
The Great Old Ones
Kadath
Produit par
1- Me, the Dreamer / 2- Those from Ulthar / 3- In the Mouth of Madness / 4- Under the Sign of Koth / 5- The Gathering / 6- Leng / 7- Astral Void (End of the Dream)


"Il courait des rumeurs sur les Grands Anciens venant de tous les points cardinaux. Tout ce que l'on pouvait en dire c'est que l'on avait plus de chance de les voir sur les hauts sommets des montagnes que dans les vallées. Car c'est sur ces pics qu'ils dansent pour se souvenir, quand la lune est haute dans le ciel et les nuages bas sur la terre".
Ces murmures qui brouissent sur les Grands Anciens dans l'œuvre de Lovecraft, les Bordelais de The Great Old Ones les ont transformés en certitudes. Celles d'un groupe profondément ancré sur deux piliers inamovibles. Leur musique tout d'abord qui, en cinq albums, n'a jamais dévié du black-metal porté fièrement dans une appropriation des composantes intrinsèques du registre faites de célérité, intensité, voix hurlée et variations rythmiques. Leur dessein ensuite, entièrement dédié aux œuvres littéraires de H.P. Lovecraft. Une dévotion portée par Benjamin Guerry, chanteur et leader de la formation française qui, sur Kadath, amène The Great Old Ones à aborder la période qualifiée de "cycle du rêve" dans l'œuvre "lovecraftienne". Un périple initié avec le disque qui nous intéresse aujourd'hui, directement inspiré de la nouvelle publiée en 1943 : La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue.
Comme toujours avec la formation bordelaise, la narration retranscrit avec authenticité l'œuvre de l'auteur britannique. Sur cet opus, on suit l'histoire du personnage de Randolph Carter. Ce dernier rêve par trois fois d'une majestueuse cité au coucher du soleil, avant d'être brutalement arraché à sa chimère. La musique de The Great Old Ones se charge de nous imprégner des atmosphères de l'ouvrage. "Me, The Dreamer" s'approprie la dimension épique inhérente à l'onirisme. En résulte une première moitié majestueuse. La construction des riffs, leur mélodicité alliée à la violence du chant rendent palpable la grandeur de la cité de Kadath. La rêverie se poursuit pour nous amener dans des recoins plus sombres et terrifiants dans sa seconde partie. Culminant à près de 12 minutes, le titre d'ouverture réussi à nous ouvrir les portes du mythe ; nous donner un aperçu de ses nuances où se mêlent terreur et fascination. L'immersion est validée et la projection s'est réalisée : nous sommes Randolphe Carter. On en veut plus. Nous descendrons donc les soixante-dix marches conduisant à la caverne de la flamme pour ouvrir la porte sombre qui mène aux rêves profonds.
Le disque se charge de tracer la route vers sa destination inconnue et néanmoins si désirée. Un chemin balisé par le riff imprégnant de "In The Mouth of Madness", tel le dernier repère lumineux indispensable pour se sortir des ténèbres schizophréniques qui se dressent dans les cris de souffrance du chant, conjugués aux variations rythmiques aliénées. "Under The Sign of Koth" verra les abîmes obscurs se déployer à l'intérieur d'un morceau joué au-devant d'un back-metal direct et organique, laissant s'exprimer sa haute dose d'une animosité exacerbée. A l'opposé, la quête onirique appelle au relâchement contemplatif : une composante inscrite au travers de "Those From Ultar" et ses arpèges délicats. Un titre d'une forte teneur mélodique qui renforce l'étendu du spectre d'écriture de Benjamin Guerry pour appuyer la spiritualité inhérente à l'écoute du disque.
De l'ombre à l'éclaircie, de la torture à la contemplation, Kadath n'a de cesse de jouer sur les variations et les nuances atmosphériques. Cette richesse est retranscrite par des morceaux relativement longs desquels aucune piste ne compte moins de sept minutes au compteur et dont le point culminant sera atteint sur "Leng". Du haut de ses 15 minutes, il constitue le pari un peu fou de The Great Old Ones de placer, au centre de leur cinquième production, un morceau entièrement instrumental. Un titre qui réussit pourtant à impeccablement catalyser et synthétiser cet esthétisme conscient et asymétrique qui caractérise l'album. L'odyssée de Randolphe Carter, qui est aussi devenue la nôtre, s'étend à nos oreilles où la violence des riffs nous renvoie à l'irrépétible compactage du réel : cloisonnant et étouffant. Une prison dont les barreaux s'effacent alors qu'apparait l'obscurité telle que Benjamin Guerry nous le susurre dans une invitation aux lâchées prises :
"Soudain, les nuées se dissipent et la lumière spectrale des étoiles se met à luire au-dessus de nous, tandis qu’au-dessous, tout est noir."
Une obscurité réconfortante traduite par une guitare intimiste avec sa mélodie nostalgique emprunte de mélancolie. On s'abandonne à l'utopie onirique, certain de ce que l'on vient y chercher : l'apercevant sans jamais pouvoir s'y abandonner. Une parenthèse poétique et fantastique qui se referme sur la terrible sentence qui conclut "Astral Void (End of the Dream)" :
"My dream is over".
Avec Kadath, The Great Old Ones va plus loin que l'unique mise en musique de l'œuvre de Lovecraft. Cette cinquième production nous immerge dans la recherche obsessionnelle d'un idéal qui se situerait dans le rêve. Le groupe bordelais donne vie à cette quête qu'il joue aux volontés d'un black-metal affirmé et néanmoins extrêmement nuancé. Les points d'accroches sont nombreux et se situent dans la teneur mélodique induite par ses riffs et dans ses différentes épopées atmosphériques proposées. Spirituel et éveillé, Kadath est un disque imprégnant joué par un groupe en pleine maitrise de son sujet et ses intentions. Inspiré et inspirant, The Great Old Ones vous attend aux portes d'un voyage entre rêve et réalité.
A écouter : "The Gathering" & "Leng" pour fermer les yeux ; puis "Me, the Dreamer" pour initier la lévitation.