
The Rolling Stones
Aftermath
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1- Mother's Little Helper / 2- Stupid Girl / 3- Lady Jane / 4- Under My Thumb / 5- Doncha Bother Me / 6- Goin' Home / 7- Flight 505 / 8- High and Dry / 9- Out of Time / 10- It's Not Easy / 11- I Am Waiting / 12- Take It or Leave It / 13- Think / 14- What to Do


En avril 1966, voici que déboule Aftermath sur les platines. Six mois après December’s children, cette nouvelle livraison incarne la voie dorée vers l’âge de maturité stonien. Rien, parmi les bacchanales Rythm’n’Blues de leurs tendres années, ne laissait présager de l’explosion créatrice émanant d’Aftermath. Les Rolling Stones n’avaient guère le choix s’ils voulaient tenir la cadence infernale imposée par les Beatles. En décembre 65, les "Fab Four" avaient calmé tout le monde avec Rubber Soul, premier jalon de la maturité Rock puisqu’uniquement confectionné à partir de compositions originales. Des premiers hoquets d'Elvis chez Sun records jusqu’à Rubber Soul, l’album rock est systématiquement composé de deux ou trois tubes, de quelques reprises bien senties et des traditionnelles chansons bouche-trous. C’est en cela que les Beatles balancent un énorme high-kick dans la fourmilière Rock : c’est la première fois qu’un artiste/groupe Pop se risque à inventer une œuvre totalement originale, exploitant pleinement le potentiel du format album. Non contents de proposer une création inédite, les quatre liverpuldiens font preuve d’une ouverture d’esprit avant-gardiste envers les musiques du monde. Des instruments réservés auparavant aux musiques traditionnelles (Sitar, bouzouki...) font leur apparition pour imprégner massivement la scène Pop dans les années à venir.
Depuis le début de l’année 1966, Londres bouillonne par son incroyable vitalité intellectuelle (le fameux "Swinging London"). La peinture, la mode, la musique s’astreignent de tous les carcans pour imposer un nouvel idéal de modernité et d’hédonisme. Au sein de ce terreau béni des Dieux, les Stones explosent tous les temps de passage, se frayant un chemin dans le cercle très fermé des musiciens capables de capter l’air du temps (cette grande force leur jouera des tours par la suite). Relégué de facto au second plan pour son inaptitude à composer des morceaux (le tandem Jagger-Richards ne laisse que des miettes à leurs "subordonnés") et son ancrage musical trop orienté Blues, Brian Jones s’impose pourtant comme une des bottes secrètes d’Aftermath. C’est lui qui apporte la touche magique au marimba sur "Under my thumb". Armé de son sitar, il colore l’enlevée "Mother’s little helper" de teintes indianisantes (ainsi que le monstrueux single "Paint it black" sorti au même moment) collant parfaitement à la saveur folklorique du titre. C’est encore lui qui insuffle cette atmosphère mélancolique à "Lady Jane" et à "I am waiting" grâce à ces délicats arpèges de dulcimer. Désireux d’explorer d’autres horizons musicaux que ceux du Blues, Jones s’initie depuis quelques temps déjà à une foultitude d’instruments en tout genre, avec cette capacité rare de se l’approprier et d’en jouer d’une façon totalement rock. Sur les rares titres Blues de l’album, il ressort à l’occasion son bottleneck furibard des premiers Stones ("Doncha bother me").
Ces arrangements d’une grande ingéniosité, ne seraient rien sans la qualité intrinsèque des chansons de l’album. Dès Aftermath, les "Glimmer twins" forment un duo infernal d’auteurs compositeurs interprètes qui mènera les Stones vers les cimes himalayesques de la Perfection Rock. Côté écriture, Jagger peaufine son rôle de misogyne imbuvable (déjà entrevu auparavant mais qui devient prégnant ici) à travers des hymnes ultra provocateurs à l’encontre de la gent féminine ("Stupid girl", "Under my thumb", "Out of time"). Le charme élisabéthain de "Lady Jane" pourrait nous faire croire à la rédemption d’un jeune homme épris de sa tendre promise - directement inspiré de L’Amant de Lady Chatterley de D.H Lawrence - alors qu’il s’agit en vérité d’une allusion au sexe féminin ! La goujaterie jaggerienne à son paroxysme. Au niveau du chant, son "organe" paraît plus sûr, assuré, adulte bien loin des scansions adolescentes des balbutiements. Le consommateur invétéré de groupies fend l’armure pour laisser entrevoir son penchant romantique sur la fabuleuse "I am waiting". Son chant plein de morgue fait des étincelles sur l’impétueux "Flight 505" ou sur la tuerie Pop-Motown "Out of time", preuve flagrante du nouveau génie stonien. Il ose même la Country débraillée - une première pour les Stones - avec cet accent de bouseux des Appalaches qui corrobore son éclectisme linguistique ("High and dry").
Quant à Richards, ses progrès sont faramineux en termes de compositions. Qui aurait crû l’émule de Chuck Berry capable de composer des purs joyaux de pop baroque ? Ou même un titre aussi puissant que "Under my thumb" ? A ce titre, son jeu de guitare est à montrer à tous les excités du manche égocentriques. Ses interventions guitaristiques arrivent toujours à propos, pour ponctuer ou soutenir ce motif entêtant de marimba sans jamais l’étouffer, comme pour mieux attiser la tension sexuelle latente du morceau. Keith restant Keith, il ne peut s’empêcher de riffer comme un beau diable avec sa rythmique percussive reconnaissable entre mille ("It’s not easy"). Il fait également profiter au groupe de sa prodigieuse culture musicale, à l’affût de la moindre nouveauté. Sur Aftermath, on y trouve pêle-mêle du Rythm’n’Blues, de la Pop, de la Country, de la Soul… Et même de l’Acid Rock californien (alors en gestation) via cette longue improvisation concluant l’incroyable "Goin home".
Pour la première fois de leur carrière - en matière d’album - les Stones se hissent à la hauteur des Beatles. Sans quelques titres légèrement inférieurs ("Think", "Take it or leave it"), Aftermath n’aurait pas à rougir face à Rubber soul. Désormais, chacun de leur album sera attendu comme la parole divine. Leur premier chef-d’œuvre en poche, l’avenir s’annonce radieux pour les "méchants" Stones.