Artiste attrayant que ce Steven Wilson qui, en bon stakhanoviste qu’il est, a trouvé le temps au cours de ces, on va dire, six dernières années - à peu de choses près - d’enregistrer toute une pléthore d’albums, que ce soit avec l’un de ses nombreux side-projects, avec son
arbre à porc-épic ou bien évidemment en solo, de tourner inlassablement avec toujours autant de vigueur pour venir défendre ces nombreuses galettes sur scène, ou même de remixer nombre d’albums de prog incontournables signés
King Crimson,
Jethro Tull ou encore
Emerson, Lake & Palmer.
On sait l’homme particulièrement exigeant, autant en studio que face au public ; c’est d’ailleurs pour cette raison que tous les espoirs étaient permis pour cette première date au Best Buy Theater new-yorkais, salle bénéficiant de base d’une acoustique tout à fait honorable qu’on imaginait déjà sublimée par les moyens déployés par Steven Wilson, le technicien, pour magnifier la prestation de Steven Wilson, l’artiste. C’est donc un public certes passionné mais tout aussi exigeant qui prend peu à peu place alors que résonnent en fond les premières notes bouclées de “First Regret”.
Pas de fosse cette fois-ci dans la configuration du plan de salle : ce sont donc près de 2000 spectateurs assis qui attendent avec impatience l’arrivée sur scène de Wilson et de sa bande, celui-ci n’ayant pas jugé nécessaire de s’encombrer d’une première partie ce soir. Les membres du public, pour la plupart quadragénaires, échangent et discutent avec autant de courtoisie que d’enthousiasme, bière à la main - quand même ! Bien qu’en plein coeur de Times Square, c’est pourtant une atmosphère presqu'anglaise qui règne ici : plus qu’un concert, c’est bel et bien “an evening with Steven Wilson” qui se profile ce soir...
Expérience augmentée
Il est 8:00 PM lorsque les lumières s’éteignent progressivement dans la salle tandis qu’apparaît sur l’écran placé au fond de la scène un immeuble résidentiel typique de la banlieue londonienne - et d’emblée identifié comme étant le domicile de H., la protagoniste de Hand. Cannot. Erase. Adam Holzman fait le premier son entrée sur scène et prend place derrière ses claviers afin de jouer les premières notes de piano qui ouvrent l’album. Le reste de la troupe lui emboîte le pas, et c’est bien évidemment Wilson, pieds nus comme à son habitude, qui ferme la marche. Ainsi peut démarrer cette soirée qui sera en grande partie consacrée à Hand. Cannot. Erase. dont dix des onze titres seront joués - on est désolés pour toi “Transience”.
C’est après un salut appuyé à son public que Steven Wilson empoigne sa guitare pour un “3 Years Older” fidèle à la version studio, toujours aussi épique et majestueux et bénéficiant bien évidemment d’une sono de premier choix, chaque instrument résonnant dans la salle avec une précision chirurgicale… en surround. Bordel de merde, un concert en surround. Putain ! Bref : une balance parfaite dans la spacialisation qui propose une expérience d’écoute qui, pour ma part, fut totalement inédite. Une immersion favorisée qu’on ne doit encore une fois qu’à l’exigence légendaire de monsieur Wilson qui oscille sur scène entre lignes de chant envoûtantes et guitares rugissantes.
C’est donc un set calqué sur la tracklist de l’album qui suit son cours, le concert offrant ici comme une expérience augmentée par rapport à celle proposée à l’auditeur sur Hand. Cannot. Erase., avec extraits vidéo et visuels inédits projetés sur scène tandis que toute la troupe narre de nouveau la réclusion progressive de H. au fur et à mesure que se succèdent les différents morceaux. Seul “Index” se permettra dans un premier temps une intrusion toutefois totalement pardonnée de par son atmosphère angoissante et oppressante en adéquation totale avec celle du diptyque “Home Invasion” / “Regret #9” qui suit - ce-dernier récoltant acclamations et applaudissements en rafales ainsi que deux standing ovations pour les prestations époustouflantes de Adam Holzman puis Guthrie Govan, encore plus déchaînés que sur l’album.
An Englishman in New York
En plus d’être un performer de talent, Steven Wilson n’en reste pas moins proche de son public, s’adressant à lui quasi-systématiquement entre deux chansons, avec toujours beaucoup d’humour : “Bien que vous soyez assis, cela reste un concert de rock. N’hésitez donc pas à manifester votre admiration pour nous : applaudissements, acclamations et standing ovations après les solos seront grandement appréciés.”, ainsi s’exprima-t-il avant d’entamer la title track - autant d’indications que le public a suivi à la lettre tout le long de la soirée, et ce sans se faire prier, bien au contraire.
Humour toujours avec “Lazarus”, morceau dont Wilson indique être très fier qu'il introduira néanmoins comme un “
lamentable espace de publicité” lui permettant de présenter sa nouvelle guitare
modèle SW signature manufacturée par Babicz Guitars USA - un placement de produit dont le public se réjouira, un membre de l’assemblée se fendant même d’un superbe “
Rien n’est à jeter sur Deadwing !” en fin de morceau. L’intermède onirique se poursuit avec “Harmony Korine” puis “Thank U”, reprise d’Alanis Morissette que Wilson, guitare en main, interprète en duo avec Adam Holzman au piano.
C’est une fois la douce berceuse terminée que chacun reprend sa place et que le groupe s’affaire à terminer ce qu’il a entrepris : débute ainsi un “Ancestral” imparable qui déchaîne bon nombre de spectateurs qui, bien que vissés sur leurs fauteuils, se laissent complètement emporter par la pièce maîtresse de l’album, passant successivement d’une sombre mélancolie à une tension grandissante sur le build-up avant un final furieux, toutes guitares sorties au rythme toujours plus rapide d’une batterie enragée et fracassante. Standing ovation une fois encore avant que le set n'entre dans ses derniers instants avec “Happy Returns”, à la suite duquel chacun quittera la scène un à un, à l'exception de Adam Holzman à qui il revient de conclure avec “Ascendant Here On...”.
Sing for me, Steven
Désormais debout pour saluer la performance remarquable de Steven Wilson et de sa troupe, le public fait face à un drap diaphane cachant la scène. Démarre alors “Temporal” de
Bass Communion, qui sert ici de bande son à une vidéo projetée sur le drap compilant plans serrés du regard hagard d’un horloger entrecoupés de plans d’engrenages et d’aiguilles dont les cliquetis ne sont pas sans rappeler l’intro d’un des meilleurs morceaux de
Pink Floyd. Le rappel s’ouvre bien évidemment sur “The Watchmaker”, interprété ici par cinq silhouettes dessinées sur le drap par l’éclairage de la scène, avant que ce-dernier ne modifie progressivement son opacité pour laisser apparaître le groupe.
Résonne ensuite la tessiture froide et oppressante du clavier de “Sleep Together”, unique autre morceau de Porcupine Tree qui sera interprété ce soir en plus de “Lazarus” : c’est donc dans un dialogue entre guitares metal rugissantes et cordes orientales
kashmiriennes rythmé par un headbang passionné de la part du public que se clôt le rappel, mettant de ce fait
logiquement fin à un concert de toute beauté et brillamment exécuté, avec de nouveau une - énième ! - standing ovation pour saluer le groupe.
Sauf que le public a affaire ce soir à Steven Wilson, déjà décrit plus haut comme étant le bourreau de travail le plus acharné de la scène prog contemporaine : c’est donc pour un ultime morceau que toute la troupe remonte une dernière fois sur scène, venant dire au revoir non pas avec un chant de cygne mais bel et bien avec un chant de corbeau puisque c’est le sublime et émouvant “The Raven That Refused to Sing”, accompagné de son clip, qui vient mettre un terme à près de 2h30 de spectacle très clairement à la hauteur des exigences de chacun - en même temps, inutile de vous rappeler où le plus exigent de tous se trouvait dans la salle ce soir… si ?
Pour ceux qui n'auraient éventuellement toujours pas fait leur deuil, il va malheureusement falloir vous rendre à l'évidence : The Raven That Refused to Sing et Hand. Cannot. Erase. prouvaient déjà que Steven Wilson n'avait nullement besoin de son arbre à porc-épic pour proposer des albums aussi emblématiques qu'exceptionnels. De même, nul besoin de Porcupine Tree pour proposer un spectacle vivant à la qualité incontestable et mené avec une maestria qui force autant le respect que l'admiration. Vous n'y croyez pas ? Allez vérifier par vous-mêmes : une date au Palais des Congrès parisien a tout juste été annoncée. On ne vous le répètera jamais assez : Steven Wilson est très clairement un immanquable en concert. Même Jordan Rudess pense comme moi - oui, même lui avait fait le déplacement ce soir. Si même ça ne vous convainc pas, moi je mange mon chapeau.
Setlist : 1. First Regret - 2. 3 Years Older - 3. Hand Cannot Erase - 4. Perfect Life - 5. Routine - 6. Index - 7. Home Invasion - 8. Regret #9 - 9. Lazarus - 10. Harmony Korine - 11. Thank U - 12. Ancestral - 13. Happy Returns - 14. Ascendant Here On...
Rappel : 15. The Watchmaker - 16. Sleep Together
Final : 17. The Raven That Refused to Sing