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Critique d'album

boygenius


the record


(31/03/2023 - Interscope Records - Indie - Genre : Pop Rock)
Produit par

1- Without You Without Them / 2- $20 / 3- Emily I'm Sorry / 4- True Blue / 5- Cool About It / 6- Not Strong Enough / 7- Revolution 0 / 8- Leonard Cohen / 9- Satanist / 10- We're in Love / 11- Anti-Curse / 12- Letter to an Old Poet
Note de 4/5
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Note de 3.0/5 pour cet album
"Le talent de la somme équivaut-il à la somme des talents ?"
Diego, le 20/04/2023
( mots)

L’attendue sortie du premier effort du trio boygenius est l’occasion de poser sur la table un débat éternel, auquel il semble ardu d’apporter une réponse catégorique. Que peut-on attendre des supergroupes, ces formations composites reposant sur les contributions d’artistes par ailleurs affirmés en solo, ou dans d’autres collectifs ?

Les exemples sont pléthores, et ils n’ont pas forcément tous marqué l’histoire de la musique. L’illustration la plus parlante est probablement l’expérience des Traveling Wildburys, groupe de folk rock qui a vu rassemblés sous la même bannière - roulement de tambour, raclage de gorge - Bob Dylan, Tom Petty, Roy Orbison, Jeff Lynne et George Harrison. Rien que ça ! Bilan : deux albums sympathiques à cheval sur les années 80 et 90, mais une destinée qui se rapproche davantage de celle d'anecdotes au service de chroniques musicales plutôt que de disques majeurs. Toutes les occurrences du phénomène ne sont pas à considérer comme des échecs, en témoignent les efforts de qualité d’Audioslave (Rage Against the Machine meets Soundgarden), de Broken Bells (Danger Mouse + James Mercer des Shins), du projet The Good, The Bad and The Queen (mené par Damon Albarn avec Paul Simonon des Clash, Simon Tong de The Verve et Tony Allen) ou des classiques Emerson, Lake and Palmer (King Crimson et Atomic Rooster) et Crosby, Stills, Nash and Young (aucune explication nécessaire). Il s’agit plutôt de constater qu’en règle générale les efforts accouchent de disques bons voire très bons mais que les attentes suscitées par de telles concentrations de talent sont rarement comblées car tout bonnement irréalistes.

La scène indie n’en est donc pas à son coup d’essai et reste à voir quel contenu Julien Baker, Phoebe Bridgers et Lucy Dacus ont cherché à apporter à leur collaboration. Le Big Red Machine de Justin Vernon (Bon Iver) et Aaron Dessner (The National) est par exemple un cocon d’expérimentations assumé, qui ne ravira pas forcément les fans du travail individuel des artistes.
Le premier EP du collectif boygenius, sorti en 2018, laissait entrevoir des perspectives intéressantes, au travers de compositions folk mélancolique comme "Souvenir", ou plus enlevées comme "Ketchum, ID".

Entre-temps, les trois protagonistes ont toutes sorti des albums solos, rencontrant chacune un succès en forme de confirmation de leur talent indéniable. Lucy Dacus a même convié ses acolytes à contribuer au titre "Going Going Gone" sur Home Video, sa dernière galette sortie en 2021. Bridgers, de son côté, semble avoir pris le parti d'apparaître sur le plus de morceaux possible depuis le succès critique de son Punisher de 2020. Des collaborations avec Matt Berninger, puis avec tout le groupe de The National, Taylor Swift, The Killers, Lorde, mais aussi avec des artistes plus exotiques pour une artiste indie folk-rock, comme SZA. Une omniprésence qui n’a rien à envier au fameux Pitbull du début des années 2010 ou encore à Nicolas Cage depuis que les caméras existent.

Après tous ces détours, focalisons l’attention sur ce fameux the record, sorti sous la bannière Interscope Records. Il s’agit d’un bon album. Peu de surprises, peu de prises au risque aussi, mais des chansons de qualité alternant entre la folk contemplative et l’indie plus électrique. La principale difficulté réside dans la capacité à apprécier les compositions telles qu’elles sont présentées. Il faut ainsi faire abstraction du fait que, par exemple, "Emily I’m Sorry" porte la marque d’une composition de Bridgers sur laquelle ses amies Baker et Dacus seraient venues prêter main forte. La mélodie mélancolique est parfaitement portée par la voix fantomatique de la chanteuse et la boîte à rythmes reprend les codes établis dans son dernier album. Prenez les mêmes, dans le désordre, et recommencez : "True Blue" pourrait être une B-side (de luxe, certes), issue du dernier opus de Dacus. Les harmonies de Baker et Bridgers apportent un supplément sur les refrains, mais la “patte” collective se fait fuyante. Baker prend le relai pour la position de leader sur un "Cool About It" très marqué folk sudiste à tendance americana tellement caractéristique des premiers efforts de la chanteuse de Nashville.

Le titre d’introduction, "Without You Without Them", bel exemple de reconnaissance et d’altruisme, et ses harmonies dignes des premiers Fleet Foxes, est plutôt un signe de collaboration pleine. Il en est de même pour les morceaux les plus énergiques, comme l’excellent "$20", plutôt porté par Baker, mais sur lequel un finish très typique des compositions chaotiques de Bridgers vient se superposer et faire des merveilles. "Satanist" et son riff martelé font également partie des succès de l’album. Sur le format assumé du relai (un couplet chacune, le refrain pour toutes), les trois artistes assènent leurs propositions plus ou décentes de participer tout à tour à du satanisme, de l’anarchisme ou du nihilisme, non sans humour et décalage.

On retrouve des traces de cette écriture acide notamment sur "Leonard Cohen", qui joue tantôt la carte de l’hommage, puis du quasi-blasphème, qualifiant l’auteur de "Suzanne" de "old man having an existential crisis in a buddhist monastery writing horny poetry / vieil homme ayant une crise existentielle dans un monastère bouddiste écrivant de la poésie érotique”, avant de rejouer celle de l’hommage ("I am not (like him), but I agree"). Une curieuse manière de malmener ses idoles. La carte de l’apaisement est de sortie sur le superbe "Revolution O". Elle est d’apparence seulement, en témoigne la délicatesse avec laquelle Bridgers balance "I just wanna know who broke your nose so I can kick their teeth in / je veux simplement savoir qui t’a cassé le nez pour que je puisse leur casser les dents".

The record est par ailleurs parfois source de frustration, en particulier sur le morceau "Not Strong Enough", véritable bijou pop-rock malheureusement handicapé par une production bien trop lisse et trop propre. Le titre reste le point culminant de l’album et un bon exemple de collaboration effective entre les trois frontwomen, toujours sur le modèle du relai, plutôt bien senti ici.

Le principe de sommation en physique, se décline en plusieurs versions. En particulier, on peut faire la distinction entre une sommation incohérente, se “contentant” d’additionner, dans le meilleur des cas, les amplitudes individuelles des quantités considérées, et la sommation cohérente. Cette-dernière, pour la faire simple, autorise les interférences. Au risque que celles-ci soient destructrices. A l’inverse, les interférences constructrices sont la seule chance de voir l’énergie de la somme dépasser la somme des énergies.
La problématique des supergroupes peut ainsi être expliquée en partie par la physique : à supposer qu’une analogie est possible entre l’énergie et le talent, le résultat peut être sublimé, dès lors que le risque de tout prendre en compte est assumé. The record ne déroge pas au constat établi plus haut et oscille entre les deux états, ce qui constitue, en soi, une déception. Une jolie déception malgré tout.


 


A écouter : "Not Strong Enough", "$20", "Emily I'm Sorry".


 


Un film accompagnant la sortie du disque a été réalisé par l'actrice Kristen Stewart. Le lien est proposé ci-dessous.

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