
Blue Deal
Make A Change
Produit par Tom Vela


Avant-propos
Il est légitime de se demander à quoi tient l’Art. 
Dans une société matérialiste qui favorise l’égocentrisme, on pourrait même s’interroger sur l’intérêt de perdre son temps à aligner deux mesures sur une partition, à croiser trois coups de pinceaux sur une toile, à cadrer un modèle à photographier, à concevoir un plan-séquence au cinéma ou à écrire les premières lignes d’un roman. 
La réponse (ou, du moins, une des réponses possibles) se trouve sur "Greenland Shark", le septième titre de Make A Change. Entre 3’27’’ et 6’45’’. Trois minutes et dix-huit secondes de blues-rock contemporain qui provoquent à elles seules toute l’émotion que l’on peut éprouver pour une expression artistique dans sa plus formidable acception.
Parce que, pour des musiciens, concevoir un passage instrumental autant chargé en vibrations implique la maîtrise absolue de l’esprit même d’un style musical.
Écoutez-le fort, ce "Greenland Shark" ! A fond les ballons !
Là, le blues de Blue Deal touche l’âme. Directement.
C’est, pour les anciens combattants, de la trempe de "Since I’ve Been Loving You" de ceux dont il vaut mieux taire le nom.
Cinquante nuances de blues
Que l’on croie ou non aux diableries, le blues a des tonalités et des accents qui font résonner quelque chose d’ancestral en nous. Des vibrations ataviques extrêmement anciennes qui remontent à des sources tribales lointaines. Quelque part sur le continent africain. Plus que probablement. Il se peut même que la structure et les thèmes du style trouvent leurs origines dans des incantations adressées à des entités qui dépassaient l’humain. Il y a trop de plaintes dans le blues pour qu’il ne soit pas une forme de prière. Parfois exaucée. Souvent pas. 
La particularité du style est que n’importe quel tâcheron peut en jouer les accords de base en chantant ses pires misères (Madame est partie, la bouteille de whiskey est vide, le chien est mort, il pleut, la voiture est en panne, Madame est revenue, …) et s’en trouver satisfait. Ou, du moins, un peu soulagé. Même si ça sonne totalement foireux...
Mais le blues ne vibre vraiment – et ne fait vraiment vibrer – que lorsque celui qui le joue en est possédé. Le blues doit se transpirer. Se suinter. S’épancher. 
Et Blue Deal est clairement un groupe possédé. Make A Change est tellement riche que ça pourrait être mon album préféré de 2025. 
Ca se jouera probablement sur un accord de septième...
Tout change mais rien ne bouge
Vous aurez compris à quel point le retour du quatuor de la Forêt Noire me met vraiment en joie ! Parce qu’avec ce troisième album, Make A Change, les quatre furieux ont passé la surmultipliée. 
Je m’attendais à une suite aimable du déjà excellent Can’t Kill Me Twice mais le groupe nous gratifie ici d’un opus absolument stratosphérique. La progression est géométrique. 
Pour les contemporains de Mathusalem qui s’en souviennent, la firme Revlon avait jadis trouvé un slogan génial pour vendre ses produits de beauté à deux balles : "The difference between looking good and looking great !" Le même slogan vaut pour Blue Deal si l’on remplace "looking" par "sounding" et un mascara de bas de gamme par une musique de qualité atomique. 
Il faut considérer le titre de l’opus au second degré. Blue Deal n’a rien changé à sa façon de concevoir son univers musical (1) : le monde est blues ; le monde est rock ; le monde est blues-rock. 
Point à la ligne. 
Tout bouge mais rien ne change
Si nos gaillards tapent toujours sur le même vieux gros clou forgé dans le Delta par Diable-sait-qui, le clou est cette fois enfoncé avec une puissance et une élégance qui inspirent vraiment le respect. 
Et, si les performances live sont à la hauteur de ce Magnum Opus  en studio, Blue Deal devrait bientôt défendre sa musique sur des scènes sans limite d’envergure.
J’ai déjà écrit combien je trouvais le guitariste Tom Vela (qui assure aussi une production d’une pertinence qui inspire le respect) stratosphérique et inaccessible. A l’extrême rigueur, ce type pourrait me dégoûter de toucher une six-cordes, tellement son doigté est brillant et fluide et tellement son inspiration semble infinie, entre classicisme et modernité.
Blue Deal réinvente le blues rock qui rend fou avec une palette de nuances infinies. Les furieux de la Forêt noire sont en passe de devenir une référence absolue dans la discipline. Le genre de mètre étalon qui permet de mesurer à quel point tous les autres sont cruellement largués.
L’album débute par deux titres musclés relativement classiques histoire de baliser l’espace sonore comme le faisait autrefois le prélude des orchestres classiques. "Another Reason" déboule pied au plancher pour mettre en exergue un piano bastringue diaboliquement surexcité puis "Bad Boogie Woman" impose un excellent riff à la ZZ Top pour une adorable composition musclée.
"Easy To Hurt", sublime ballade acoustique archétypale en duo voix-guitare, permet aux deux leaders d’exprimer l’étendue de leur talent. La ballade relève souvent de l’exercice imposé dans ce genre de contexte mais le titre coche ici toutes les cases du genre. Le contrat (avec le Diable) est parfaitement rempli au même titre qu’il le sera plus tard sur "Rent A Heart", l’autre moment plus calme de l’album, cette fois exécuté en quatuor. 
Le premier haut sommet de Make An Change  est le mid tempo "Get It Done" et ses développements à l’orgue Hammond qui rendent hommage à Jon Lord (2), en rappelant au passage qu’il faut beaucoup de "blues" pour créer un beau "poupre profond". Et c‘est d’autant plus parfait que le groupe prend le temps de développer ses idées sur une base rythmique forgée dans l’acier de la Ruhr.
Après "Hell Valley", un bref instrumental qui gronde et menace, la plage titulaire décolle vers les étoiles et propose des mélodies mémorables qui débouchent sur un nouveau délire instrumental épique. Ce final me conduit à penser qu’il y a peu de groupes blues rock en activité qui sont encore en mesure de rivaliser avec Blue Deal.
J’ai déjà écrit tout le bien que l’on peut penser de "Greenland Shark", le sommet le plus escarpé de l’opus.
Le tempo moyen du plus funky "Two Hearts" voit la guitare infernale se travestir d’effets wah-wah pour conduire à un refrain qui entre aisément dans l’oreille. Puis Tom Vela se fait ensorcelant sur "Over Jordan", en contrepoint d’un harmonica extrêmement délicat et d’une voix d’outre-tombe à tomber.
Et que dire du sublimement conclusif "Storm Will Come" , à arracher des larmes, qui invite le petit rocker à y revenir et y revenir encore ?
Make A Change
Je ne pense pas que le Dalaï Lama soit amateur de blues-rock diabolique. Mais le sage Tibétain prêche que l’homme de bien doit toujours ouvrir les bras au changement sans jamais  renoncer à ses valeurs fondatrices.
Il est possible que la voix de Tenzin Gyatso ait résonné jusqu’en Forêt Noire. Les valeurs du blues ont été respectées tandis que le quatuor ouvrait les bras à une évolution qualitative qui mérite d’infinies louanges !
I’ve Got the Blues ! And I Feel GREAT !
(1) Le seul changement notable est l’arrivée de l’excellent Willi Macht à la basse et contrebasse.
(2) Ou à Ken Hensley, si vous préférez...
Cette chronique AlbumRock, labellisée "IA Free", a été tapée, lettre après lettre et mot après mot, par deux vraies vieilles mains humaines sur un clavier en plastique fabriqué à vil prix en Chine.
Je remercie Xavier Chezleprêtre pour sa confiance.
Je remercie sincèrement Fabienne qui partage ma vie et qui perd un temps fou à relire patiemment toutes mes chroniques à la recherche d’erreurs orthographiques ou de contresens. 

















