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Billet Albumrock

All Things Must Pass - Episode 1


Daniel, le 11/01/2023

All Things Must Pass

Je suis venu au monde en février 1958, dix mois avant que le rock ne fête ses trois années d’existence.

Durant les années soixante, j’ai vécu (dans le désordre et parfois sans le savoir) en compagnie des Beatles et des Rolling Stones, de Bob Morane et de Bob Dylan, des mini-jupes de Mary Quant et des parkas M51 des Mods, de P.K. Dick et A.E. Van Vogt, des premiers délires de Pink Floyd et de la boue de Woodstock, du mur de Berlin et de la peur maladive de l’atome.

A l’instar de tous les êtres âgés, je ressens de plus en plus souvent l’envie de partager / transmettre certains souvenirs (rock en l’occurrence). C’est comme si une alarme s’était mise à résonner dans mon vieux cerveau. Ce sont peut-être simplement des acouphènes. Je ne sais pas.

Est-ce que tout cela est vraiment vrai ? Difficile à dire. Depuis le début du XXIème siècle, les scientifiques soutiennent que le fait de se souvenir de quelque chose rend le souvenir en question labile, fragile et vulnérable aux interférences…

Épisode 1 – AC/DC

Date : 29 juin 1980
Salle : Palais des Expositions (Namur - Belgique)
Prix du billet : 300,00 francs belges (1)

Ce concert a été annoncé en toute discrétion. Tout d’abord oublié par les hagiographes du groupe, il est devenu, avec le temps, un moment "rock-historique". Il s’agissait tout simplement de la première prestation publique donnée par AC/DC avec son nouveau hurleur, Brian Johnson !

Nous ne savions absolument pas ce qui nous attendait et nous avons longtemps ignoré que les sept titres qui nous étaient totalement inconnus ("Hells Bells", "Back In Black", "What Do You Do For Money Honey", "Rock And Roll Ain't Noise Pollution", "Shoot To Thrill", "Given The Dog A Bone" et "Shake A Leg") allaient bientôt figurer sur un album de légende (Back In Black, la deuxième plus grosse vente de tous les temps derrière Thriller de qui vous savez).

Contexte géopolitique et culturel

Namur est une petite ville de francophonie belgicaine. Engoncée au confluent de la Meuse et de la Sambre, elle est dite catholique, bourgeoise, somnolente et universitaire. Avant le 29 juin 1980, il ne s’était jamais rien passé de rock à Namur ; depuis le 29 juin 1980, il ne s’est plus rien passé de rock à Namur.

Contexte musical

Comme tous les groupes majeurs que leur légende magnifie largement a posteriori, AC/DC bénéficie d’une réécriture de son histoire qui laisse entendre que le groupe a naturellement conquis un public universel dès son premier riff de Gibson SG. Or, à l’aube des eighties, les petits rockers n’accordaient aucun crédit aux Aussies. Ils étaient considérés (le plus souvent à juste titre) comme une tribu d’australopithèques bourrins pratiquant une musique primitive et has been. La discographie confuse des furieux (entre albums australiens et albums exportés) était illisible, leur look était ridicule et leur chanteur était mort (2). Un passif pesant…

Histoire vraie (3)

Les encyclopédistes confirmeront qu’il ne s’est strictement rien passé dans le monde le dimanche 29 juin 1980.

C’est par ennui et à contrecœur que je me suis rendu à Namur ce jour-là, en compagnie du Snake, mon pote batteur (4).

Il n’existe pas de salle de concert à Namur. Le rendez-vous était donné au Palais des Expositions, un vilain hall très quelconque dont le plus grand fait d’arme était l’organisation annuelle d’une foire aux tissus bon marchés.

Parvenus à destination, nous n’avons trouvé personne. Aucune affiche. Lumières éteintes. Portes closes. Pas le moindre mouvement ni le moindre troquet en vue. Aucune fille. Aucune baraque à frites. Aucun vendeur de substances qui font rire. Ambiance zéro. A Namur, le dimanche, on sort prier le matin puis on rentre sagement se cadenasser chez soi.

Au moment précis où nous allions quitter les lieux en râlant, nous avons observé les manœuvres d’approche de quelques rares coreligionnaires (jeans élimés, t-shirt culte, veste en cuir, bracelets cloutés et Ray-Ban de contrebande) aussi paumés et incrédules que nous.

Nous avons passé une paire d’heures à tourner en rond en fumant clope sur clope, Puis une porte s’est ouverte et notre petite bande, plutôt clairsemée, a pu enfin investir les lieux et rallier un bar tout en longueur, peu accueillant au demeurant, où chacun a pu enfin étancher sa terrible soif de bière blonde.

Après une nouvelle attente interminable, les Australiens ont débarqué de nulle part, précédés d’un parfait inconnu coiffé d’une casquette, pour investir une petite scène improvisée. Avant que ne résonne la première note, nous ignorions que le staff technique de ces crétins attardés avait installé une sono de stade de football américain dans le Palais des Expositions puis avait poussé tous les curseurs sur douze.

Dès le premier coup de cloche géante de "Hell’s Bells", nos cerveaux ont été atomisés. J’ai éprouvé le sentiment que mes tympans s’étaient volatilisés et que, désormais et pour toujours, un courant d’air glacé allait circuler librement entre mes deux oreilles. Je me suis tourné vers le Snake. Comme un seul homme, nous avons battu lâchement en retraite.

Namur a été notre Waterloo ! Pour la première fois, la "vieille garde", toute honte bue, a reculé devant l’ennemi. Après seulement trente-cinq secondes de combat inégal. Certaines nuits de pleine Lune, j’entends encore résonner ce foutu putain de carillon dans la zone la plus reptilienne de mon cerveau. Je suis persuadé que ma perception acoustique du monde est différente depuis ce jour maudit.

Nous avons quitté le Palais des Expositions en courant et traversé la rue pour nous réfugier sur un mur de quai où nous avons rapidement été rejoints par quelques dizaines de nouveaux sourds éberlués. Après quelques échanges inquiets en langage des signes, il est devenu évident que si personne n’osait retourner dans l’arène infernale pour aller chercher des bières, nous allions tous mourir de soif.

Un malheur n’arrive jamais seul...

Nous avons tiré au sort, lequel s’est abattu sur le plus petit de la bande. Ca s’appelle un « tirage au sort dirigé ». Le malheureux élu était un gars solitaire qui nous suivait parfois dans nos délires. Sa face de lune blafarde lui avait valu le surnom assez idiot de "The Moon".

Le gaillard, après un long moment d’hésitation, est reparti au cœur de l’Enfer sous nos vivats. Le groupe venait d’entamer un "Hell Ain’t A Bad Place To Be" de circonstance. A l’instant où nous étions prêts à déclarer The Moon mort au combat, il est réapparu, totalement hagard, mais les bras chargés de chopes. Et nous avons retrouvé une petite partie de notre ouïe. Le houblon frais doit avoir des effets thérapeutiques.  

Au gré des allers-retours de The Moon, nous sommes restés perché sur notre mur, à quinze mètres de l’entrée du laid Palais. Nous avons écouté AC/DC dérouler ses titres avec un son absolument parfait. La nuit était noire (c’est souvent le cas), belle et fraîche. Depuis notre perchoir, nous avons décidé que nous détestions la voix du hurleur à casquette, ce qui ne nous a pas empêchés d’applaudir, de taper du pied et de crier entre les morceaux, histoire de nous réchauffer un peu. Notre précieux porteur a compris que, s’il fonçait au bar pendant les rares moments plus calmes durant lesquels Brian Johnson présentait le répertoire et ses camarades de jeu, il aurait une chance de survivre au désastre sonore tout en nous étant agréable.

Au bout de la nuit, nous sommes rentrés bredouilles (pas le moindre souvenir à glaner).  Sur le chemin du retour, le Snake et moi avons juré que nous n’irions plus jamais voir AC/DC. Et nous avons tenu notre promesse.

The Moon – à qui nous devons de n’être pas morts de soif –, se serait suicidé un peu plus tard dans le grenier de sa grand-mère. Je ne pense pas que son geste définitif ait été dicté par les séquelles de son emploi improvisé de garçon de café à Namur.

Mais on ne sait jamais. La destinée peut être retorse.

Quarante-trois ans plus tard, les rockers australiens vont probablement encore remplir les stades. Les survivants du groupe ne doivent conserver qu’un souvenir très confus de leur passage improvisé en Belgique (5).

Quarante-trois ans plus tard également, une statue de Brian Johnson, financée grâce à un crowdfunding de vœux rockers, va (bientôt) être érigée sur les lieux de son premier méfait. Par respect pour nos vieilles carcasses, les autorités locales prévoient d’installer quelques vilaines chaises devant l’objet d’art. Autant de chaises qu’il y a eu de musiciens dans AC/DC.

Le rock s’est assis. Sic transit gloria mundi…

Line Up AC/DC

Brian Johnson
Angus Young
Malcolm Young
Cliff Williams
Phil Rudd

Setlist du 29 juin 1980

Hells Bells
Shot Down In Flames
Hell Ain't A Bad Place To Be
Problem Child
Back In Black
Bad Boy Boogie
Highway To Hell
What Do You Do For Money Honey
Rock And Roll Ain't Noise Pollution
Shoot To Thrill
Given The Dog A Bone
Whole Lotta Rosie
Rocker
Shake A Leg
Let There Be Rock

(1) Cette somme équivaut à 7,50 euros actuels. A titre de comparaison, en ces temps jurassiques, un 33 tours neuf coûtait 8,20 €.

(2) La mort de Bon Scott avait simplement été saluée par notre plus bête jeu de mots rock : "Le chanteur d’AC/DC AD/CD !"

(3) Le concept de « vérité » est forcément relatif dans la mesure où il s’agit d’un témoignage basé sur des souvenirs personnels. Comme l’écrivait ce bon Platon (avant l’invention presque concomitante du rock et du microsillon), notre monde réel n’est déjà qu’un vague reflet sur la paroi d’une caverne.

(4) Snake (aka Hammer) a tiré sa révérence le même jour maudit que Jerry Lee Lewis. Inutile de dire qu’il me manque. Il était bien plus rock que le Killer.

(5) Pendant de très nombreuses années, ce concert n’était même pas mentionné dans les annales du groupe. 

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