
Armageddon
Armageddon
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Cela faisait longtemps que je n’avais pas proposé une petite formation en archéologie dans les couches les plus profondément enfouies du rock, celles pour lesquelles il faut définitivement oublier le lasso pour préférer le LiDAR, entre autres ressources de haute technologie. En introduisant ainsi Armageddon, j’exagère un peu son statut de curiosité d’antiquaire, car si le groupe est désormais complétement oublié, il comportait dans ses rangs quelques seconds couteaux tout de même prestigieux.
Notez un peu, les deux anciens Steamhammer, Martin Pugh (à la guitare) et Louis Cennamo (à la basse) avaient mis fin à leur formation tout en souhaitant poursuivre leur collaboration avec le producteur de leur dernier opus (Speech, 1972), Keith Relf. Ce dernier avait été chanteur pour les Yardbirds et surtout, pour le premier Renaissance (aux côté de Cennamo d’ailleurs), et se sentait légitimement capable de reprendre du service derrière le micro. Il manquait encore un batteur, que les comparses partent trouver en Californie, la terre promise du rock : leur dévolu est jeté sur Bobby Caldwell, débarqué de Captain Beyond, la bombe Heavy-psychédélique de Rod Evans formée après son départ de Deep Purple aux côtés d’anciens membres d’Iron Butterfly. Son CV comportait également des collaborations avec Johnny Winter et Rick Derringer – autant dire qu’il s’y connaissait en "Rock’n’Roll (Hoochie Koo)".
Ce tube semble d’ailleurs inspirer "Last Stand Before", bien que le registre y soit un peu plus flegmatique et le titre passablement plus long (grâce à un solo dialogué entre l’harmonica et la basse à l’archet, expérience quasi unique dans l’histoire du rock). Et les influences viennent aussi de Renaissance, si l’on pense au slow progressif "Silver Tightrope" aux arpèges et à la voix éthérées, ainsi que de Steamhammer.
En effet, "Buzzard" recycle un plan de guitare vraiment bien trouvé par Steamhammer, qui avait été originellement placé en introduction de "Penumbra", pièce d’ouverture de Speech, dont l’ambition progressive avait masqué la pertinence. Avec "Buzzard", ce déluge de notes est enfin déployé dans toute son envergure, puisqu’il sert de base à l’ensemble du titre : la direction est un peu funky donc moins prog’, témoignant d’un amour pour la guitare, la réinvention du blues rock et le bon riff. Il en va de même pour le plus concis "Paths and Planes and Future Gains" et plus encore pour "Basking in the White of the Midnight Sun" qui, bien que divisé en quatre mouvements, s’adonne en fait à un hard-rock funky, empruntant leur grammaire à Jimi Hendrix et Baker Gurvitz Army. Les longs soli de tous les musiciens, les passages plus lourds ou post-psychédéliques, feront le bonheur de tout amateur de stoner en mal d’antiquité.
Armageddon propose une musique certes un peu datée, même en 1975, notamment pour sa tendance à allonger les titres outre mesure, à traduire certains aspects des 60s, du rock psychédélique en particulier, dans un langage plus heavy. Mais c’est bien fait et virtuose. Il est vrai que la recette n’aurait peut-être pas tenue au-delà d’un album, une question qui, de toute façon, ne se pose pas faute au groupe d’avoir eu la capacité de se défendre sur scène pour s’assurer une carrière. Ce n’est pourtant pas sans avoir essayé, Armageddon était retourné aux États-Unis pour cela, après avoir enregistré l’opus en Angleterre : c’est donc tout ce qu’il reste de cette expérience transnationale.
À écouter : "Buzzard", "Paths and Planes and Future Gains", "Basking in the White of the Midnight Sun"