
Black Country, New Road
Forever Howlong
Produit par James Ford
1- Besties / 2- The Big Spin / 3- Socks / 4- Salem Sisters / 5- Two Horses / 6- Mary / 7- Happy Birthday / 8- For The Cold Country / 9- Nancy Tries to Take the Night / 10- Forever Howlong / 11- Goodbye (Don't Tell Me)


Le voici ! Le tant redouté premier album post Isaac Woods des Black Country, New Road. Si le Live at Bush Hall sorti deux ans plus tôt avait rassuré quant à leur capacité à rebondir après la perte d’un frontman emblématique, il restait à cerner le renouveau de cette dynamique dans un cadre plus structuré. Il nous aura finalement fallu patienter deux années supplémentaires pour découvrir le désormais sextet sous cet angle, Forever Howlong posant ses valises en ce début de printemps.
Premier constat, aucun morceau proposé sur l’album live sus-cité n’a été repris ici, le groupe nous propose bel et bien 11 compositions originales adaptées au format et dès les premières notes, on retrouve ce goût prononcé du collectif londonien pour les arrangements soignés. “Besties”, déjà connu depuis un petit moment, pose les bases d’un long format tout aussi riche qu’aéré, qui nécessite un certain nombre d’écoutes pour déceler clairement sa progression et ses subtilités mélodiques, faute de singles et temps forts clairement identifiés.
Rare sont les groupes à employer naturellement clavecin, clarinette et bouzouk (qui fait son effet sur “Salem Sisters”). L’instrumentation, baroque sans être prétentieuse, offre un écrin sensible où se croisent guitare acoustique, piano feutré et saxophone dans une élégante fluidité. L’ensemble évolue dans cette structure souple et malléable, fidèle à l’approche d’Ants From Up There, alternant tempos, ambiances et textures au sein même de certains titres. “Two Horses” ou “Nancy Tries to Take the Night” illustrent parfaitement cette capacité à ménager l’espace, à faire parler les silences au même titre que les mélodies. La durée généreuse des morceaux offre un terrain propice à ces élans de fantaisie : plus d’un tiers dépassent les six minutes, laissant aux compositions le loisir de s’étirer et de respirer, parfois au risque de se fondre dans une certaine uniformité.
Tout paraît minutieusement agencé que cette construction millimétrée fini par créer une forme de tension latente, comme si la moindre aspérité risquait de faire vaciller l’équilibre fragile de l’ensemble. On sent encore, en filigrane, le deuil d’un passé révolu. Cette fragilité est portée par la voix presque enfantine de May Kershaw qui occupe majoritairement le lead, épaulée de temps à autre par ses deux acolytes féminines. Tyler Hyde et Lewis Evans interviennent plus ponctuellement, mais on ressent par moments une certaine hésitation, comme si le groupe cherchait toujours la clé d’une vraie cohérence vocale. Cette pluralité fonctionne parfois à merveille, comme sur “Mary”, d’une délicatesse bouleversante, mais d'autres morceaux en revanche peinent à trouver leur souffle et manquent de relief (“Forever Howlong” qui sert de tremplin à la touchante conclusion).
La théâtralité de l’intonation est toujours de mise, moindre qu’avec Woods certes, mais la narration est encore centrale et les paroles tiennent une place de choix dans le transfert des émotions. Fini les références cryptiques narrées à coup de spoken words qui étaient de mise sur For the First Time, tout comme les arrangements, l’écriture s’est elle aussi épurée. En quête de sublimer le quotidien, il est question ici de relations humaines, de santé mentale, de souvenirs et d’instants suspendus, développés autour d’images simples, qui résonnent en chacun de nous.
Ce troisième album studio n'a pour but ni l’adhésion immédiate, ni l’éclat spectaculaire. Il ne cherche non plus pas à réaffirmer la pertinence du groupe après la perte de son chanteur mais plutôt à redéfinir les contours d’un projet en pleine métamorphose. Là où les premiers albums jouaient sur les sauts d’intensité, la dissonance et le chaos maîtrisé, ce disque préfère la pudeur, l’harmonie, parfois au risque d’un certain lissage. On devine ici et là quelques tentatives de montée en puissance, mais sans l’impact cathartique d’antan.
Forever Howlong sonne définitivement comme un album post-rupture, résolument tourné vers l'avenir, mais encore habité par un brin de nostalgie. Après la douleur et le chaos, le collectif regarde désormais le vide laissé par Issac Woods avec tendresse. Black Country, New Road esquisse ici les bases de leur nouvelle identité, centrée sur les structures mélodiques, l’importance des silences et une sensibilité bien plus apaisée. Et c’est finalement dans ces silences que quelque chose de nouveau s’est taillé : l’espoir de pouvoir continuer à six, en se libérant peu à peu du fantôme de celui qui, malgré tout, avait donné sa voix à l’un des projets les plus ambitieux de l’art rock moderne.
Cette tentative n’a rien d’un faux pas, loin de là. Malgré toutes les critiques qui pourraient être formulées nous faisons face à un album sincère, soigneusement façonné, qui affirme la volonté du groupe à regarder vers l’avant. Il conserve néanmoins le parfum d’un disque de transition, comme une respiration nécessaire pour faire le deuil du passé et redessiner l’horizon. Si l’on ne peut qu’admirer leur refus de redite et leur persévérance, l’émotion brute et vertigineuse de leurs grandes heures reste encore en pointillé. Mais l’élan est là, et l’on sent que nos six anglais n’ont pas dit leur dernier mot dans cette lente et courageuse reconstruction.
A écouter : “Two Horses”, “Mary”, “Nancy Tries to Take the Night”