Opeth
Morningrise
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1- Advent / 2- The Night And The Silent Water / 3- Nectar / 4- Black Rose Immortal / 5- To Bid You Farewell / 6- Eternal Soul Torture
Dans le laboratoire suédois du renouveau progressif et metallique des années 1990, Opeth avait apporté une innovation fondamentale avec Orchid, son premier album complexe mais majestueux qui affirmait un "son" nouveau immédiatement indentifiable. Pendant que d’autres, nostalgiques, revisitaient les anciens canons du genre avec talent (The Flower Kings, Anglagard…) ou épousaient les évolutions saturées du temps (Pain of Salvation), Opeth constituait sa propre image, sa propre esthétique, dont la nature extrême était remarquable : extrême dans le sens metallique du terme (qui navigue encore entre Death Metal et Black Metal) mais aussi dans le sens progressif (constructions alambiquées, virtuosité technique, hybridation des genres, jeux de contraste). En 1995, le groupe avait déjà fait école, ce qui est épatant pour un nouveau combo, au point d’être parfois imité à l’excès (mais jamais égalé).
Dès 1996, Morningrise poursuit cette entreprise, ce qui permet de considérer ces deux albums comme une sorte de diptyque, le second étant composé par la même formation dans la dynamique d’Orchid (voire, pour certains passages, dès le début de la décennie). La mélancolie du propos, suggérée par la pochette en noir et blanc, demeure dans les mélodies et les harmonies d’"Advent", titre d’ouverture assez magistral qui lance l’album plutôt violemment jusqu’à la transition vers les lignes électro-acoustiques : le contraste est encore plus maîtrisé que sur Orchid avec des liaisons mieux composées et globalement, une mélodicité enivrante quitte à être grandiloquente. Sur plus de dix minutes également, "The Night and the Silent Water" et "Nectar" empruntent les mêmes gimmicks de composition qui forgent l’esthétique opeth-ienne – mélodies de guitare emmêlées très travaillées, alternance entre le chant growl et clair ainsi qu’entre les parties électro-acoustiques (quasi classique sur le premier titre) et metalliques. Ce sont de belles compositions qui, malgré quelques originalités (surtout sur "Nectar"), demeurent un peu moins mémorables – c’est dire le niveau de l’album, en particulier au regard de sa deuxième face.
Car en effet, si le qualificatif "extrême" peut être employé pour Morningrise, c’est également pour les deux compositions qui occupent sa seconde moitié. Avec premièrement, "Black Rose Immortal", dont la spécificité saute aux yeux avant même de sauter aux oreilles : le titre s’étend sur plus de vingt minutes, un exploit (un orgueil) que peu de groupes progressifs de l’âge d’or avaient osé tenter, à cause des écueils possibles dans l’enchaînement des différentes parties (écueils qui ne sont pas complétement contournés et qui étaient déjà présents sur Orchid). Pour autant, "Black Rose Immortal" ne cesse d’impressionner depuis son lancement brutal jusqu’à ses passages acoustiques plus médiévalisants, en passant par ses lignes de guitare conquérantes, ses ponts aux arpèges reposants qui tranchent avec les riffs cisaillant. Plusieurs moments sont particulièrement mémorables, qu’il s’agisse de la virtuosité metal-progressive, de notes d’une grande solennité, de longues césures acoustiques au chant clair (comme entre 10’ et 12’ environ) qui se détachent au cours d’une deuxième partie globalement plus calme, même sur les passages saturés qui laissent place aux développements instrumentaux (ou, quand le chant est growlé, qui ne sont pas trop brutaux).
Deuxièmement, il y a "l’extrême" inverse avec "To Bid You Farewell", une conclusion aussi admirable qu’inattendue, puisqu’il s’agit d’une magnifique ballade progressive tamisée, parfois presque jazzy, sans aucun chant guttural ni même la moindre guitare saturée dans ses deux premiers tiers – tout au plus des traits de guitare bluesy pour fleurir la composition et quelques riffs plus musclés lors d’un interlude de deux minutes. C’est pourquoi l’on s’étonnera toujours de certaines réactions ulcérées à la sortie d’Heritage, même s’il est vrai que cette fois-ci, le changement fut plus définitif.
En 1996, on demeure par contre ébahi par la capacité d’Opeth à sortir deux albums de suite aussi denses, riches, inventifs, brillants, et ce en seulement deux ans. Il clôt une première épopée avant que ne s’ouvre une nouvelle étape, marquée par les départs de nombreux membres du groupe et par l’avènement d’une formation renouvelée, propice à quelques évolutions stylistiques
À écouter : "To Bid You Farewell", "Advent"