
Ghost
Skeleta
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"Le Pape est mort, vive le Pape !". Mon anticléricalisme patenté m’empêche d’adhérer à ce slogan ultramontain, mais j’osais espérer que mon amitié pour Ghost m’aurait offert une sainte compensation : pourrais-je hurler "Vive Papa V Perpetua", afin de célébrer le nouvel avatar de Tobias Forge, nouvellement installé au sommet de l’Église sataniste universelle fondée par le Suédois en 2006 ?
Ce n’est pas si simple, c’est même complexe au point de provoquer quelques querelles byzantines au sujet de Ghost. Il y a de quoi ouvrir un conclave voire même, un concile pour résoudre une controverse qui fait couler au moins autant d’encre que le retour du fils prodigue Mike Portnoy au sein de Dream Theater – événement qui vient rappeler que les miracles n’existent que pour ceux qui y croient.
Qu’est donc devenu Ghost ? Que penser de son succès ? Est-ce toujours du Metal ? La Révolution metallique se serait-elle muée en une redite du vaudeville Kiss-ien qui aurait adopté l’esthétique d’un Def Leppard en soutane ? "À bas la calotte ! Mort aux jésuites !" scandent déjà en chœur les ennemis éternels de LuciForge.
Car cela n’aura échappé à personne, Skeletá vient confirmer le tournant AOR / Hard-FM du groupe emprunté depuis deux albums, faisant de ce nouvel opus la dernière hypostase d’une trinité formée par Prequelle (2018) et Impera (2022). La Suède regorge de formations du genre, comme en témoigne le catalogue du label Frontiers, ou encore le groupe Bomber, pour mettre en lumière une jeune pousse qui brille dans ce registre avec davantage de sobriété. Le fil qui mène d’Abba à Europe est d’Ariane, et Ghost n’a jamais hésité à relier ces deux gloires nationales pour en faire un chapelet musical.
Accueillis par les claviers de "Peacefield", ouverture qui revisite la grandiloquence des orgues d’Infestissumam (2013) dans une version lumineuse et synthétique, nous ne pouvons que constater la continuité avec Impera, ce qui permet de faire tout de suite gagner du temps à ceux qui avaient déjà lâché l’affaire. Pour les autres par contre, ceux qui avaient cédé à ce plaisir coupable, ils trouveront sans doute leur bonheur à l’écoute de "Lachryma" et de "Satanized", deux morceaux déjà offerts en guise de singles promotionnels. Le premier séduit par ses synthés 80s et son riff agressif, puis développe tous les codes de la grammaire Hard FM avec une maîtrise épatante (à l’image d’un "Watcher in the Sky") ; le second est un tube rehaussé de nombreuses fioritures qui viennent enrichir la composition. Dans un registre aussi Ghost-ien que "Satanized", "Missilia Amori" est très plaisant avec ses "Love Rockets" imparables et son solo virtuose, de même que "De Profundis Borealis", un peu plus Heavy, dispose de bons arguments, telles ses notes de guitare du fond des âges sur le refrain, son souci du détail et son final grégorien.
Néanmoins, Skeletá dévoile déjà les limites du culte Ghost-ien, notamment au long de la deuxième moitié de l’opus. Les compositions deviennent peu inspirées ("Marks of the Evil One" et ses "There! There!" insupportables) ou caricaturales dans leurs atours AOR ("Cenotaph", malgré un solo magistral, ou "Umbra" doté d’une introduction faussement épique à faire pâlir David Arkenstone – attendez, y’aurait-il une cowbell ? Aaargh). Le mauvais goût n’épargnant personne, je dois confesser avoir succombé à la ballade "Guiding Lights", sûrement pour son jusqu’au-boutisme et pour la prestation de Forge au chant, là où le slow final "Excelsis" brille par sa longueur lassante.
Bien sûr, Tobias Forge n’est pas un compositeur d’opérette, si bien que les mélodies sont souvent pertinentes, les soli magistraux (Fredrik Åkesson, who else?), et les arrangements foisonnants, mais l’ensemble est plus homogène qu’Impera, donc plus nettement Hard FM, illustration peut-être, de l’aboutissement d’un processus créatif. Il semble en effet que Skeletá marque la fin d’un cycle, ce que Forge reconnaît à demi-mot, et qu’au regard de son succès, il était difficile d’opter pour un changement de style brutal. Alors que réserve la suite ? Beaucoup espéreraient une direction plus Metal ou plus progressive – mais y’a-t-il encore de l’espérance au royaume infernal ?
À écouter : "Lachryma", "Satanized", "Peacefield", "Missilia Amori"