Anathema
Alternative 4
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1- Shroud Of False / 2- Fragile Dreams / 3- Empty / 4- Lost Control / 5- Re-Connect / 6- Inner Silence / 7- Alternative 4 / 8- Regret / 9- Feel / 10- Destiny
Septembre 2020, un communiqué tombe, assez laconiquement, et avec un retentissement digne d’un verre d’eau tiède dans une tempête tropicale : Anathema n’est plus. En cause, le COVID et toutes les incertitudes et difficultés financières que la pandémie implique pour des groupes, certes très installés dans le paysage musical (depuis plus de 30 ans les concernant), mais à la visibilité et la reconnaissance insuffisantes pour franchir cette délicate période sans encombres.
Pourtant le groupe britannique, chouchou d’une grande partie de la rédaction (sur des périodes toutefois très différentes), laisse derrière lui une empreinte immense. 11 albums studios sur 3 décennies, d’incessantes tournées, dans des salles rarement à la mesure de leur talent. Pour les dinosaures qui, comme moi, ont connu le groupe au mitan des années 90, Anathema se trouve alors au carrefour de son évolution musicale, autant qu’à la croisée des chemins qui jalonneront mon parcours initiatique musical adolescent.
Le groupe originaire de Liverpool fait à l’époque partie de la scène metal extrême qui compte, tout du moins aux yeux de l’underground britannique, en compagnie de 2 autres illustres représentants : Paradise Lost et My Dying Bride. Au programme des premiers albums des frères Cavanagh : ambiances gothico-apocalyptiques, riffs lents de guitares thermonucléaires, voix de brontosaure, et chemises à jabots. En somme : la parfaite panoplie du groupe de death-doom metal un peu pataud.
Puis arrive 1996 où sur l’album Eternity, Anathema ose enfin lâcher le chant guttural, le temps d’une (splendide) chanson, "Angelica", qui marque un premier coup de canif dans le contrat moral qui les lie aux fans les plus obtus du groupe. Un contrat qui sera déchiré définitivement 2 ans plus tard, pour l’album qui nous intéresse aujourd’hui, avec une évolution stylistique sûre, subtile et audacieuse.
Si Vinnie Cavanagh adopte pour de bon un chant clair, sa voix marquée au fer rouge reste encore teintée sur Alternative IV de toute cette agressivité passée, ce qui fait déjà, de ce 4ème album, un disque singulier dans la discographie du groupe. Cette ambivalence vocale est un des points forts du groupe ici, permettant à certaines compositions d’être à la parfaite jointure entre metal et rock atmosphérique. Des compositions qui, pour l’essentiel d’entre elles, sont signées de la main du bassiste Duncan Patterson.
“Shroud of False” ouvre l’album et résonne comme une parfaite bande annonce de ce qui va suivre tout au long des 10 pistes : proéminence du piano, production glaciale, pour une atmosphère générale dorénavant plus mélancolique que gothique. Une introduction brève, qui agit comme une rampe de lancement pour ce qui fait office, tenez-vous bien, de l’un des plus grands morceaux de la seconde moitié des années 90, rien que ça : l’extraordinaire “Fragile Dreams”. Dans un monde parfait, où la presse rock “classique” aurait daigné s’intéresser à ces Anglais trop chevelus pour être pris au sérieux, il y aurait une place de choix en radio pour ce tube absolument imparable. Des lignes de violons aux accents celtes irrésistibles, une montée en puissance percussive donnant le tempo, et un refrain rageur, fédérateur, comme il en sort un tous les dix ou quinze ans. "Fragile Dreams" est, qu’on se le dise, un immense classique. Mais aussi un point d’orgue et point final de tous les concerts du groupe, jusqu’à la fin (il sera même parfois joué 2 fois, en version acoustique et électrique).
Mais ce serait évidemment réducteur de cantonner Alternative IV à ce morceau, tout aussi fantastique qu’il soit. Si cela peut paraitre un peu désuet en 2023, il fallait un certain courage en 1998, pour utiliser des loops de batterie électroniques sur un album estampillé “metal”. Pourtant “Empty” est une incontestable réussite, au delà d’être une preuve supplémentaire de l’ouverture d’esprit des Anglais.
En 1999, les Anglais n’ont pas encore totalement abandonné le métal extrême des débuts. Pas tant par l’âpreté des guitares que par les tapis sonores, lugubres et tissés ici et là en clair-obscur : les deux notes de piano répétées ad nauseam sur l’intro de “Lost Control”, conférant au morceau une teinte de film d’épouvante de série B, ou encore sur la chanson titre, bâtie sur des claviers reverbérés et des percussions encerclantes schizophrènes (et où on peut regretter les “r” roulés, un peu caricaturaux).
Non, certes, l’album n’est pas parfait. Mais il est entier, homogène et à la fois lourd, lent, froid sans jamais être convenu. Si les claviers se taillent la part du lion, certaines compositions savent mettre en avant le talent de mélodiste de Danny Cavanagh, guitariste au feeling devenu évident au fil des albums, la mélancolie des accords de “Regret”, parmi d’autres, en est un parfait exemple.
S’il est difficile de considérer Alternative IV comme la porte d’entrée idéale pour se familiariser avec Anathema (le disque suivant, Judgement, étant sans doute bien plus approprié), il apparait comme un disque charnière dans leur longue et sinueuse histoire. Un disque “total”, sans grandes concessions, et accouché dans la douleur, puisqu’à peine sorti, son compositeur et auteur principal, Duncan Patterson s’en ira voir ailleurs*. Beaucoup d’observateurs considèrent alors le groupe mort et enterré, et voient en Alternative IV leur chant du cygne, là où il n’est en réalité, que le début de l’histoire.
À écouter : “Fragile Dreams”, “Regret”, “Destiny”, “Empty”.
*pour aller former “Antimatter” (puis plus tard un autre projet du nom ….d’Alternative IV).