
Spirit
Twelve Dreams of Dr. Sardonicus
Produit par David Briggs


Spirit, gloire du rock psychédélique californien (identité revendiquée, en témoigne le pseudonyme du guitariste Randy California), décide de redoubler d’ambition pour son quatrième album. Le duo California/Cassidy, à la tête du groupe, s’associe à David Briggs, le producteur de Neil Young, qui, s’il a fait un travail contestable pour Alice Cooper en 1970 (Easy Action), se surpasse sur Twelve Dreams of Dr Sardonicus.
A priori, il pourrait s’agir d’un album-concept, autour des douze rêves (et des douze pistes correspondantes), mais il semble que ce soit davantage une collection de titres invitant à un voyage onirique sans réelle direction. Mais n’est-ce pas le principe même du fonctionnement du subconscient ? Laissons Freud sur le côté pour nous concentrer sur la musique. Attendez-vous à une variété importante et à des surprises à chaque nouveau morceau : "Nothing to Hide" fait figure de programme puisqu’il commence de façon folk pour devenir très rock avant un final orchestral et expérimental. Une belle entrée en matière pour que la suite puisse défiler dans toutes ses nuances. Certes, il y a des effets de transition entre les morceaux qui donnent son unité à l’album, mais ce qui relie les titres entre eux est leur qualité exceptionnelle.
Faut-il présenter tous les morceaux pour convaincre le lecteur que cet album de Spirit mérite le statut de chef-d’œuvre ? On peut au moins évoquer "Animal Zoo" qui revisite le son West Coast avec brio. Ou encore signaler les essais progressifs sur "Love Has Found a Way", porté par la technique du feedback, qui pourrait presqu’évoquer Gentle Giant, un groupe anglais très original qui fait ses débuts discographiques en 1970, ou même Caravan. Ce serait oublier "Mr Skin" et son côté Alice Cooper, là aussi anticipé puisqu’il fait penser à Welcome to my Nightmare … sorti en 1975 ! Ce titre met en avant une section à vent (saxophone …) permettant de faire remarquer la richesse instrumentale de l’album: les claviers sont exploités dans toutes leurs possibilités ("Space Child").
Pour achever la démonstration, et si vous deviez n’écouter qu’un seul "rêve", il faut mettre en avant "When I Touch You", la perle de l’album. Progression parfaitement gérée, claviers qui donnent une ambiance spatiale, guitares classieuses, riffs exceptionnelles, une combinaison qui offre presque six minutes d’intenses plaisir auditif. Le morceau intervient à un moment où l’album commence son apothéose, puisqu’il est suivit du terrible "Street Worm", au groove d’Atomic Rooster, dans un duo clavier/guitare d’anthologie.
Non Spirit ne se limite pas à "Taurus", le titre qui aurait inspiré "Stairway to Heaven", seule anecdote qui persiste dans la postérité. Ce sont aussi les parents d’un album culte qui se démarque par son alliance de multiples influences qui font la scène rock du moment. On ne peut même pas parler d’album de transition : c’est simplement le disque du kairos, celui qui est sorti au moment même où il devait sortir, qui est naturellement là, et qui manquerait à l’appel s’il n’avait pas existé. Alors bonne nuit à ceux qui acceptent de plonger dans le subconscient du Dr Sardonicus.