Un mec parachuté à Los Angeles dans les eighties n’avait nullement besoin de maîtriser toutes les subtilités de la langue de Shakespeare pour profiter dignement du lieu : il lui suffisait de connaître bien évidemment les convenances de base, mais aussi (et surtout) des locutions emblématiques de la scène locale telles que "Fuck you !" ou "Sex, drugs & rock ’n roll". Ces acquis maîtrisés, c’est à la portée de n’importe qui de prendre part à la rock ’n roll party ambiante qui sévissait sur Sunset Strip : entre concerts d'anthologie au Whisky a Go Go et soirées alcoolisées permanentes dans les clubs, L.A. s’est vite établie comme haut lieu incontesté de la fascinante décadence du rock ’n roll. Le hard rock et le heavy metal sont en état de grâce, représentés ici par ce genre bâtard qu’est le glam metal : alliant au son heavy traditionnel une furie empruntée au punk et des riffs teintés d'influences pop, les
Mötley Crüe, Ratt et autres L.A. Guns imposent rapidement leur hégémonie sur la scène musicale locale.
Le genre subit par la suite une évolution vers la fin des eighties : désireux de retourner à un son hard rock plus traditionnel marqué par le blues, ce neo-glam se voit rapidement estampillé
sleaze rock. Représenté par des groupes tels que le
Guns N’ Roses des débuts (à comprendre pré-
Appetite, se référer à la seconde moitié de
Lies qui, pour ceux qui ne le savent pas encore, comprend l’intégralité de son premier EP
Live ?!*@ Like a Suicide), le sleaze, ainsi que son parent glam, connaitra cependant un déclin fulgurant face à un grunge de plus en plus populaire et à l’émergence de l’Alternative Nation.
Celui-ci connaît néanmoins un revival conséquent en Scandinavie, et plus particulièrement en Suède, au début des années 2000, avec Crashdïet et Hardcore Superstar comme figures de proue de ce sleaze revival, entraînant dans sa foulée bon nombre de groupes de sleaze suédois tels que Vains of Jenna ou les Gemini Five.
Voilà donc la situation actuelle : nous ne sommes ni dans les eighties, ni sur Sunset Strip, et pourtant le sleaze continue d’éveiller des vocations, même dans des pays qu’on n’aurait jamais osé citer. Je vous le donne dans le mille : la France a su apporter sa pierre à l’édifice avec un groupe originaire non pas de Paris, mais bien du Rhône-Alpes (comme quoi tout est possible). De manière presqu’intemporelle, Sleekstain joue du sleaze comme on en fait plus, et il le joue bien, avec du riff, du vrai. Non pas du riff cheap comme le ferait Kurt Cobain sur un "Smells Like Teen Spirit", mais bien du riff couillu à la sauce
New York Dolls et Hanoi Rocks. Emmené par un Ryff Raff au registre remarquable, passant aisément d’un octave à l’autre (Axl Rose, si tu nous entends), Sleekstain livre ici un premier album percutant et brillamment produit.
Hard débute sur un "Dead Til’ U Live" on ne peut plus conventionnel, enrichi d’un break à la guitare acoustique du plus bel effet. C’est sur "Call Me God" que les fantômes des eighties se manifestent, boosté par un riff entraînant et un refrain accrocheur et agrémenté (tout comme la quasi-totalité de l’album) d’harmonies typiques empruntées au glam. Suivent dans cette même lignée des "Baby" et "Shoot" totalement cocaïnés et exempts de temps mort, menés tambour battant par une rythmique à faire pogoter un mort.
Clairement, Sleekstain invoque les maîtres :
Kiss est on ne peut plus présent sur le refrain d’un "Hard Rain" lancinant, tandis que
Slash, référence universelle pour tout gratteux de hard rock digne de ce nom, tend l’oreille à l’écoute du solo d'un "Out of Me" diablement efficace et de l'outro de "Drugstar". De même, pari réussi pour l’exercice difficile de la power ballad avec un "Merry Fear" plus introverti et à l'atmosphère mélancolique et hypnotique, offrant quelques instants de répit après l’épique "My Friend Jack" tirant son nom d’un célèbre alcool à 40%. Enfin, c'est sur un hymne glam que Sleekstain termine sa folle cavalcade et clôt les hostilités avec "Gold, Girls N’ Guns".
Pour un premier jet, c’est un coup de maître : même si certains morceaux tirent plus leur épingle du jeu que d'autres, aucun d'entre eux n'est à jeter. En plus de ses refrains fédérateurs et accrocheurs, Hard trouve sa force dans sa production, avec un son loin d’être brouillon sans pour autant être aseptisé. On peine à croire qu’il s’agit là d’une autoproduction, et pourtant il n’y avait ici aucune maison de disque pour aligner les liasses de dollz sur la table comme avait pu le faire Elektra pour Girls, Girls, Girls. Hard est indéniablement une réussite dans le milieu pourtant relativement mauvais du metal français, érigeant Sleekstain au rang de groupe hard rock par excellence, rejeton de Mötley Crüe et des Guns N’ Roses qui manquait à la France. Sortez le Jack Dan’s, enfilez votre perfecto et accrochez votre bandana dans vos veuch’ : à l’écoute de ce Hard, vous vous retrouvez directement parachuté dans le L.A. des eighties, et putain que ça fait du bien.