The Libertines
Anthems For Doomed Youth
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Un troisième album des Libertines. Une phrase qui se suffit à elle-même pour décrire le caractère exceptionnel de cet Anthems for Doomed Youth, sans conteste l’une des sorties les plus attendues la rentrée. Brandissant une amitié retrouvée, Peter Doherty et Carl Barât nous livrent un disque très complet, puisant dans leur travail personnel respectif mais aussi dans d’anciennes mélodies du groupe, pour un résultat clairement dans la lignée des deux disques précédents qui laisse le sentiment que cette longue séparation n’a jamais existé.
Beaucoup l’auront certainement oublié, tant Pete Doherty s’est appliqué à ruiner sa réputation au fil des ans, mais les Libertines étaient au début des années 2000 le plus grand espoir de la scène musicale britannique, s’élevant en quelques titres au niveau des Strokes, portés par la plume et les mélodies gracieuses de Pete et Carl. Le groupe finira par souffrir de sa dépendance à la profonde et tortueuse amitié qui lie ses deux leaders, et cessera d’exister quand Carl congédiera Pete à cause de son comportement déplorable et de ses problèmes de drogues. Une rupture qui semblait définitive avant que Carl et Pete ne se réunissent exceptionnellement sur scène pour quelques concerts. Quand Doherty entre en cure de désintox en Thaïlande, Carl Barât s’annonce prêt à retravailler avec lui. L’enregistrement d’Anthems for Doomed Youth commencera effectivement à sa sortie de cure, en janvier 2015.
L’authenticité du style des Libertines qu’on retrouve sur ce troisième album est en grande partie due au fait que malgré leur séparation, les deux artistes n’ont jamais cessé de travailler dans la même direction. Utilisant même un ancien matériel sur "Fame and Fortune", dont la mélodie date des premiers balbutiements du groupe bien que ses paroles n’aient été écrites qu’en 2015 pour retracer de façon assez théâtrale la rencontre entre Doherty et Barât à Londres et les premiers succès du groupe. Chanson sur laquelle les deux guitares se complètent plutôt bien, comme c’est globalement le cas sur tout le disque. Si l’on ne peut pas mesurer objectivement à quel point Carl et Pete sont à nouveau amis, on peut aisément se rendre compte que leur jeu de musiciens s’accorde à merveille. Certains de ces nouveaux titres ont d’ailleurs été écrits en totale collaboration entre les deux artistes : "Anthems for Doomed Youth", "Iceman", "Heart of the Matter", "The Milkman’s Horse".
Mais Pete n’est pas non plus revenu les mains vides et Anthems for Dommed Youth contient quelques-uns de ses morceaux personnels. C’est le cas du titre éponyme "Anthems for Doomed Youth", qui, bien que massivement réécrit par Carl et lui pour ce nouvel album, ressemble étrangement à une vieille démo de Doherty mise en ligne en 2006. L’ajout de chœurs sur les refrains et son pont apaisé en font un titre plutôt planant, et assurément un des meilleurs de l’album. C’est aussi le cas de la superbe ballade "You’re My Waterloo", composée par Pete pour Carl, un texte merveilleux que Doherty accompagne lui-même au piano, un vrai moment d’émotion intense. Les amateurs de poésie torturée trouveront également leur compte avec "Dead for Love", qui, bien qu’étant un excellent titre, conclue le disque sur une touche sombre pas forcément dans le bon ton comparé au reste.
Enregistrer l’album en Thaïlande a donné quelques idées au groupe qui a eu envie de rendre hommage à la région avec la presque punk (toute proportion gardée) "Fury of Chonburi", un titre qui sort de la mélancolie qui entoure la plupart des chansons des Libertines et donner un peu de peps à ce disque. Globalement, l’album est composé d’un ensemble de chansons aux mélodies et aux textes évoluées qui fonctionnent sur un équilibre entre des couplets suaves et des refrains plus dynamique sur lesquels la guitare rythmique se fait plus enjouée. Cet équilibre dépend entièrement de la façon dont Pete et Carl se partagent le morceau à la guitare, l’un s’occupant souvent des mélodies d’intro et l’autre de donner du corps au morceau à la rythmique. Les chansons évoluent beaucoup, changeant d’atmosphère en un pont ou un refrain, utilisant même quelques petits artifices comme une bande son de phonographe ("Dead for Love") ou de rivage marin ("Iceman"), et offrent donc un vrai panel de couleurs.
Il est normal que beaucoup des fans des Libertines, de Pete Doherty ou de Carl Barât aient eu de gros doutes sur la qualité de cet Anthems for Doomed Youth. Après tout, les Libertines sont des habitués des réunions exceptionnelles sur scène pour prendre un peu d’argent et ensuite se tirer. Mais ce nouveau disque semble plutôt découler d’une honnête envie de relancer les Libertines, et la qualité est au rendez-vous. Jetez-vous-y les yeux fermés. Pourvu que ça dure.