Saracen
Heroes Saints and Fools
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Le renouveau du rock (pris comme une catégorie très large) dans les années 1980 est à chercher du côté des amateurs de guitares saturées : c’est l’émergence de la scène Heavy-Metal traditionnelle, avec ses déclinaisons selon les régions. Inutile de lancer le débat sur la naissance du Metal (années 1970 ? 1980 ?) ou sur la place de Black Sabbath (hard-rock ? Metal ?) : il se passe quelque chose de nouveau dans les années 1980 de ce côté, qui touche à une prise d’autonomie vis-à-vis des structures du blues jusqu’alors reprises et modifiées par le rock.
En Angleterre, on parle de NWOBHM, une nouvelle vague bien plus variée qu’il n’y paraît. De celle-ci émergea des groupes désormais cultes (Iron Maiden en tête), et d’autres plus obscurs : Saracen est de ceux-là. Néanmoins, c’est une formation très utile pour comprendre comment s’est réalisée cette émancipation du hard-rock vis-à-vis des structures rudimentaires du blues, puisque le substrat progressif y est explicite. Autant chez Saxon il faut se concentrer pour en trouver des traces dans le premier album (en s’aidant des aveux de Byford, un fan de Yes et autres King Crimson), de même que chez Iron Maiden, où les traces demeurent sporadiques jusqu’à Piece of Mind (mais quand même, "Phantom of the Opera"…) : chez Saracen, tout est assumé. Attention, il ne s’agit pas de dire que les groupes de la NWOBHM aient inventé le Metal progressif, loin de là, mais que leur émancipation des structures habituelles issues du blues, leur goût pour la virtuosité instrumentale, vient du substrat progressif qui avait irrigué le rock tout au long des 1970’s, et dans lequel ces nouveaux musiciens avaient été bercés.
Groupe des Midlands, d’une petite ville proche du berceau de Saxon, Saracen est une formation qui évolue depuis le début des années 1970 sous le nom de Lammergier. Marqué par une instabilité chronique, il ne parvient pas à percer, et son premier album, enregistré sous un nouveau nom, est réservé à un petit label indépendant. C’est donc en plein renouveau du Heavy qu’il lance aux oreilles du monde sa galette, et qu’il participe à ce nouvel essor. L’immense "Rock of Ages", carré mais plein de fioritures (le petit solo de claviers aux sonorités proches des The Stranglers), nous le rappelle aisément. On est dans du Metal très mélodique, avec un chant qui n’hésite pas à monter dans les aiguës, mais qui demeure relativement soft. Un morceau dont on ne se lasse pas et qui figure dans le meilleur de la période.
Mais c’est un Heavy assez spécial puisque comme précisé plus haut, il est riche, très riche, en synthés. Si cela peut amener à une dérive FM – il y a un raté, "No More Lonely Nights", un mauvais Bad Company assez kitsch, mais c’est aussi ça les années 1980 – la plupart du temps, cela entraîne le groupe dans des sillons progressifs … Avec des titres relativement longs, de six à huit minutes. Attention, cela ne veut pas dire forcément que tous les titres étendus sont dans cette veine : le final, "Ready to Fly", est davantage un long morceau heavy qui s’engage dans un chorus sans fin.
Mais cette dimension progressive saute aux oreilles dès le début de l’album avec "Crusader" qui nous replonge dans l’univers d’Uriah Heep, entre le chant (du timbre aux cris), la progression lente, le mélange claviers planants et guitare saturée. Ce jeu sur les ambiances et l’installation d’atmosphère est très sensible sur l’instrumental "Dolphin Ride", entre Eloy et Camel.
Ils ont un petit gimmick plutôt bien pensé et bien joué, c’est de passer d’un coup à un couplet en clean ou electro-accoustique : la rupture est nette mais la production parvient à ne pas heurter l’auditeur. Au contraire même, ça ajoute de la force. Pour l’entendre, il faut se plonger sur "Horsemen of the Apocalypse", un très bon titre largement rehaussé par de multiples sonorités synthétiques.
Mais c’est surtout sur le sommet de l’album, "Heroes Saints and Fool", qu’on apercevra le plus cette guitare acoustique. C'est loin d'être la seule caractéristique qui en font un incontournable du genre. Voilà un morceau qui prend le temps d’installer son univers, avec des claviers solaires dans un premier temps, pour devenir de plus en plus épique avec un très gros travail sur les voix multiples et les claviers. Puis, dans une dernière partie, les chorus de guitare, aériens et langoureux, donnent une entière satisfaction pour nous amener au final en apothéose. Un bijou.
La recherche porte toujours ses fruits, même en musique : il faut fouiller un peu dans les tréfonds du rock, ne pas avoir peur de se salir les oreilles (et encore, si on est suffisamment vigilant …), mais on arrive à dénicher de vrais chefs-d’œuvre oubliés. En voilà un avec Saracen, le chaînon manquant qui dévoile de façon explicite les origines esthétiques de la NWOBHM.