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Interview : L'Aéronef, salle de concerts.


Christophe, le 24/05/2012

Entretien avec Alex Melis, secrétaire général de l’Aéronef, pour découvrir ce que peut être la face B d’une salle de concerts.


Peux-tu rappeler l’histoire de la salle ?

L'Aéronef existe depuis le second semestre 1989. La salle, comme d'autres j'imagine, a connu plusieurs structures administratives avant d'avoir sa structure associative actuelle. C'était la première salle de la région officiellement destinée aux musiques actuelles. A cette époque pionnière, les choses n'étaient pas très structurées, il n'y avait pas de modèle administratif et économique bien défini pour ce genre d’activité. On a été l’un des premiers équipements dans la région à avoir été doté de missions de service public sur un segment qui a longtemps été perçu comme purement commercial. De fait, l’Aéronef a dès le départ affiché une belle exigence artistique et un goût pour les cultures underground. Aujourd’hui le secteur des musiques actuelles s’est structuré et professionnalisé. On travaille désormais dans un cadre administratif, financier, fiscal et social assez clair.
On a assisté à la reconnaissance des professions techniques et artistiques, dont les acteurs peuvent maintenant être payés pour ce qu'ils font. En contrepartie se pose toujours la question de la souplesse et de la spontanéité. Les petites structures, qui s’appuient souvent sur le bénévolat et des pratiques économiques proches du troc n’ont pas toujours la capacité ou la volonté de se professionnaliser : les petites initiatives underground (qui sont souvent de véritables pépinières artistiques) s’en plaignent régulièrement car elles ne trouvent pas le modèle économique qui conviendrait à leur légèreté de fonctionnement.
De notre côté, en tant qu’équipement de taille importante, on essaie de jouer un rôle structurant sur le secteur.
L’Aéronef est toujours une association à but non-lucratif soutenue par des fonds publics. La nouveauté depuis deux ans, c’est qu’elle n’est plus déficitaire. C'est une vraie fierté, pour la nouvelle équipe d'avoir remonté la barre sur le plan gestionnaire.


Entre 1989 et 1995, l'Aéronef était situé rue Colson. A l'époque sa jauge était de 700 à 800 personnes. C’était un lieu convivial, tout en bois et forgeries. A sa tète l'équipe était très militante, drivée par l'enthousiasme et l'activisme. Il y avait des caractères bien trempés. C’était un super lieu, avec une super énergie. On y a vu des concerts mythiques. Il n'y avait pas du tout de concurrence, les autres lieux était beaucoup plus interlopes, en gros c'étaient surtout des cafés. Le paysage a complètement changé aujourd’hui, probablement pour le mieux. L'offre culturelle est très riche. Le cadre concurrentiel est fort. En fait on ne travaille pas avec un raisonnement de concurrence mais plutôt en terme de complémentarité et d'alternative. Avec les autres équipements publics : le Grand Mix, la Cave aux Poètes, ou les Maisons Folies, aucun d'entre nous ne travaille avec une logique de concurrence, de parts de marché ou de rentabilité. En revanche, vu notre jauge, des structures qui poursuivent des objectifs de rentabilité travaillent avec nous. Les producteurs privés sont donc finalement des "clients", ou plutôt des partenaires financiers.

L'Aéro de la rue Colson, c'était un joyeux bordel. Mais les plaintes des voisins à cause du bruit sur le trottoir étaient fréquentes. Donc en 1995 lors de la naissance du quartier Eurallile, la mairie qui a toujours été le principal financeur de l'Aéro, a proposé de venir dans ce nouveau quartier en souhaitant pérenniser le très bon travail mené.
Ca a été un traumatisme pour les usagers de la rue Colson. On est passé d'un lieu chaleureux situé dans un quartier résidentiel à un lieu super glauque : froid : glace métal béton, au dessus d'un centre commercial, à coté des gares, avec au début des problèmes avec les tox qui trainaient dans le coin. Ca reste un lieu difficile à valoriser de l'extérieur. Ici part contre, on peut faire ce qu'on veut.
Depuis 95, il s'est passé plein de trucs ici. Pourtant pour beaucoup d’usagers, "c’était mieux avant".
L'Aéro du début recevait tous les groupes indé, du rock n roll de connaisseurs, rock n roll de fanzineux, souvent issus du punk. Et tous les gens de l'indie pop. 1989 c'était le pinacle de l'indie pop. Toute la vague shoe gazing, brit pop, noisy pop. Tous les trucs comme My Bloody Valentine, Pulp, Blur,… on les a vu là-bas. Des figures cultes étaient présentes. Un peu comme Bashung qui était le parrain de la salle. Et toujours avec l'idée de faire des projets artistiques, par exemple : Rhys Chatham avec son concerto pour 100 guitares électriques.
Quand l'Aéro est venu ici, ils ont poursuivi : ils ont monté des projets avec des gens qui créaient des machines musicale : come "Polymachina" autour des machines musicales ou Faust. Ils ne vendaient pas de la soupe. C’étaient des projets un peu zarb, farfelus. Les gens étaient contents de ce parti pris.
Ensuite, Manu Barron qui était dans l'équipe (aujourd'hui patron du Social Club et du Silencio, manager de groupes, … un roi de la night, toujours dans la prospection, le défrichage de musique électronique), s'est beaucoup appuyé sur les musiques électroniques et la culture urbaine. Le hip hop. Le cinéma. Le multimédia.
Puis la programmation de l’Aéro s’est rapproché un poil plus, notamment sous la direction de Jean-François Driant, de ce qui se fait dans les scène nationales, avec davantage de théâtre et de danse. On s’est retrouvé moins seuls sur le terrain de l’organisation de concert avec la montée en force des producteurs privés comme FLP, A Gauche de La Lune et Verone, mais aussi des opérateurs publics : Le Grand Mix a pris de l’ampleur… Lille 2004, évidemment, a aussi changé la donne et dynamisé le secteur culturel. L'Aéro a perdu sa visibilité. On est souvent plus connu par ce qu'on ne produit pas que par ce qu'on produit.
Ce n'est jamais gagné. Depuis 95 le mouvement a été plutôt décroissant. Avec plein de bonnes idées qui ont plus ou moins marché.
Voila donc aujourd'hui l’Aéronef a 23 ans.


Avez-vous eu l'opportunité de participer à la conception du nouvel équipement ?
Il y a sûrement eu un truc participatif mais aucun directeur technique n’approuverait certains choix faits à l'époque. Comme l'accès des artistes par exemple. Aucune possibilité de stationnement n’est offerte aux groupes, seulement la possibilité de décharger. Ensuite il leur faut trouver un stationnement, parfois pour 2 voire 3 bus, en plein centre ville de Lille... On voit parfois des mecs traverser l'avenue Willy Brandt avec des caisses car leur bus est trop encombrant pour rentrer dans l'espace réservé du bâtiment.
Heureusement il y a plein de choses très positives : la modularité de la salle, sa situation dans un nœud de transports, autoroute, métro tram, bus, taxi. Le cadeau empoisonné est avoir un établissement aussi grand. C’est une contradiction qui s'impose entre la nature du lieu et les missions dont on l’a doté : faire de la découverte dans un lieu qui peut faire 2.000 personnes est un paradoxe. Mais heureusement c'est modulable. Evidemment le corollaire est que le cout de fonctionnement est énorme. Dès qu'on ouvre les portes ça coute un bras.


Dans quel cadre travaillez-vous ?
L'Aéro bénéficie du soutien économique de différents services publics, variant selon les projets de salles. On reçoit du financement public, principalement et dans l’ordre, la ville, puis région, l’état, et le département. Sur des projets plus spécifiques comme ‘les Belles Sorties’, c'est la LMCU qui les finance. On a une convention triennale, et tripartite : un financement au regard des objectifs.
Les exigences sont fortes ? il y a un cahier des charges pour chacun de ces financeurs. Notre projet fait attention à coller à ces cahiers des charges.
On est une SMAC, label du ministre de la culture, car on répond à son cahier des charges (diffusion, action culturelle et aide à la création + soutien à la scène locale) même si on est énorme pour une SMAC. L’Etat se soucie de notre niveau d'exigence artistique et de l'accompagnement des artistes.
La ville s’attache plutôt à travailler au développement culturel du territoire, au rayonnement de la ville, et est bien sûr aussi attentive au soutien à la scène locale.
On les voit quasiment tous les mois, ils travaillent à 200 mètres d'ici. Des gens de l'Etat, de la région, de la mairie siègent au CA de l'Aéro. Les AG, les réunions du CA permettent de croiser nos financeurs, de leur rendre des comptes, et de les informer des progrès de nos projets.
On a plutôt de la chance d'avoir des interlocuteurs bienveillant et attentifs à ce qu’on fait et qui sont sensibles au cœur que l'on met dans ce que l’on fait.
C’est une nouvelle page dans la vie de l'Aéro. On fait évoluer le projet, avec plus ou moins de bonheur mais des changements importants ont eu lieu.


L’équipe a pas mal changé ces 3 dernières années. L'arrivée de Bud (NDR : Patrice Budzinski, le directeur de l’Aéronef) a marqué un tournant dans l'histoire de l’Aéro, pas uniquement en terme d’équilibre financier mais aussi en faisant évoluer l’orientation du projet :
- tentative de renouement avec l’esprit associatif des débuts, réactivation du Club, réforme de l’abonnement, effort nouveau porté sur l’action culturelle. Prise en compte de la profusion de l’offre locale. Travail sur la singularisation de l’équipement.
- changement de posture par rapport aux autres structures : cela se traduit par exemple par le concept labellisé 'Chez Ti Chez Mi' : l’air de rien, c'est important symboliquement : l'Aéro est capable de coproduire des dates avec les équipes du Grand Mix, de la Cave aux Poètes, de la Malterie, de la Maison Folie de Wazemmes. On prend des risques ensemble, on va chez eux, ils viennent chez nous, on travaille avec des bouts d'équipe chez l'un chez l'autre. A ma connaissance ça ne se faisait pas – ou pas aussi visiblement - avant. Ca témoigne d'une convergence d’esprit, de l’existence d’une sorte de « Front public des musiques actuelles en Métropole ». Je ne suis pas certain que ça existe dans les autres villes.
On co-construit, on ne cultive pas les rivalités même si on n’est pas dans un monde de Bisounours et qu’il nous arrive de nous chamailler sur une date ou l’autre. En tous cas, on monte des choses ensemble et il me semble que c’est un signal positif et fort adressé au public.

Autre chose qui nous tient à cœur : la diffusion des musiques actuelles dans une logique démographique. On a une approche patrimoniale. C'est la prise en compte de la réalité actuelle. En 89 on écoutait de la musique pour faire chier ses parents, aujourd'hui on cherche à rapprocher les générations. On crée des passerelles à travers des approches programmatrices : quand on fait Killing Joke, Peter Hook ou les Undertones, c'est un façon de dire aux plus jeunes « C'était comme ca avant. Si tu aimes Herman Dune tu peux écouter Jonathan Richman, Si tu aimes Two Door Cinema Club tu peux écouter Orange Juice. Tu aimes Tristesse Contemporaine, écoute Killing Joke. Frustration, Joy Division. C’est une façon de se dire qu’on pourra avoir dans la sale des mecs de 25 ans et de 45 piges.
Et c’est aussi grâce aux gouters concerts : des adultes viennent et pas seulement pour faire plaisir a leurs gosses ! Bud l'a importé du Grand Mix.
Ce sont des données actuelles que l'on cherche à faire entrer dans notre projet. Il y en a d'autres, comme les Happy Funday. On cherche à réfléchir sans faire trop de concessions artistiques, on reste exigeants.
Donc au delà de la programmation classique il y a « Chez Ti Chez Mi », les « Goûters Concerts » (c’est un vrai moment de kiff de voir des gens venir à cause de leurs gosses), « les Belles Sorties », « Be my guest » : avec a.P.A.t.T, puis Axel Krygier et prochainement sûrement les Dustaphonics.


Comment ces nouvelles idées fusent ?
C’est souvent aussi sur une base triennale que les établissements culturels établissent leur projet artistique et culturel, qui devient leur feuille de route. C'est une annexe à la convention. Comme un projet d'établissement. On vient d'en faire un nouveau. En général il est rédigé et porté par le directeur, mais ici il a été rédigé par un collège de 6 cadres. Quand Bud est arrivé à l'Aéro, il avait son projet, mais vu le déficit financier de l'époque il n'a pas pu le mettre en œuvre librement.
Maintenant la page est blanche, on a appris a se connaitre, on accorde beaucoup d'importance aux échanges au sein de l'équipe et Patrice a été assez cool pour dire faisons le ensemble.
« Happy Funday » vient de l'idée d'avoir un artiste associé, comme ca se fait dans le théâtre. C'est rarement fait dans des salles de musiques actuelles vu le temps réduit que passent les groupes en général dans les salles lors d’une tournée. Pour la première tentative : c’est monté avec Yvan des Dustaphonics. Il apporte une richesse d'idée, de partenariat. On lui a dit : "Tu viens avec tes propositions, avec tes potes, faire tes trucs... ». Il a dit : moi je veux faire dimanche avec un gros truc, et surtout je veux faire une messe ». On a dit : « Ouha ce serait cool ! » Il vient aussi avec des ressources comme Kay des Dusta, ce qui apporte une synergie, un partenariat en terme d'idées.
En octobre, on a un projet avec un groupe qui me tient à cœur : Secret Chiefs 3. C’est un groupe féru d'occultisme. L'idée est d'en faire une soirée spéciale. Amener de la magie noire dans le lieu en utilisant toutes les formes artistiques : death métal, musique persane, musique pythagoricienne, musique de films d'épouvante. Créer une rencontre entre les artistes et les gens.


On a plein d'autres projets que l'on a listé et priorisés et pas encore tous engagés. On a trois ans pour les faire.
Il y a aussi « aéro (point) bar » où l’on n’ouvre que le bar avec des thématiques plus ou moins légères pour créer de la citoyenneté par le débat, et surtout crée des liens avec les gens. C'est très participatif. Ça permet de rencontrer les gens, discuter avec eux, leur montrer que l'Aéro a une équipe, revenir à une dimension humaine malgré la taille de la salle.
Il y a « apérogeek » sur une proposition de Marcus. C’est une soirée destinée aux musiciens animée par des musiciens, qui prodiguent des trucs et astuces : comment fabriquer des pédales, régler un compresseur,utiliser des boites à œufs ou pas, comment choper des partoches,… Avec un atelier avec fer à souder pour fabriquer les pédales et ensuite on peut essayer le matos fabriqué.
On aimerait aussi créer une scène ouverte où les gens viendraient jouer librement.
Finalement on fait un bar avec un coté club social. On montre notre philosophie. On était comme vous, on était aussi des usagers de l'Aéro il y a quelques années !


Comme autre action culturelle, il y a eu un projet qu'on a fait a l'hôpital. On est aller au chevet des patients, on leur a prêté des mp3, établi des playslists, on s'est pris la tête, c'était un gros boulot, on s'est éclaté, on a eu un super feedback. L’Aéro c'est donc aussi plein de choses pas vraiment visibles.

On se pose la question : qu'est ce que peut faire l'Aéro que ne peuvent pas proposer les autres ? On a le bon équipement technique (un grand espace, modulable, au centre ville) pour faire un tas de choses. Faisons-le !

En ce moment, on démarre un projet dans les quartiers de Vauban et Saint Maurice qui associe un auteur-compositeur et un photographe qui font un travail de récolte sur le lieu de vie des gens pour produire un travail artistique qui aboutira sur la création d’un livre-disque : d’un côté RED, fameux bluesman pas mal barré et doté d’une bonne dose d’humanisme basé dans notre région, et Mathieu Drouet, un photographe qui vient souvent sur nos concerts et dont on aime beaucoup le travail. L’idée est de familiariser des habitants de quartiers difficiles à la présence de ces deux artistes, les faire assister au processus créatif, à la sublimation de leur quotidien en une matière artistique dont ils puissent tirer quelque fierté.

C'est plutôt éloigné de votre activité de base.
Oui, mais c'est dans le scope du cahier des charges : soutien à la création pour la ville de Lille : tisser du lien dans la ville. On donne des moyens, on les paie pour qu’ils produisent un travail artistique, ils se rencontrent pour produire un travail convergeant. On veut valoriser le territoire sur lequel on intervient. Montrer que la vie des gens peut être le point de départ d'une œuvre artistique.


La culture c'est créer du lien entre les gens.


Lien vers le site de l'Aéronef
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