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Critique d'album

Dire Straits


Love Over Gold


(20/09/1982 - Mercury Records - - Genre : Rock)
Produit par

1- Telegraph Road / 2- Private Investigations / 3- Industrial Disease / 4- Love Over Gold / 5- It Never Rains
Note de 5/5
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Note de 3.5/5 pour cet album
"La dernière pierre avant l'édifice"
Julien, le 29/12/2025
( mots)

S’il fallait répondre à la question : "Pourquoi Love Over Gold ?", il ne serait pas utile de jouer longtemps au psychologue spécialiste en analyse "knopflerdienne".
L’état d’esprit et les motivations qui habitent Mark Knopfler au moment de publier ce quatrième opus, sont apparus plus par évidence que par démonstration, au détour d’une question apparemment anodine, lors d’une interview accordée en 1982 à l’émission L’Écho des Bananes, diffusée sur FR3. Après un échange sur son approche du jeu en fingerpicking, le présentateur lui demande si le succès l’a changé. La réponse est sans équivoque et profondément révélatrice : loin des strass et des projecteurs, Knopfler parle en artisan passionné de liberté artistique :
"Le succès offre des avantages, comme le fait que personne n’interfère dans vos projets. Si je veux faire n’importe quoi — enregistrer le bruit de bouteilles ou celui d’un mixeur fou — je peux le faire, et je ne pense pas que la maison de disques dirait quoi que ce soit (…). Ça, c’est un avantage d’avoir du succès. Alors j’adore le succès."


Cette liberté, gagnée à la force des prouesses accomplies sur ses précédentes publications, Knopfler entend la dépasser : vulnérabiliser son groupe et le pousser vers d’autres sphères d’écriture, aller plus loin que les intentions esquissées sur quelques titres disséminés çà et là sur Communiqué et Making Movies.
Et comme souvent chez Dire Straits, cette migration sonore s’opère à contre-courant des évidences et des modes stylistiques alors dominants (disco, new wave). C’est donc dans un illogisme assumé, au sein d’un décalage aussi flagrant qu’impeccablement désarçonnant, que les Londoniens s’abandonnent à des inspirations progressives. Un rock progressif alors en hibernation, après l’âge d’or qu’il a connu durant la décennie seventies.


Pour autant, Love Over Gold ne relève pas d’une dévotion aveugle au style : il en retient l’ambition. Si la consonance est bien présente, le disque ne s’égare jamais dans des alambiquages déraisonnés, lui préférant le socle mélodique des lignes de guitare de Knopfler pour étirer ses morceaux. Ici, la liberté n’est jamais synonyme de relâchement : elle s’exerce sous haute précision, le groupe poussant dans le rouge un curseur en particulier : celui d'une rigueur instrumentale portée à son point de rupture.
Une exigence qui s’apprécie tout particulièrement au sein de la section rythmique. Qu’il s’agisse de la frappe nette et sèche de la batterie de Pick Withers ou de l’aplomb des notes jouées sur la basse de John Illsley, l’évolution de leur jeu est saisissante comparativement aux trois précédentes productions du groupe.


Ainsi, le disque excelle dans l’art de transitions et de ruptures internes absolument marquantes et splendides, au cœur de ses morceaux. Des instants de tension, suspendus puis fracassants, agissent comme des ponts structurels, reliant les différentes rives stylistiques des titres "Private Investigations" et "Love Over Gold". Le morceau éponyme introduit un protagoniste majeur du disque, appelé à s’imposer durablement dans l’univers du groupe, avec la place désormais prépondérante accordée au piano. Le clavier, réellement placé au centre des compositions, engage sur ce titre une conversation radieuse avec la guitare acoustique, donnant naissance à une œuvre d’un romantisme touchant. Un instant fort de l’opus, au style singulier, porté par un minimalisme aussi raffiné qu’expressif.


Autant de révolutions qu’on en oublierait presque Mark Knopfler et sa guitare. Il n’en est évidemment rien, tant le leader de la formation londonienne signe ici une entrée en matière remarquable. On parle bien sûr du monument que constitue le titre d’ouverture, "Telegraph Road".
Une introduction aussi tamisée qu’une aube naissante, avant que guitare et clavier ne s’entremêlent pour ouvrir un chemin de quatorze minutes, au fil duquel Knopfler dépose deux solos magistraux, entièrement habités par la force mélodique de son jeu. Un jeu dont l’atypisme atteint ici sa quintessence : une expression où l’art du guitariste réside autant dans sa singularité que dans sa portée collective, et dans sa capacité à générer une alchimie entre les partitions des différents instruments.
"Telegraph Road" s’impose comme un morceau emblématique tant il apparaît comme l’aboutissement d’une quête compositionnelle pour son auteur. Après "Once Upon A Time In the West" et "Tunnel of Love", sur les deux précédentes productions du groupe, Mark Knopfler paraît avoir touché ici son ambition : transporter l’auditeur dans un paysage, l’agripper à une atmosphère, le captiver par une ambiance presque cinématographique, héritée de ces films qui l’ont tant inspiré.
Ce lien avec le cinéma s’exprime de manière encore plus limpide dans la pépite que constitue le titre suivant : "Private Investigations". Véritable perle de l’œuvre des Londoniens, le morceau pose son ambiance sans équivoque. La voix grave et sombre de Knopfler impose la figure d’un enquêteur marqué par la noirceur des crimes qu’il côtoie depuis trop longtemps, lancé à la poursuite d’un criminel insaisissable, à l’image de cette guitare acoustique presque hispanique, à la fois charismatique et fuyante. La torpeur de l’atmosphère gagne progressivement en intensité, portée par une mise en tension construite autour du dialogue entre grosse caisse et notes de basse, avant que la détonation ne retentisse au cœur de la brume. Magistral.


Au milieu de ses monuments, le disque s’égare quelque peu dans ses expérimentations. C’est notamment le cas de "Industrial Disease", sorte de brouillon de "Walk of Life", qui paraîtra trois ans plus tard, mais très éloigné de l’authenticité et de l’universalité festive de son successeur. Près de quarante ans plus tard, le son de clavier utilisé, avec son aspect forain et pittoresque, n’a d’ailleurs pas particulièrement bien vieilli. À l’opposé, l’album est également loin de se conclure sur une note aussi marquante que celle sur laquelle il avait débuté. "It Never Rains" tourne clairement en rond et ne décolle jamais vraiment, laissant l’auditeur sur une impression fade, ce qui s’avère d’autant plus dommageable au regard de l’ambition déployée ailleurs sur le disque.


Avec seulement cinq titres pour plus de quarante minutes, Love Over Gold déjoue toutes les règles de son époque, où le succès se mesurait en singles radiophoniques de trois minutes. Dans ce format étiré, Dire Straits laisse son art respirer. Les morceaux titanesques comme "Telegraph Road", "Private Investigations" ou le titre éponyme incarnent pleinement cette liberté : un souffle progressif, des transitions inattendues, des atmosphères qui n’étaient pas celles que l’on attendait en 1982. Et pourtant, dans ce même espace, l’album ne tient pas sa rigueur qualitative : "Industrial Disease" ou "It Never Rains" rappellent que l’audace a son prix et que chaque expérimentation n’atteint pas la perfection.
Love Over Gold reste un disque de tension et de maîtrise, préparant le terrain pour les sommets à venir, du live captivant Alchemy à l’apogée commerciale et artistique de Brothers In Arms. Il illustre parfaitement le moment où Dire Straits, déjà singulier, ose s’affranchir de toute contrainte pour explorer pleinement son univers : un instant de liberté créative qui conserve encore aujourd’hui toute sa fascination.


 


A écouter : "Telegraph Road" ; "Private Investigations" ; "Love Over Gold"

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