
Geordie Greep
The New Sound
Produit par


À peine avions-nous digéré le retrait précipité d’Isaac Woods des Black Country, New Road, qu’une autre secousse venait ébranler les fondations établies par les “big three” de la désormais légendaire Windmill Scene. Black Midi, explorateurs imprévisibles du post-punk expérimental, annonçait en août dernier se mettre en pause et ce, pour une durée indéterminée. La perte de Geordie Greep, l’une des voix les plus reconnaissables du post-punk moderne aux côté de Woods et Ollie Judge (Squid) aurait pu susciter l’indignation, mais à peine le temps de froncer les sourcils que la perspective d’un album solo du chanteur/ guitariste venait soulager toutes nos craintes.
Le bien nommée The New Sound n’a cependant de solo que la stature, puisqu’il s’est construit avec l’aide de plus de trente musiciens d’ici ou d’ailleurs (près de la moitié du disque a été enregistré au Brésil entouré d’artistes locaux). Exit (ou presque) les assauts math-rock et les constructions labyrinthiques de Hellfire, l'exploration musicale demeure, mais elle s’habille ici de teintes nouvelles, latines et enivrantes. Samba, bossa nova, jazz fusion, tout y passe, Greep, toujours en bon fanfaron, troque ici son rôle de prêcheur post-punk pour le costume dépareillé d’un crooner fiévreux, et il se prête à la tâche avec panache.
L’ouverture “Blues” rassure d’entrée. Si mutation il y a eu, Greep n’a clairement pas renié le style de son groupe d’origine. On y retrouve même avec plaisir son spoken word tranchant, exhaussé d’une touche nasillarde et d’un phrasé théâtral, presque grotesque. Très vite pourtant, les guitares serrées s’estompent, laissant place à une atmosphère plus chaude, plus détendue. “Terra” joue sans tabous la carte de l’exotisme et ce, avec un naturel désarmant. Percussions chaloupées, guitares solaires et ambiance tropicale, on comprend rapidement pourquoi ce projet ne pouvait éclore dans l’univers plus contraint de Black Midi. “Holy, Holy”, véritable single de l’album, lui emboite le pas et cristallise toute la verve de notre chanteur, venant même se placer parmi les titres les plus marquants de 2024.
Foutraque est le terme qui s’impose à la découverte de ce massif long format dépassant l’heure d'écoute. Réalisé avec Seth Evans, fidèle compagnon de route et artisan de l’ambitieuse évolution sonore du groupe après Schlagenheim, The New Sound navigue à vue, avance avec instinct, libre de toute contrainte et animé d’une énergie communicative. Evans, loin de se cantonner au siège de producteur, prend même le micro sur le vicieux “Motorbike”, renouant le temps d’un titre avec les cavalcades expérimentales grisantes d’antan.
C’est finalement dans son dernier tiers que l’album tutoie les sommets de l’audace et “As If Waltz” en est très certainement le joyau avec sa construction ambitieuse. En véritable montagne russe, il combine nappes de violons suspendue, montées en tension et solos électriques, avec une fluidité quasi chorégraphique. Sans répit, “The Magician” surgit dans la foulée pour imposer avec force sa grandiloquence théâtrale, Greep renouant avec sa verve dramatique. Assisté d’un piano digne des plus grands cabarets et d’une orchestration débridée, il construit un gigantesque crescendo, sujet à une implosion inévitable dans une cacophonie volontaire aussi maitrisée que jouissive. Cette pièce synthétise tout l’esprit du disque : démesure, humour, virtuosité, et surtout, liberté créatrice absolue.
Arrive enfin l’atterrissage annoncé avec "If You Are But a Dream", ballade feutrée au charme rétro et saveurs de final de comédie musicale. Greep se glisse une dernière fois dans la peau du crooner mélancolique, porté par des cuivres langoureux et un piano feutré. Broadway n’a jamais été si proche, bien que toujours déformé par le prisme déjanté d’un artiste qui ne se prend jamais tout à fait au sérieux.
Avec The New Sound, Geordie Greep ne tourne pas le dos à son passé. Il le contourne, le désaxe, le réinvente. Tout en conservant un goût pour le chaos structuré et la virtuosité rythmique, il développe ici une sensualité nouvelle guidée par une ouverture stylistique considérable. Moins cérébral, plus viscéral et vivant que jamais, The New Sound est un disque profondément libre, imprévisible, inspirant et délicieusement bordélique.
A écouter : “Terra”, “Holy, Holy”, “As If Waltz”
