Daniel Darc

Ce qui a toujours été un peu ennuyeux avec Daniel Darc c'est qu'on se demande parfois si on aime sa musique ou plutôt le personnage et ses références. Depuis Taxi Girl et sa new wave émasculée jusqu'à aujourd'hui, Darc a toujours revendiqué son attachement aux mythes du rock n' roll et à son décorum : Elvis, le cuir, les bottes, les chaînes, etc. Il cause Johnny Cash (qu'il cite au dos de la pochette de Crèvecoeur), Iggy Pop, Keith Richards, bref il vend du rêve. Mais quand on se retrouve face à ses disques une question revient : il est où le rock là-dedans ? On veut bien croire que Taxi Girl n'ait pas pu jouer de rock n' roll. On nageait dans la boue synthétique des années 80 et personne à l'époque ne voulait entendre parler de guitares. Idem pour les albums solo ayant précédé Crèvecoeur, Daniel Darc n'avait peut-être pas les coudées franches pour imposer totalement ses choix. Mais depuis 2004 il semblerait que le chanteur puisse faire tout ce qu'il veut, musicalement parlant. Alors pourquoi pas de guitares ? La Taille De Mon Ame, comme Crèvecoeur, se concentre essentiellement sur des claviers avec pour résultat une certaine mollesse vaguement déprimante, le tempo s'accélère rarement et on reste sur notre faim. C'est d'autant plus dommage que lorsque Darc se risque à l'instrumentation rock, celle-ci soutient parfaitement la voix fêlée. "My Baby Left Me" tient sur un riff de guitare, un refrain aisément mémorisable (le titre répété à l'envi) sans verser dans la facilité racoleuse. Une bonne chanson de rock n' roll, tout simplement.

Il ressort aussi de La Taille De Mon Âme un certain manque d'humour. Il suffit d'avoir vu des interviews de Daniel Darc pour savoir l'homme enclin à l'auto-dérision. Pourquoi alors des disques aussi sérieux et guindés ? Même si les textes ont vocation à exprimer un certain mal-être, l'instrumentation pourrait prendre le contre-pied et donner un peu de légèreté à l'ensemble. Mais non, dans La Taille De Mon Ame on n'est pas là pour se marrer mais pour entendre parler de perte, d'absence, de manque et les arrangements de claviers et de cordes sont là pour vous le rappeler. Si vous arrivez au bout d'"Ira" (premier titre du disque) sans vous être tiré une balle, vous êtes un vrai, croyez-moi. L'humour n'est pas totalement absent ("Les Filles Aiment Les Tatouages") mais il est malheureusement associé à une certaine faiblesse dans les textes ("Les Vœux De Bonne Année"). Ce sont souvent des petites blagues entre potes sans grand intérêt.  La Taille De Mon Âme est en outre plombé par un trop grand nombre de morceaux courts et inutiles ("Ana", les diverses "Variations") qui n'apportent pas vraiment de respiration à l'ensemble mais tendent au contraire à alourdir le propos.  

Tout n'est évidemment pas à jeter. Quand Daniel Darc ose jouer du rock, sa musique et ses textes parfaits sont propulsés au firmament. On a déjà évoqué "My Baby Left Me", on peut aussi citer "Quelqu'un Qui N'A Pas Besoin De Moi" où les interventions de trompette sont triomphantes. La chanson "La Taille De Mon Âme" est une valse parisienne sans les clichés germanopratins, "C' Était Mieux Avant" pose un regard tendrement amusé sur les nostalgiques d'une époque fantasmée. L'héritage musical de Serge Gainsbourg est partout ("Vers L'Infini"), au travers des compositions et des arrangements de cordes, jusqu'à l'utilisation de la technique vocale du talk-over. Si chez Gainsbourg le talk-over allait vers une certaine sensualité ("Je T'Aime, Moi Non Plus"), son utilisation par Daniel Darc renforce la fragilité de la voix. Le chanteur se laisse parfois aller à un maniérisme un peu irritant, comme un Morrissey français, alors que c'est quand il abandonne ses pleurnicheries que sa musique est la plus passionnante. Le talk-over du refrain de "My Baby Left Me" (on y revient toujours) se fait plus assuré, met de côté les hésitations et alors Daniel Darc est le meilleur.

Là où Darc se détache totalement de Gainsbourg (et il le fait depuis Crèvecoeur au moins) c'est dans les textes. Ceux-ci évitent soigneusement l'héritage de Gainsbourg qui pèse comme une chape de plomb sur la chanson française : jeux de mots et figures de style à grosses ficelles utilisés de manière bien trop récurrente. Darc n'en use absolument pas et crée des paroles d'une beauté foudroyante où Jacques Prévert est une influence revendiquée (La Taille De Mon Âme contient des extraits du film Les Enfants Du Paradis). Apparaît alors une sincérité assez incongrue en France où on manie sans cesse le cynisme et le calembour en musique, où les artistes paraissent toujours chercher à prendre le plus de distance possible avec ce qu'ils racontent. Il y a chez Daniel Darc une sincérité et une croyance dans le rock n' roll et ses aspects les plus clichés qui se révèlent touchantes. Elles font de La Taille De Mon Âme un disque maladroit mais digne qui s'achève parfaitement sur "Sois Sanctifié", soit la ferveur religieuse sans la déprime de "Psaume 23" sur Crèvecoeur. C'est décevant, on perçoit un potentiel fabuleux gâché par les maniérismes. Un peu de recul serait le bienvenu parce que les albums pousse-au-suicide ne sont intéressants que jusqu'à 16 ans.