
Cabbage
Nihilistic Glamour Shots
Produit par James Skelly
1- Preach To the Converted / 2- Arms of Pleonexia / 3- Molotov Alcopop / 4- Disinfect Us / 5- Postmodernist Caligula / 6- Exhibit A / 7- Celebration of a Disease / 8- Perdurabo / 9- Gibraltar Ape / 10- Obligatory Castration / 11- Reptiles State Funeral / 12- Subhuman 2.0


Ça se dit à tue-tête, ça se répète inlassablement, ça se décline en toutes sortes d'explications douteuses et justifications labyrinthiques, avant de revenir amèrement au même point de départ : le premier album serait le véritable écueil pour un groupe dont la carrière s'est envolée de manière fulgurante et, pis, inattendue après une floraison d'EPs. Montagne infranchissable ou rampe de lancement spatial ? Pour les feux follets de Cabbage, la question brûle les lèvres. Nihiliste au possible, le démon au corps, les Anglais auraient-ils à cœur de poursuivre leur formidable lancée impulsée par la brillante collection Young, Dumb and Full Off... ? Le temps d'attente a été court. Une petite année aura suffit pour que Nihilistic Glamour Shots voit le jour, et la croix plantée côte tête christique annonce la réussite du baptême du rejeton. Ou alors un événement macabre a eu lieu. La bande de choux semble scruter un cercueil. A moins que les cinq figures encapuchonnées soient les pendus du fameux EP Uber Capitalistic Death Trade, revenus des morts pour faire régner une terreur sans nom dans le manoir musical, ou se venger du système assassin dans une allégresse morbide.
La réputation du quintet de Manchester est néanmoins intacte : sauvage, sarcastique, frontal. Distillant un punk noisy et haletant, ils poursuivent leur quête de démolition auditive et de gangrène de l'anti-establishment. ''Preached to the Converted'' en est une preuve virevoltante. Affamée, la bête se jette dans les tympans. Introduites par un mégaphone drôlement dubby, les guitares stridulent, la section rythmique dégringole, la voix s'étrangle déjà. Une autre facette du groupe se délivre alors : une dimension spectrale, une ambiance futuriste, un élan qui s'écarte des seules incartades. Étonnamment, Cabbage déploie une force de frappe encore inconnue, teintée de post-punk bondissant et d'accents new wave ardents. Du western dystopique de ''Disinfect Us'' au théâtre de déchaînement galactique de ''Molotiv Alcopop'', les joyeux lurons rappellent à la fois The Horrors, The Damned et Public Image Ltd. Le brouillard saturé, audacieusement orchestré par le duo Joe Martin/Eoghan Clifford, et porté par la batterie caverneuse d'Asa Morley, persiste à sciemment parasiter le son en le noyant. L'exemple le plus prégnant de cette mise en désordre reste ''Arms of Pleonexia'', dont le refrain entêtant et les assauts soniques consacrent une belle réussite.
Mais cette volonté bruitiste jusqu'au-boutiste baisse en partie l'intérêt de certains morceaux. Parmi les grands brûlés, ''Reptiles State Funeral'', dont les voix hallucinées offrent un grand moment de descente aux enfers mais, avec regret, se révèlent indigestes en raison des excès volumineux de l'arrière-plan ; ''Perdurabo'', dont le dépouillement transcendantal et psychotique ne parvient pas à rallier nos espoirs. A l'inverse, ''Gibraltar Ape'', riche et savamment mixé, est une œuvre hybride qui consacre la qualité de Cabbage, capable de souplesse face à la rigidité d'un riff. Preuve aussi de leur compétence à compiler goguenardise et sensibilité à la manière fantasmée d'un Julian Casablanca prenant la tête des Arctic Monkeys. Les courses effrénées de ''Postmodernist Caligula'' et de ''Obligatory Castration'', menées sans complexe par la redoutable voix éraillée de Lee Broadbent, démontrent de en parallèle que le quintet peut dépasser les seules attentes des fans de noisy avec entrain et application, la définition de cette dernière restant à la charge de principaux interréssés.
Mais c'est définitivement une combinaison à fleur de peau qu'ils revêtent, ces écorchés vifs diaboliques de Cabbage. ''Exhibit A'', jolie ballade étoilée où la nervosité cède la place à l'onirisme, abrite un frontman à l'insolence addictive et à la propension pour une voix persifleuse sur des nappes léchées et songeuses. La 6-cordes, d'une amertume désenchantée, laisse libre cours à un romantisme revêche qui reflète les cinq Mancuniens : éperdument ironique, terriblement sincère. Reste à écouter ''Subhuman 2.0'' pour en avoir le cœur net, et les oreilles rassasiées. Dans un tournoiement symphonique, à la croisée de Muse et Radiohead, phrasés musicaux et thèmes compris, la frugalité de la guitare folk et de la voix se transforme en tortueuse polyphonie électrisée. Grandiose et d'une justesse tremblotante. Comme pour faire le récit de la tragédie de l'homme moderne. ''Because You're Worth It'', qui concluait Young, Dumb and Full Off..., est le témoin de ce dévoilement palpitant qu'incarne les morceaux clôturant les albums des groupes punk de ce siècle. Le premier, cousin de ''Subhuman 2.0'', relevait de l'hymne adolescent et grisant à coups de refrain fédérateur. Le dernier arrivé de Nihilistic Glamor Shots reflète le chemin parcouru depuis sa série d'EPs : toujours chaotique, poétiquement malgracieux, d'un romantisme acrimonieux.
Quoique le tsunami noisy vient finalement noircir le tableau. Si Cabbage adopte une identité éloignée de ses débuts, sa puissance grincheuse et sa fougue primitive demeurent des traits naturels à la bande. Reste à adapter les doses du cocktail Molotov qu'ils tentent de mettre au point dans leur déroutant laboratoire. De belles conquêtes en perspective pour le nouvel équipage spatial, bien que Stephen Evans, tenancier de la basse, ait depuis quitté le vaisseau. En espérant que le Chou renaisse du potager toujours fracassé. A n'en point douté !