
Grateful Dead
Blues For Allah
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1- Help On The Way/Slip Knot! / 2- Franklin's Tower / 3- King Solomon's Marbles / 4- The Music Never Stopped / 5- Crazy Fingers / 6- Sage & Spirit / 7- Blues for Allah


Selon le Dictionnaire des idées reçues, Grateful Dead est un groupe de rock psychédélique paradigmatique de la fin des années 1960, dont les pièces interminables et partiellement improvisées sont assez difficiles à suivre sans le viatique d’acides ou d’autres paradis artificiels des laboratoires Sandoz. Or, les évolutions esthétiques du groupe furent remarquables : après trois albums purement psychédéliques, il opère un tournant folk très bien reçu (Workingman’s Dead et American Beauty en 1970), puis sous l’égide de Keith Godchaux, il s’engage dans une direction plus jazzy et progressive (Wake of the Flood, 1973) sur son propre label, avant d’effectuer un léger retour en arrière blues et folk (From the Mars Hotel, 1974).
Cette route sinueuse finit par fatiguer le combo qui décide de mettre fin à ses tournées en 1974, sans pour autant se refuser de composer de nouvelles musiques. Néanmoins, Grateful Dead doit revoir son processus créatif, habituellement fondé sur un long rodage scénique, pour privilégier le travail laborieux et rigoureux du studio. C’est ainsi que voit le jour Blues for Allah, dont le titre surprenant rend hommage à Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud, roi saoudien et (soi-disant) amateur du groupe, qui venait d’être assassiné par son propre neveu en 1975. Mais c’est surtout la pochette qui attire l’attention : n’étant moi-même pas un grand amateur de Grateful Dead, je me suis plongé dans cette œuvre appâté par une illustration magistrale, qui revisite l’effigie squelettique avec brio.
Il y a enfin la musique qui devrait séduire n’importe quel mélomane par sa virtuosité et sa diversité, avant tout permise par un travail minutieux : Blues for Allah marque en effet une évolution esthétique supplémentaire du groupe, à nouveau inscrite dans le jazz-rock, mais ornée de quelques aspérités atmosphériques, de rock progressif et d’influences issues des musiques savantes, le tout articulé au sein de titres substantiellement instrumentaux.
Certes, la première piste, "Help on the Way / Slipknot!" propose un jazz-rock bluesy classique, au rythme parfois funky et à la vague direction soul. Il envoute par ses très belles lignes de guitare d’une fluidité inégalée et glisse imperceptiblement vers un second mouvement plus saturé à l’arrière-plan sonore davantage marqué par le jazz-rock.
Mais très vite, la diversité de l’album surprend : folk US marié aux couleurs progressive et baroque (l’écriture contrapuntique s’inspire de Bach) sur l’aventureux "Sage & Spirit", reggae aux arrangements fournis sur "Crazy Fingers", soul sur le sautillant "The Music Never Stopped" qui préfugure le futur "Althea", jazz-rock latin explosif sur l’impressionnant "King Solomon's Marbles / Stronger than Dirt or Milkin' the Turkey". La longue suite "Blues for Allah / Sand Castles & Glass Camels / Unusual Occurrences in the Desert" donne même dans le Krautock afin d’assurer une meilleure mise en musique – orientale - de l’album par ses percussions et son style incantatoire, ses guitares entremêlées plus ou moins mélodiques sinon bruitistes, avec des perspectives planantes germaniques qui confinent aux expérimentations électroniques. Seul "Franklin's Tower", sorte de soft-rock folky auquel le groupe nous avait habitué, souffre d’un réel manque d’originalité.
Ainsi, Blues for Allah n’est rien de moins qu’une démonstration de force de Grateful Dead aussi bien pour le niveau impressionnant de ses musiciens que pour leur polymorphie musicale.
À écouter : "Help on the Way / Slipknot!", "Blues for Allah / Sand Castles & Glass Camels / Unusual Occurrences in the Desert"