Deep Purple
Turning to Crime
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Décidemment, la pandémie aura causé beaucoup de misères au genre humain. Jusqu’à transmuter Deep Purple en cover band.
Le groupe a pour habitude de composer en multipliant les jam sessions aventureuses : tout le monde se réunit en studio et, après une longue période de préchauffage, la vieille machine se met à fumer, à gronder puis à produire cahin-caha des mélodies électriques !
Mais c’est une méthode impossible à pratiquer en téléconférence. Chacun est resté planqué dans son terrier à attendre un troisième vaccin…
Alors, après la trilogie absolument inouïe de sa version Mark VIII (1), le vieux Pourpre – qui ne tenait plus en place – s’est rabattu sur une collection improbable de vieilles partitions éculées. Tout le monde a enregistré ses portées de son côté. Puis, le fabuleux magicien Bob Ezrin a mixé et produit le tout pour donner l’impression que les cinq gaillards tapaient du pied sur les planches vermoulues de la même scène exiguë d’un pub de campagne.
Afin de rendre improbable tout travail critique, Deep Purple a partagé ses efforts entre des fac-similés fidèles et des réécritures / réappropriations foldingues.
Que l’on aime ou que l’on abomine les "reprises" (2), il serait extraordinairement injuste d’écrire que Turning To Crime est mal né. Au contraire. Parmi quelques vieilles scies que plus personne n’a plus envie d’entendre (comme l’épouvantable "CC – See See – Rider", l’instrumental "Green Onions"), il y a quelques diamants bruts qui méritent une écoute attentive. Ou, à tout le moins, une approche extrêmement indulgente.
Quand on se retrouve échoué au bar de la fête du village pour commander le verre de trop (3) aux alentours de minuit, il est toujours chouette de voir, à l’autre bout de la salle, un orchestre de bal dont les musiciens se marrent tandis que les fêtards dansent. Et s’il y en a un qui s’amuse tout au long de l’album, c’est bien Donald Smith Airey. Libéré de toutes contraintes "idéologiques" (4), le claviériste se livre à une démonstration tellement versatile et brillante (jusqu’à pasticher le riff décalé de "Smoke On The Water") qu’il sera certainement accueilli comme un héros angélique au Paradis des claviers quand sa dernière heure sonnera. A titre d’exemple, ce qu’il bricole sur "Rockin’ Pneumonia And The Boogie Woogie Flu" pourrait devenir un sujet de thèse dans une académie de musique. Parmi cette génération de vieux fous furieux encore en activité, il ne se trouve encore que Phil Lanson (Uriah Heep) qui puisse rivaliser avec Don en termes de doigté et de culture musicale. Depuis les décès de Jon Lord et de Ken Hensley, ces types sont désespérément tous seuls sur leur planète. Et ça fait désormais beaucoup d’orgues Hammond à placer en orphelinat avec leurs cabinets Leslie. Snif.
Dans le même esprit, mais un peu en retrait, Steve Morse prend un lumineux plaisir à itinérer en mode démo, essayant les unes après les autres toutes les guitares et toutes les pédales d’effet(s) du magasin. Il est évident que, malgré la maladie qui ronge les articulations de sa main droite, le bonhomme plane largement au-dessus de la masse universelle des branleurs de manche(s). Au même titre que Spiderman, c’est un héros modeste, à ceci près qu’il est le seul au monde à pouvoir tisser des toiles de cette qualité blindée avec trois notes, un bend et deux harmoniques impossibles.
Le temps d’un album, Ian Gillan allume les micros Shure Super 55 Deluxe comme il ne l’a plus fait depuis les années qui ont précédé la sortie de The House Of Blue Light (1987). Ca peut sembler surréaliste mais le fait que notre hurleur aphone module des gammes, calées dans sa tessiture et archiconnues de lui-même (il doit chanter ces titres chaque nuit dans son sommeil paradoxal), est de nature à expliquer le phénomène. Certaines étoiles peuvent briller encore au firmament alors qu’elles sont mortes depuis des années. Comparaison n‘est pas raison.
La plus célèbre section rythmique du classic rock (Ian Paice et Roger Glover) se montre honnêtement à la hauteur de l’événement et soutient ses solistes et chanteur avec un enthousiasme de circonstance.
"Oh Well" enterre définitivement sa version originale. "Let The Good Times Roll" pourrait déclencher la danse de Saint-Guy chez le plus coincé des boiteux. L’excellent "The Battle Of New Orleans" résonne un peu au second (voire au troisième) degré quand on sait qu’un des musiciens du groupe anglais se trouve être américain (5).
Mais il inutile d’énumérer les titres comme un chapelet liturgique.
Ce disque, aussi inutile qu’imbécile, ressemble à ces mauvaises filles (6) aux paupières fardées que l’on rencontrait jadis au bal ; on les savait promises à tout le monde mais elles faisaient croire à leur cavalier de l’instant qu’elles étaient à lui pour toujours (le temps d’une danse).
Qui va encore au bal ? Et qui va acheter ce disque ?
Dans tous les cas, l’exemplaire du chroniqueur n’est pas à vendre. Ni même à voler (7).
(1) Now What ?! **** (2013), Infinity**** (2017) et Whoosh !**** (2020).
(2) le chroniqueur – qui ne peut s’exprimer à titre personnel sans s’attirer les foudres de son Grand Ganesha – éprouve la plus grande détestation pour l’exercice. A l’exception notable du très remarquable Big Bang Theory de Styx (2005) où l’auditeur aventureux va trouver, entre quelques titres convenus, des versions définitives de "Can’t Find My Way Home" et de "I Am The Walrus". Classe.
(3) fragment autobiographique.
(4) le "classic hard prog" est régi par de strictes tables non écrites de la Loi.
(5) le texte de Jimmy Driftwood (1936) a connu deux versions, une première pour les USA, citant les "britanniques" comme ennemis, et une deuxième, un peu édulcorée pour le Commonwealth, évoquant plus poliment les « rebelles ». Depp Purple reprend ici la première version… Paix sur terre aux hommes (et aux femmes) de bonne volonté !
(6) le rédacteur (défenseur obstiné du "iel") entend préciser, pour éviter tout procès sexiste malvenu, qu’il existe aussi de mauvais garçons qui pratiquent exactement le même cérémonial avec les braves filles.
(7) comme tous les braves de ma contrée, je tire d’abord et je fais les sommations ensuite (autre fragment autobiographique).