
Spoon
Lucifer On The Sofa
Produit par Spoon, Mark Rankin, Dave Fridmann, Justin Raisen
1- Held / 2- The Hardest Cut / 3- The Devil & Mister Jones / 4- Wild / 5- My Babe / 6- Feels Alright / 7- On The Radio / 8- Astral Jacket / 9- Satellite / 10- Lucifer On The Sofa


Mené par le charismatique Britt Daniel, le groupe texan de Spoon fait office de référence obscure dans l’indie rock. Référence car il suffit de se plonger dans un des albums de la formation pour se rendre compte du talent et de la facilité à dérouler des titres rock rythmés et imaginatifs, et obscurs, car malgré toutes ces qualités, force est de constater que le plafond de verre de la notoriété grand public n’a pas réellement été percé par nos protagonistes. Il y a bien le titre "The Way You Get By" que nombre d’entre vous auront écouté (entendu ?), sans vraiment savoir ni chercher à savoir qui en était l’auteur. Et bien l’auteur, c’est Spoon, qui, avec Lucifer On The Sofa, propose son dixième album studio, 5 ans après l’ambitieux et plus électronique Hot Thoughts.
D'entrée de jeu, les texans dévoilent leur main : coupe franche sur le rock, riff démoniaque d'inspiration Queens of the Stone Age (on décèle un peu de "No One Knows" sur "Held", qui ouvre le bal). Il s’agit en réalité d’une reprise du culte Bill Callahan (plus précisément de son avatar, Smog), mais la patte Spoon à la mode stoner est bien là. On retrouve en effet à la production de cet opus Mark Rankin, qui officia un temps avec la bande à Josh Homme.
Les guitares sont de sorties et elles ne sont pas prêtes d'être posées sur leur trépied. L'album regorge d'idées mélodiques et de sonorités éclatantes. La distorsion sur "The Hardest Cut" est tranchante à souhait, faisant de gros clins d'œil au surf rock voire même au rockabilly.
La voix de Britt Daniel, sorte de Rod Stewart qui n'aurait pas séché les sessions de tisanes camomille miel pour entretenir son organe, est toujours aussi impeccable, rocailleuse lorsqu'il le faut, mais tout aussi à l'aise sur les passages plus techniques, notamment dans les aiguës.
Ce Lucifer on the Sofa empeste l'amusement, le groove et le rock, comme en témoigne "The Devil & Mr. Jones", qui rappelle le groupe aux plus belles heures de They Want My Soul, un de leurs albums les plus aboutis.
Les singles, "The Hardest Cut" en tête, mais aussi "Wild" et "My Babe" annonçaient la couleur : les texans de Spoon ont affûté les couteaux et proposent peut-être leurs compositions les plus directes, mais aussi les plus inspirées. Ce n'est pas rien lorsque l'on connaît le pédigrée et la remarquable discographie du groupe. "Wild" est le single parfait, un mille feuille instrumental progressif porté par un refrain imparable. Mention spéciale pour les accords de piano apportant le supplément d'élégance à un titre déjà de très bonne facture. Le paradoxe entre progrès apparent associé au modernisme et agressivité du monde en général est mis en avant brillamment. "My Babe", de son côté, remplit pleinement son rôle de déclaration romantique sur fond de garage rock : rien ne semble inaccessible pour le narrateur, emmené par sa passion et les coups de semonce de guitare électrique.
Il y a un petit côté désarçonnant à l'écoute de ce nouveau disque de Spoon : les compositions de Britt Daniel et Alex Fishel semblent ne pouvoir s'enchaîner qu'avec élégance et provoquer un plaisir d'écoute immédiat et non dissimulé. Si on voulait pinailler et aller chercher quelques défauts à l'album, on se concentrerait sur "On The Radio", légèrement plus poussif que les autres morceaux, même si les accords saccadés de piano s'entremêlant avec les guitares distordues ne sont pas dénués d'intérêt et profèrent à l’album une agréable diversité.
La gouaille de Britt Daniel accompagne parfaitement la nonchalance de la chanson terminant le disque, où les synthés et les cuivres distants tissent un tapis sur lequel il fait bon s'allonger, fermer les yeux et se laisser porter, quitte à se retrouver face à face avec les démons qui nous habitent. L’ombre de la pandémie, des confinements et des introspections qui les accompagnent désormais presque traditionnellement est là.
Preuve de la maîtrise parfaite de la cadence à imprimer à un disque, "Satellite" prend tout son temps pour occuper l'espace et proposer des variations rythmiques cassant l'urgence du disque, par ailleurs bien représentée par le brûlot dansant "Feels Alright". Il faut dire que Spoon a en effet laissé tranquillement le titre s'installer dans le répertoire du groupe, "Satellite" ayant été joué en live depuis la tournée post They Want My Soul en 2014.
Sur l’excellent "Astral Jacket", Daniel croone : “In the blink of an eye, you can feel it you can move in light divine”/”en un clin d’oeil, tu peux le sentir, tu peux te retrouver sous la lumière divine”. Il semblerait que, en 10 titres expédiés en 38 minutes de bonheur, Spoon ait en effet été touché par la grâce divine, livrant ici des compositions aussi directes que soignées et intemporelles.
Avec aisance, Spoon apporte sa contribution à la résolution d'une des plus grandes problématiques des groupes de rock : trouver la capacité de se renouveler, tout en conservant la même signature sonore. La constance dans le changement.
Nous ne sommes qu'en février mais voici certainement un des disques de l'année.
A écouter : "Wild", "Feels Alright", "The Hardes Cut"