
Styx
Circling From Above
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Que reste-t-il de tout cela, dites-le moi ?
Que reste-t-il en 2025 du rock pompier (ou pomp rock), ce breuvage aux allures magiques fait de prog, de hard et d’Adult Oriented Rock ?
Au mitan des seventies et quelques années durant, le style a plané sur les charts rock avec des groupes emblématiques (et souvent multi platinés) comme Kansas, Styx, Starcastle, et Journey (1) suivis par une belle kyrielle de seconds couteaux.
En nos années vingt du siècle suivant, il ne reste quasiment rien de ce joyeux Barnum, sinon le fantôme d’un Kansas qui peine souvent à entretenir une relative légitimité (2) et… Styx.
En 2021, Crash Of The Crown, le dix-septième album studio du groupe, avait été une merveilleuse surprise. L’album marquait un étonnant retour aux affaires des Chicagoans et s’imposait comme un des meilleurs opus du groupe, quarante-neuf ans après un premier essai éponyme.
Rien que ça.
Mais je crois bien avoir lu quelque part que les miracles se reproduisent rarement…
Pour que ça tourne rond, il faut être carré
Précédé d’un single plutôt prometteur - "Build And Destroy" -, lui-même servi par un clip magnifique, le nouvel effort de Styx était attendu par les (ultimes) fans comme une heureuse capsule temporelle.
Malheureusement, l’écoute de l’album s’avère globalement décevante. Malgré une évidente volonté de rester fidèle à ses gênes, Styx propose une œuvre qui manque cruellement de décibels et de relief. Il est notable que James Young, l’élément le plus hard du combo, ne compose aucun titre et se montre d’une rare discrétion.
Conçu comme jadis avec une face A et une face B, Circling from Above évolue d’un bout à l’autre dans un mid-tempo convenu et peu vitaminé. Malgré quelques moments inspirés, l’album peine à imprimer une marque tangible dans le cortex du petit rocker. Il lui manque ces flamboyants moments stygiens, quand la rage du métal se mariait à des enluminures classicisantes (qui trouvaient leurs racines dans la musique classique européenne).
La « face A », littéralement sauvée par le single déjà évoqué, est empreinte d’un pessimisme assez douloureux : l’être humain est certes un bâtisseur mais il finit toujours par détruire ce qu’il a construit. Cette vision se reflète dans la phrase citée en exergue parmi les notes intérieures de l’artwork : "Les rêves de l'humanité gisent dans le néant…".
Et les égarements de l’esprit humain sont à plusieurs reprises illustrés par des lyrics globalement critiques et désabusés.
Ah, te rappelles-tu de cette guerre ?
Quand la fumée est enfin retombée
Nous étions épuisés de terreur
Il ne restait qu’à constater les dégâts
Quand on ne peut plus rien reconstruire
Quel est l’intérêt d’avoir gagné ou perdu (3)
La face B se veut heureusement plus "solaire" et contient quelques titres qui méritent une écoute attentive. Le joyeux et fédérateur "Everybody Rise A Glass" (4) apporte une jolie touche d’optimisme avec un message simpliste mais agréable à entendre, dans le plus pur style "Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir..."
Pour sa part, le très beatlesien "She Knows" d’Evankovich est probablement la pièce la plus prog et la plus musicalement aboutie, même si elle souffre de lyrics d’un romantisme adulescent fort convenu.
C’est cependant Tommy Shaw qui se rappelle à nos meilleurs souvenirs avec l’extraordinaire "Blue Eyed Raven", le seul moment vraiment décalé et génial de l’opus. On retrouve ici l’exceptionnelle qualité d’écriture d’un compositeur qui a régulièrement enchanté la carrière de Styx avec des ballades sidérantes ("Sing For The Day", "Boat On The River", "Crystal Ball", …).
"Blue Eyed Raven" reprend le thème, souvent rabâché, de la belle gitane, mystérieuse et inaccessible (5). Celle-ci s’appelle Mélina (c’est à dire "douce comme le miel"). Mais, si le prénom est grec, que les guitares acoustiques et la mandoline se font hispaniques (et c’est vraiment délicieux), la musique est le contretype (probablement involontaire) de "Bella Ciao", la chanson de révolte sociale italienne la plus connue du monde.
Durant les seventies, un titre de cette qualité aurait fait les belles heures des radios FM américaines.
Mais nous ne sommes plus "durant les seventies" et plus personne ne croit encore à la magie envoûtante des gitanes. Dommage pour Mélina, ses cheveux de jais et ses jolis yeux bleus...
Tommy Shaw remet le couvert (avec moins de grâce ou d’emphase) sur le conclusif "Only You Can Decide" qui laisse à chacun le choix de son destin, un thème qui n’est pas sans rappeler – pour les hardcore fans – le final de "Castle Walls" sur The Grand Illusion.
Crépuscule des Dieux
La nostalgie, c’est comme les coups de soleil. Ça ne fait pas mal pendant la journée. Mais ça pique quand arrive le crépuscule.
Et effectivement, certains soirs, lorsque je me réécoute les albums dits "classiques" de Styx (Crystal Ball, The Grand Illusion et Pieces Of Eight que j'adore par-dessus tout), il m’arrive d’être interpellé par le fait qu’ils ont été enregistrés il y a cinquante ans et plus.
Cinquante ans. Dix-huit efforts en studio pour à peu près 750 minutes de musique. Le labeur d'une vie d'hommes dévoués à la musique. C'est à la fois énorme et dérisoire...
Cela signifie que mes vinyles favoris de Styx sont cinq fois plus anciens que mon âge mental (tel qu’il est présumé par la jeune dame aux propos souvent ironiques qui se trouve être "ma" médecin).
Cela signifie également que la "musique de mes vingt ans" est définitivement moisie ou, dans le meilleur des cas, consignée dans l’encyclopédie d’un lointain passé.
Circling From Above est peut-être (voire probablement) le dernier album studio de Styx. Alors je le chérirai également pour ça. Plus que pour sa valeur intrinsèque. Il m’est totalement impossible d’être objectif en pareilles circonstances. Surtout quand survient le crépuscule.
Mais je sais (ou, du moins, j’espère) que les petits rockers me pardonneront cette coquetterie vespérale. C’est que le Styx mythologique était ce fleuve qui marquait la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts.
Même si je ne suis pas pressé d’y croiser Charon, il m’arrive d’y penser...
(1) Boston, Foreigner, Saga, Marillion, Magnum, …, chassaient quelquefois dans les mêmes bosquets avec des fortunes diverses.
(2) Que reste-t-il chez Kansas du line-up originel ?
(3) "Forgive".
(4) Durant les seventies, Styx et Queen présentaient quelquefois d’étranges similitudes (musicales et thématiques). Les aficionados se souviendront, par exemple, de "Mademoiselle" chez l’un et de "Killer Queen" chez l’autre. Cette parenté se retrouve ici sur ce titre qui semble sorti du répertoire classique de Queen jusque dans le son particulier (et très "identifiable") de la guitare.
(5) Réécoutons nos classiques, les amis : "Gypsy" de Uriah Heep, "Gypsy Woman" de Ricky Nelson, "Gypsy Eyes" de Jimi Hendrix, "Gypsy" de Deep Purple, "Gypsy" de Fleetwood Mac, "Gypsy" de Suzanne Vega, et patati et patata. Sans oublier le génial "L’Araignée Gipsy".
Cette chronique AlbumRock, labellisée "IA Free", a été manufacturée sur un clavier Azerty en plastique fabriqué à vil prix en Chine.
Je remercie sincèrement Fabienne qui partage ma vie et relit patiemment toutes mes chroniques à la recherche d’erreurs orthographiques ou de contresens.




















