Certains concepts musicaux échappent aussi bien à leurs créateurs qu'à une définition claire. Prenons la pop, par exemple. Depuis que les Beatles en ont fait un objet de culte, la pop s'est décimée, morcelée, propagée, agitée pour finalement perdre son sens originel dans une multiplicité de sens différents. Mais de tous ces fragments dispersés, certains brillent encore de la lumière de ses aînés. Et c'est quelque part sur ce lopin, qu'est né à Glasgow The Delgados.
Hate est sorti en 2002, et derrière cette pochette et ce nom énigmatique, réside une musique précise, et sans doute pas si éloignée de la figure liverpuldienne. Seulement voilà, si Hate ne se démarque pas par sa technique, ou une originalité frappante, l'album, à la manière d'un tic-tac, recèle sous une apparente froideur un cœur fondant et une ambition insoupçonnable.
Tout d'abord, il faut évoquer les deux voix, celles d'Alun Woodward et d'Emma Pollock. Un gars et une fille dont les voix se ressemblent et qui ne se mélangent pratiquement pas tant la ressemblance camouflerait la superposition. Deux voix qui s'en avoir l'air d'y toucher, s'impliquent à la perfection dans ces mélodies douce-amères. Au-delà de ça, Hate s'est habillé d'un single imparable, le mélancolique "Coming In From The Cold". Tel un tunnel sous-terrain, cette ritournelle pop légère, chantée par la voix pudique d'Emma, déploie en sous-sol des mosquées pirates d'abattement et de rancune. Et cette piquante délicatesse se répercute sur les dix titres de l'album, tissant un cocon de réactions contradictoires : morbide, lumineux, lourd et orchestral. Et paré d'une chorale sur "Woke From Dreaming" ou "The Light Before We Land", l'impact n'est que plus grand, dans les mesures du bon goût.
The Delgados ne tombe jamais dans le pathos, et là où certains pourraient regretter une froideur timide, d'autres peuvent y contempler la finesse des textes et la précision des mélodies. Ici, pas de cathédrales d'émotions ni de pluies diluviennes, mais on érige des clichés de la vie quotidienne, on évoque la solitude, les mauvais choix ou les déceptions habituelles. Et tout l'art des Delgados et de nous faire aimer nos malheurs. C'est cette perversité rendue ludique, dans un sentiment de sécurité absolu qui traîne comme une lame de fond sous nos pieds innocents.
The Delgados a, le temps d'un album, rehaussé les standards de la pop, lui rendant ses lettres de noblesses qu'elle traîne dans la boue de temps en temps. Ce voyage est comme un négatif de tout ce que l'on connaissait déjà, un chemin de l'autre côté du miroir, en témoignent les morceaux "All You need
Is Hate" au titre évocateur, le nébuleux "Child Killers" ou l'essentiel "Never Look At The Sun". C'est comme un panorama de ce qu'il y a en nous de plus mauvais, mis en lumière par des fées.