Ruby Throat

Depuis son origine la musique est un art créé et joué par des artistes. Mais si c'est encore ce que l'on peut escompter d'elle et de ceux qui en vivent, c'est pourtant loin d'être le cas pour bon nombre d'entre eux aujourd'hui. Le mauvais goût de la majorité faisant le bonheur de quelques faux-semblants médiatiques, des artistes beaucoup plus authentiques et autrement plus brillants restent donc volontairement éloignés du music business et se contentent de vivre pour et à travers leur art, peu importe les sacrifices qui en découlent. C'est le cas de Katie Jane Garside, ex chanteuse des groupes punk-trash-rock Daisy Chainsaw et Queen Adreena. Celle qui provoquait les spectateurs avec ses tenues légères, ses furies et ses excentricités scéniques, s'est quelque peu assagie depuis quatre ans, juste après avoir formé le duo Ruby Throat avec le guitariste Chris Whittingham, qu'elle a rencontré dans un couloir du métro londonien... Conquise par son jeu, c'est avec lui que la bête de scène s'est transformée en belle contant ses féeriques chansons sous des airs de folk-blues-psyché.

Dès son premier opus (The Ventriloquist), le duo a charmé tous ceux qui ont eu la chance de l'entendre. Mais comme Katie Jane et Chris ne font rien comme tout le monde, c'est par leurs propres moyens qu'ils ont continué à vendre sans intermédiaires leurs albums limités à 500 exemplaires, dédicacés et numérotés. Les nombreux inconditionnels de Katie Jane ont donc pu suivre son parcours avec Out of a Black Cloud Came a Bird mais sont restés sans nouvelle d'elle pendant près de deux ans. Avant qu'elle ne ressurgisse en ce début d'année avec la parution de ce troisième opus regroupant des chansons enregistrées entre 2010 et 2011, sur la péniche où elle vit. Cette artiste au talent protéiforme a enrubanné ce O' Doubt O' Stars en l'ornant d'un art book de 34 pages avec une écriture et des photos personnelles pour les douze chansons qui le composent.

Comme lors des deux albums précédents, Ruby Throat puise son inspiration dans le folk, qu'il soit noir, freak, psyché ou blues. Tout ce qui est composé à l'aide d'une six cordes, qu'elle soit acoustique ou électrique, ressemble ici à une voûte éthérée grâce à la magie digitale de Chris Whittingham et aux troublantes cordes vocales de Katie Jane Garside, malgré le drame et les éléments macabres qu'elles dévoilent. Sous ses airs de femme-enfant, tout aussi angéliques que sexuels, elle se met et nous met à nu avec sa poésie lyrique d'un autre siècle. Pendant près d'une heure, le strip-tease émotionnel entamé avec "Stone Dress" est soutenu par des mélodies dont la pureté s'amplifie et prennent une dimension supérieure grâce à quelques envolées psychédéliques dans la dernière partie de l'album ("Artic Fox", "Wake of Swans" et la superbe "Tottenham Reservoir"). Sans l'ombre d'une rythmique, le folk artisanal de Ruby Throat, d'une apparence minimaliste, est pourtant totalement comblé par les soupirs de Katie Jane et les accords de Chris qui parviennent à créer une atmosphère impalpable et étrangement sensorielle. La posologie de cet album est sans équivoque : il est interdit aux âmes non sensibles. Pour ceux qui n'auraient pas peur de se fondre dans cet univers, il faut toutefois les avertir que ses airs pénétrants peuvent entraîner quelques effets secondaires selon la nature émotionnelle de chacun.

Tout ce que l'on peut assurer c'est que cette Katie Jane Garside est définitivement à part. Faisant fi de toutes les servitudes mercantiles, elle se livre totalement à celui qui se donne la peine et le plaisir de l'écouter. Rien que pour cette démarche, sans compter son talent incontestable, elle ne galvaude pas le nom d'artiste !