
Big Thief
Double Infinity
Produit par Dom Monks
1- Incomprehensible / 2- Words / 3- Los Angeles / 4- All Night All Day / 5- Double Infinity / 6- No Fear / 7- Grandmother / 8- Happy With You / 9- How Could I Have Known


Au cours de l’été, la formation de Brooklyn est revenue sur le devant de la scène avec un nouvel album à la couverture pour le moins étrange (sinon repoussante) laissant planer le doute sur son contenu finalement tout aussi planant. Double Infinity c’est le nouvel épisode onirique de la saga nord-américaine. Dans les volumes précédents, le groupe avait déjà eu le loisir de développer un éventail de sonorités flottantes, en se forgeant une réputation à coups de somptueux morceaux folk, de mélodies fragiles surplombées de guitares électriques, le tout exécuté avec une précision habile et bruyante. Mais cette fois, c’est un peu différent.
Depuis le départ du bassiste Max Oleartchik par suite de quelques tensions, brillamment gérées dans la foulée d’après le magazine Pitchfork qui rapporte les éloges faites aux capacités d’auto-management du groupe, les trois membres restants ont dû s’organiser pour créer de la musique qui reflète une nouvelle fois leurs préoccupations très intimes. Après l’échec du mariage d’Adrianne Lenker, la prodigieuse compositrice et chanteuse à qui l’on doit des œuvres comme « Change », sur Dragon New Warm Mountain I Believe in You qui avait été acclamé par la critique, le terrain était particulièrement propice à la continuation d’une belle et longue introspection à la limite du proustien. Sur l’album, les textes traitent de sujets essentiels tels que la quête de sens au travers des relations sentimentales, de la signification de l’amour, des voyages ou encore de la poursuite des souvenirs ("Incomprehensible", "Los Angeles" ou "Grandmother"). Pour disserter, le trio s’est façonné un son enveloppant fait d’effets psyché doux, d’acoustiques légères et de quelques agréments électroniques. La philosophie du propos combinée à cette atmosphère aérienne donnant alors à entendre quelque chose de profond, de quasi solennel. Ce que le groupe est parvenu à capturer, c’est le caractère évanescent de toute chose, et, en réponse à cela, le besoin pour l’artiste de s’accrocher à ce qu’il y a de tangible à travers ce qui l’entoure, que ce soit à l’amour de ses proches ou au caractère inestimable de la musique. "Love is just a name" entend-on dans "All Night All Day", on ne peut même pas le décrire.
D’autres morceaux amènent plus de légèreté à l’ensemble mais conservent néanmoins le même axe réflexif ("Words", "Happy With You"). Ces compositions plus enjouées et accrocheuses essaient moins de pénétrer notre âme que de nous faire danser au beau milieu d’un rêve. On pourrait être tenté de qualifier "Happy With You" de maillon faible de l’ensemble, par son côté répétitif, mais ce serait une erreur. Ce morceau ne dit pas plus que ce qui doit être dit en un temps limité, sur une structure bien rythmée et une mélodie charmante.
Aux antipodes de cela, il y a "No Fear", le morceau mystique aux lignes de basses envoûtantes et, sur le même genre de tempo lent, le fameux "Grandmother" qui contient à lui seul toute la beauté de l’album : la transmutation de la peine existentielle en rock n roll. C’est sur cette chanson que l’on cueille le fruit de la collaboration avec l’artiste Laraaji, dont la voix ténor complète la réverbération des guitares. Alors même si un All Night All Day peut sembler un peu surfait dans son narratif, la féérique ligne directrice qui relie tous ces titres a vite fait de nous faire avaler la pilule. C’est dès "Incomprehensible" que l’on pénètre cette atmosphère où le temps semble s’être figé, où même la voix d’Adrianne Lenker semble se perdre dans la densité de la rêverie. C’est peut-être cette langueur qui constitue paradoxalement le point faible de cet album. Malgré la belle orchestration des compositions, elles paraissent peut être se fondre les unes dans les autres. Cela ne leur enlève aucunement leur indicible beauté.
Peut-être que la mélancolie cosmique, mélangée à quelques éclats de joie, s’apprécie mieux ainsi. C’est en tout cas ce que laisse présupposer "How could I Have Known", la balade de fin où l’on retrouve cette fois une structure folk plus traditionnelle, laquelle peut évoquer justement “Change” et les grandes chansons que nous a déjà offertes Big Thief ces dernières années. Il semble juste de saluer le travail des trois musiciens, le nouveau bassiste Justin Felton s’étant par ailleurs bien accordé à l’ensemble, qui ont su une fois de plus allier leurs savoir-faire pour créer une œuvre pop-rock sincère et étonnamment unique.

















