écartées qui ont le temps d’être retravaillées pour un futur album, voire pourquoi pas du matériel supplémentaire sous-tendant, là encore moyennant maturation et labeur, des enregistrements et des sorties plus nombreuses et plus rapprochées comme c’était le cas dans les années 60-70. Il serait bien sûr idiot d’affirmer que la qualité des disques appartenant historiquement au classic rock serait due uniquement à cette contrainte, bien d’autres paramètres entrant en ligne de compte - jubilation d’un style en voie de défrichage, investissement temporel bien plus important des protagonistes, économie rock alors florissante, etc. Mais peut-être s’agirait-il d’un premier pas vers la reconquête d’un support et, par extension, d’un public prompt à l’investir et à le soutenir financièrement. Une redéfinition de l’album à laquelle la communauté rock, plus encore que les autres chapelles musicales, ferait bien de commencer à réfléchir.

 

Terminons cette réflexion en revenant sur un autre bon disque de cette première moitié de 2016, The Astonishing, qui a vu le retour en grâce des prog-métalleux de Dream Theater après bon nombre d’années d’errance. Un double album pourtant obèse qui, du haut de ses 130 minutes, aurait normalement dû se poser comme un triple album sur vinyle et qui, par la force de la segmentation de cet opéra rock en deux actes, se retrouve commercialisé sur sillons sous la forme d’un quadruple album ! Imaginez la taille du coffret… et imaginez surtout un véritable double album, serré, compact, dénué de ses passages mièvres et faiblards. Un disque qui aurait pu être exceptionnel et qui n’est qu’enthousiasmant… en usant fréquemment de la touche skip de notre télécommande (et tant pis pour la galette noire). Bref, si l’âge d’or du vinyle devait revenir, qu’il revienne vraiment et que l’on s’y plie vraiment, sous tous ses aspects y compris ceux qui nous semblent le plus contraignant, et qu’il ne se contente pas de se poser comme argument commercial pour amateurs nostalgiques fortunés. Le support album a véritablement tout à y gagner, et le rock aussi.

Commentaires
Etienne, le 16/04/2016 à 11:01
Tiens une étude parue aujourd'hui sur le sujet: http://pitchfork.com/news/64834-half-of-uk-vinyl-buyers-dont-actually-listen-to-their-lps-survey-finds/ En gros, seuls 52% des gens qui achètent des vinyles utilisent leurs platines de manière régulière. Et 7% des acheteurs de vinyles n'en possèdent pas... Selon leurs propres dires, les acheteurs se considèrent collectionneurs et ne voient dans le vinyle qu'un bel objet.