Le Renoncement de Howard Devoto
Auteur: Benjamin Fogel
Editeur: Le Mot Et Le Reste
Date de sortie: 19 février 2015
Définitivement on n'en sort plus. L'époque bénie du post-punk n'a pas encore fait l'objet d'un retour en grâce, malgré le revival eighties, mais après la sortie du 3e album de Motorama sous perfusion Joy Division, Howard Devoto est à l'honneur. Cofondateur des Buzzcocks qu'il quitte à la sortie de leur premier EP pour aller former Magazine, ce Grand Homme a écrit quelques pages de l'histoire de la musique rock.
Benjamin Fogel prend le parti d'un narrateur omniscient. Il EST dans la tête de Howard Devoto, il CONNAIT ses ressorts et motivations à chaque instant de sa courte carrière musicale. L'avant-propos du Renoncement de Howard Devoto nous avertit, on a affaire à une biographie s'autorisant les digressions totalement fictives pour "combler les vides et conférer une continuité narrative au texte". On n'est pas chez Duras non plus. Les critères littéraires deviennent incroyablement lâches dès qu'on parle de bouquins sur le rock. Bien que largement au-dessus du lot, Le Renoncement de Howard Devoto n'a pas grand-chose de littéraire (on se lancera dans un débat pour définir la littérature un autre jour).
Fort heureusement, de par son sujet Benjamin Fogel évite l'écueil de la compilation d'anecdotes rock 'n' roll (sex, drugs and pffft) qui constituent la matière première non décantée d'un trop grand nombre d'ouvrages. Howard Devoto n'est pas Iggy Pop et Magazine n'est pas Mötley Crüe. Là où bien des rock critics se pignolent sur les frasques des crétins congénitaux des Stooges pour mieux éviter de parler musique, Fogel traite son sujet avec le sérieux qui sied à un individu aussi peu rock 'n' roll que Devoto. En dehors de quelques paragraphes sur l'enfance de celui qui se nommait encore Howard Trafford et des extrapolations sur ses discussions avec deux femmes ayant partagé sa vie, on ne parlera ici que de cheminement intellectuel et musical.
Autre faiblesse absente ici, le manque de recul par rapport à un environnement musical. Loin de faire du Royaume-Uni de 1976-1977 une terre acquise au punk rock, Fogel rappelle que Pete Shelley et Howard Devoto étaient "les deux seuls punks non londoniens de toute l'Angleterre" au moment de la création des Buzzcocks. Bien que parfois aveuglé par le caractère novateur de Magazine au point d'en faire un groupe à succès, l'auteur insiste sur la chute qu'a constitué le passage du groupe à Top Of The Pops, soit l'exemple unique d'une formation dont les ventes ont dégringolé après avoir participé à l'émission. Fogel rappelle le Big Bang qu'a été le concert des Sex Pistols au Free Trade Hall en 1976, événement auquel ont assisté touts ceux qui allaient ensuite compter sur la scène musicale de Manchester : Tony Wilson, Martin Hannett, Mick Hucknall, Mark E. Smith, Peter Hook, Bernard Sumner et Steven Patrick. Mieux vaut néanmoins disposer de solides bases concernant l'histoire du punk/post-punk pour tout suivre. On ne saura trop conseiller le film 24 Hour Party People de Michael Winterbottom qui concentre cette histoire en un bon divertissement.
Surtout, Le Renoncement de Howard Devoto dresse un portrait mental du post-punk. L'horizon du genre assombri par les sinistre pantins traumatisés par Joy Division, on a fini par oublier que le post-punk est avant tout une démarche, celle de gens qui savent ce qu'ils ne veulent pas. Refus absolu des clichés blues dans lesquels la guitare rock était embourbée depuis bien longtemps. Rejet de l'attitude rock 'n' roll pour la remplacer par une éthique et une ascèse. Le post-punk est une musique faite par des gens qui ne sont pas rock 'n' roll et ne veulent pas l'être. Benjamin Fogel éclaire le message porté par Devoto : aux antipodes de la mythologie prolétarienne du punk, les Buzzcocks et Magazine étaient l’œuvre des classes moyennes ennuyées mais pas désespérées. Champion de la remise en question, Howard Devoto n'a jamais joué les analphabètes. Son exigence toute lettrée, il l'a théorisée lui-même en "pulsion négative" qui le pousse à "changer en permanence, éviter toute suffisance tiède, commettre l'inacceptable". Bien sûr, cette exigence intello visant à saper sans cesse ses propres bases n'est pas sans risque. L'insécurité existentielle induite ici a de quoi rendre fou ou du moins de quoi filer un ulcère. Howard Trafford a fait de ces paradoxes tortueux la raison d'être de Howard Devoto. Au même moment, un autre homme se posait les mêmes questions. En quittant les Sex Pistols qui explosent en plein vol, Johnny Rotten redevient John Lydon et tourne le dos au punk rock pour ouvrir de nouveaux abysses post-punk.
Ce qu'il faut retenir c'est que malgré les louvoiements et les chemins de traverse, Le Renoncement de Howard Devoto suscite des émois adolescents et donne envie de jouer dans un groupe de rock. L'essence du punk rock finalement.
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