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Critique d'album

Emerson, Lake & Palmer


Brain Salad Surgery


(19/11/1973 - Manticore - Rock progressif - Genre : Rock)
Produit par Greg Lake

Note de 3.5/5
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Note de 3.5/5 pour cet album
"Pouvez-vous la bourrer, ma pipe ? Non, elle n’est qu’une représentation. Si j’avais écrit sous mon tableau « Ceci est une pipe », j’aurais menti ! – René Magritte"
Daniel, le 19/03/2023
( mots)


Pratiquer un rock pompier, intituler son album "fellation" (1) et demander à Hans Ruedy Giger, fabuleux artiste suisse, de créer une pochette explicite (2) sans toutefois interpeller les censeurs relève de la provocation rock. Du moins la provocation rock telle que les rockers la concevaient au début des années soixante-dix.


Le destin sait se montrer ironique et l’histoire paradoxale : si la pochette n’éveille aucun soupçon (3), c’est le single naturel de l’album, à savoir "Jerusalem" (la première plage du vinyle) qui est censuré parce qu’il s’agit de l’adaptation (au demeurant respectueuse) d’un titre sacré du répertoire anglican.


Cette censure est un sale coup financier et artistique pour le trio (qui vient de créer sa propre maison de production, Manticore) ; selon les critères en vigueur durant ces temps immémoriaux, un single (4) qui cartonne en radio est un préalable obligé à toute sortie d’album. Est-ce qu’un succès de "Jerusalem" aurait empêché le groupe de se déliter ? C’est un mystère de plus. On peut réécrire l’Histoire et les légendes avec des "si", mais Grouchy continuera de préférer les fraises à la ponctualité.


Est-ce que Brain Salad Surgery est la dernière œuvre collective du trio anglais ? Ce n’est même pas certain. A bien y regarder (ou plutôt écouter), l’opus ressemble plus à un album solo de Keith Emerson qu’au travail d’un trio. En 1973, il est déjà connu que le claviériste supporte difficilement le carcan qui lui est imposé par l’industrie du rock. Il souhaite quitter un domaine musical qu’il estime restrictif pour se consacrer à un art plus "sérieux".


Keith Emerson est un pur génie du clavier. Le genre de prodige absolu que l’on ne rencontre qu’une fois par siècle, quand tout va bien. Mais c’est un génie incompris. Il finira par se suicider en 2016 après une longue dépression probablement imputable à la maladie qui commençait à lui paralyser les doigts. Trop rock pour les érudits et trop érudit pour le rock, il n’a jamais pu concilier ce qu’il était et ce qu’il aurait aimé être.


Si, par simple curiosité, on pouvait effacer le travail de Keith Emerson des bandes de Brain Salad Surgery, il ne resterait pratiquement rien. A l’exception de la cover "Jerusalem" dont il est question en préambule (et qui, de toute façon, vaut surtout par ses claviers exubérants), de l’horrifiant "Benny The Bouncer" (5) et de "Still… You Turn Me On", l’habituelle ballade un peu nunuche signée par Greg Lake (6) où l’on n’entend pas Carl Palmer.


La contribution de Keith Emerson est, en revanche, scintillante. A commencer par "Toccata" (7). Keith Emerson jouait déjà ce titre avec The Nice. C’est l’adaptation d’une pièce (8) écrite, dans sa période néo-expressionniste, par le compositeur argentin Alberto Ginastera (dont il se raconte qu’il approuva la reprise). Ce titre est également un morceau d’histoire puisque c’est la première fois qu’une batterie électronique sera utilisée dans le monde du rock.


La (très) longue suite "Karn Evil 9" (9) exprime en trois chapitres (répartis en quatre plages en raison des limitations techniques du vinyle) l’évolution du monde telle qu’elle est appréhendée par Keith Emerson et traduite en texte par Pete Sinfield et Greg Lake (10). En extrême résumé, l’Etre Humain va progressivement confier sa vie aux ordinateurs qui vont prendre le pouvoir et asservir le monde. Ces mots résonnent bizarrement cinquante années plus tard tandis que le modèle ChatGPT s’apprête inéluctablement (c’est-à-dire sans contrôle ni réserves) à révolutionner notre Humanité.


Très subjectivement, le point d’orgue de Brain Salad Surgery pourrait être "Karn Evil 9 2nd Impression". C’est une magnifique pièce pour piano de sept minutes aux accents classico-jazzy à la Gerschwin. On imagine le cauchemar qu’a dû représenter la mémorisation des lignes de percussions jouées en arrière-plan par Carl Palmer. Ce jour-là, le batteur a gagné sa place au Panthéon des batteurs.


Pessimiste et même progressivement très "malaisant", l’album est, avec le temps, devenu plus difficile d’accès. Et certaines sonorités "futuristes" qui ébahissaient les petits rockers en 1973 apparaissent aujourd’hui très surannées (11).


A la réflexion, Brain Salad Surgery n’est certainement pas une œuvre à mettre entre toutes les oreilles. Pour pasticher René Magritte (pastichant une pipe), si j'avais écrit sous cette chronique "Cette pipe fut une partie de plaisir", j'aurais menti !


Dont acte.


(1) L’expression "Brain Salad Surgery" a été popularisée en avril 1973 par le fameux Dr. John sur le single "Right Place, Wrong Time".


(2) C’est la jolie compagne de l’artiste, Li Tobler (membre effective et suicidaire du Club des 27), qui servira de modèle. Au gré les (ré)éditions, le sexe en érection (dont on ignore le propriétaire) sera plus ou moins "filigrané" jusqu’à revenir en majesté dans la version CD de 2014.


(3) Des disques ont été retirés des vitrines des détaillants (ou emballés précipitamment dans du papier kraft) pour moins que ça. Parmi les pochettes censurées les plus connues figurent Electric Ladyland de Jimi Hendrix, Country Life de Roxy Music, Diamond Dogs de David Bowie, Yesterday And Today des Beatles, Two Virgins de John Lennon et Yoko Ono, Taken By Force de Scorpions, le single "Ben" de Michael Jackson ou encore Bicycle Race de Queen.


(4) La face B du single "interdit" (réf : K13503) était un instrumental assez intriguant "When The Apple Blossoms Bloom in The Windmills Of Your Mind I’ll Be Your Valentine".


(5) "Benny The Bouncer" est l’habituelle plage de remplissage "comique" que le groupe s’obstine à caser sur ses albums. Greg Lake emprunte ici un accent pénible, à peine digne d’un sketch de Benny Hill. Le choix est surprenant puisque des titres bien plus intéressants avaient été enregistrés durant les sessions, en particulier "When The Apple…" et "Brain Salad Surgery". Ces chutes seront utilisées sur des albums ultérieurs et des compilations.


(6) Le guitariste n’a jamais voulu expliquer le sens de ses paroles mais il ne faut pas être expert dans l’interprétation textuelle pour démontrer son caractère extrêmement désabusé.


(7) Le mot Toccata fait évidemment référence au terme technique utilisé en musique pour qualifier une pièce difficile à jouer qui met en valeur les compétences exceptionnelles d’un claviériste.


(8) Il s’agit du troisième mouvement du "Concerto pour piano n°1" (1961).


(9) "Karn Evil" est un jeu de mots imaginé au départ du terme "Carnaval". Les torturé.e.s de l’analyse auront remarqué que le titre porte les mêmes initiales que Keith Emerson, ce qui confirme sa "domination" sur l’album. Le chiffre "9" provient du mythe de la neuvième planète de notre système solaire. Cette planète, située au-delà de l’orbite de Pluton, abriterait une vie extra-terrestre ; dans un premier temps, le claviériste avait demandé à Pete Sinfield de situer l’action de "Karn Evil" dans ces confins inexplorés. Il n’y a pas que les cheminées qui fumaient dans les chaumières à la fin du siècle dernier. Dans le même registre et pour les amateurs de cinéma, Plan 9 From Outter Space d’Ed Wood (mon film préféré) mérite le détour.


(10) "Karn Evil 9" (et sa phrase emblématique "Welcome back, my friends, to the show that never ends") serait par conséquent la suite thématique logique de "21st Century Schizoid Man" de King Crimson.


(11) Certains bruitages résonnent comme la musique du légendaire générique français de Capitaine Flam. Mais lui venait d’une autre galaxie…  

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