
Julian Casablancas + The Voidz
Like All Before You
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1- Overture / 2- Square Wave / 3- Prophecy of the Dragon / 4- 7 Horses / 5- Spectral Analysis / 6- Flexorcist / 7- Perseverance-1C2S / 8- All the Same / 9- When Will the Time of These Bastards End / 10- Walk Off (Outro)


En bientôt six années de rédaction sur Albumrock, je me suis régulièrement désolé du désintérêt médiatique envers le Rock. Force est de reconnaître que l'émission Quotidien lui ouvre sa porte ayant notamment reçu des artistes comme Peter Doherty, Tobias Forge (Ghost) et donc, il y a quelques semaines, Julian Casablancas. Le programme de la chaîne TMC dont le mérite est d'exposer ces artistes sur un horaire propice aux grandes audiences, quant à la question du contenu des dites interviews, ça se complique sérieusement… Le cas de Forge était pathétique, pour ne pas dire minable : pour sa première apparition sans ses peintures de guerre "papesque", on le faisait réagir à des images des festivaliers du Hellfest en train de montrer leurs culs à la caméra. Passionnant.
Mais revenons à Casablancas, ce dernier était donc reçu pour promouvoir la sortie du nouvel album du "Julian Project" aka The Voidz. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à la fin de son échange avec l'animateur Yann Barthes et ses sbires, le chanteur de The Strokes est reparti tout propre. Chaque recoin de son ego a bien été passé à la brosse à reluire : "vous êtes la dernière vraie rockstar en activité" ; "votre page instagram est génialement mystérieuse" ; "vos titres des Strokes sont exceptionnels".
Dans tout ce concert de louanges, pas un mot en revanche sur l'album Like All Before You. Il n'était pas invité pour ça à la base ? On en revient au contenu.
Que faut-il déduire de l'absence de commentaires sur le dit objet promotionnel ? Que les chroniqueurs n'ont pas écouté le disque et implicitement pas fait leur job de journaliste ? On ne se permettra pas une telle accusation.
Qu'ils ont cherché à glorifier Casablancas au travers de ses réalisations passées afin que le public ne s'arrête pas à ce qu'il va entendre sur cette nouvelle réalisation ? Cela impliquerait donc que le disque en question serait à minima clivant et qu'étant sur un exercice promotionnel, il serait mal venu d'en partager une opinion négative. Là, on tient peut-être quelque chose.
Le curseur des excentricités de Casablancas poussé dans le rouge. Voilà une rapide synthèse du projet The Voidz.
Là où Julian Casablancas se heurte encore à quelques barrières avec ses acolytes de The Strokes ; The Voidz s'apparente au champ libre pour toutes ses exubérances. Sa voix et sa désinvolture comme seules constantes pour chacun des groupes. Chez The Voidz, ces deux préceptes sont trafiqués. Du trucage au sens propre pour la voix, avec l'utilisation massive du vocodeur (on y reviendra). Quant à la désinvolture, autrefois romantique et mélancolique, elle est ici troquée pour sa version brutale et acerbe. Vous adhérez ou non. Aucune demi-mesure. Marche ou crève.
En résulte le sentiment d'être pris pour un troupeau de moutons enclin à suivre et à manger tout ce que notre berger nous donne. Comment définir autrement que par une bouillie vocale la première moitié de "When Will the Time Of These Bastards Ends" ? Est-ce qu'on ne se foutrait pas un peu de notre gueule sur la cacophonie qu'est le refrain de "Prophecy Of The Dragon" ? Cet esthétisme, nous est vendu comme un concept artistique contemporain et avant-gardiste. Si on ne l'aime pas, c'est parce qu'on ne le comprend pas.
La poule devant un couteau ? Non. De l'élitisme décérébré ? Ça se pourrait bien.
Comme pour culpabiliser l'auditeur sur sa soi-disant fermeture d'esprit ou son ignorance, l'album se plaît à régulièrement massacrer l'accessibilité supposée de certains morceaux. On pensera ici à "Flexorcist" et sa rythmique funky bien accrocheuse fracturée par ses transitions tapageuses et autres poussées vocales chaotiques. "7 Horses" ne s'en sortait également pas si mal dans son assemblage entre rythme pesant et riff de guitare mélodique, mais à nouveau, pas question de rester là-dessus. Il s'agit de repousser l'agrément avec un truc bien dissonant sur les deux dernières minutes. Un panier pour morceaux au gâchis délibéré et obstiné dans lequel on peut rajouter "All The Same". L'aversion qui ressort de ce disque est à mettre, en partie, au crédit de l'utilisation incessante et compulsive de l'autotune. Là encore, je veux bien qu'on soit ici face à l'utilisation d'un "outil" actuel sauf que cette modernité suggérée se paye au prix de l'hermétisme. Il y a une distance implicite suggérée par cette voix trafiquée qui devient créatrice d'une barrière étanche pour l'implication émotionnelle de l'auditeur. Le morceau "Square Wave" avait de quoi être excellent avec son riff et son ambiance comparables à The Cure qui débarquerait du futur. En restera finalement une grande frustration dès l'instant où Casablancas y posera ses trucages vocaux. Rien d'étonnant donc à ce que le titre le plus intéressant de cet album soit "Spectral Analysis", comme une conversation interplanétaire. Enfin un titre auquel la connexion est rendue possible de par son ADN minimaliste. Comme quoi moderne et rudimentaire savent aussi s'accorder.
Avec ce Like All Before You, Julian Casablancas me rappelle le personnage de Luke Skywalker dans Star Wars VIII. En rejet absolu de son héritage. Son identité irrémédiablement altérée. Il regarde avec dédain ses origines et leur adresse un sourire moqueur. Sa simple présence gagerait de la qualité de son contenu.
C'est sur cette impression que m'a laissée le dernier The Voidz. Sans doute n'ai-je rien compris. Peut-être y a-t-il une portée autre que je n'ai pas décelée. Mais cet album nous donne-t-il les moyens pour percevoir ses richesses supposées ? Ses constructions dissonantes, ses effets à outrance forment autant de barrages à l'immersion ou tout simplement à sa compréhension. Un disque qui met volontairement à distance ceux qu'il juge n'être que des simples d'esprit qui ne se porteront pas plus mal en passant à côté de cet album.
A écouter : "Spectral Analysis"