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Critique d'album

Roxy Music


For Your Pleasure


(24/03/1973 - - Glam rock - Genre : Rock)
Produit par

1- Do The Strand - 1999 Digital Remaster / 2- Beauty Queen - 1999 Digital Remaster / 3- Strictly Confidential - 1999 Digital Remaster / 4- Editions of You - 1999 - Remaster / 5- In Every Dream Home A Heartache - 1999 Digital Remaster / 6- The Bogus Man - 1999 Digital Remaster / 7- Grey Lagoons - 1999 Digital Remaster / 8- For Your Pleasure - 1999 Digital Remaster
Note de 4/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Un univers musical qui ne ressemble à aucun autre"
Guillaume , le 01/04/2023
( mots)

En mars 1973 déboulait For your pleasure de Roxy Music… De nos jours, il est toujours difficile d’appréhender l’ampleur du phénomène. Pour ce faire, un peu de contexte est nécessaire. En ces seventies balbutiantes, le rock devient adulte et sérieux, tout auréolé de concepts albums complexes censés étaler le génie musical des virtuoses du genre. Et le fun dans tout ça ? Et l’excitation ? Comme si dans sa quête de sophistication absolue, le Rock avait renié son identité originelle.


T.Rex fut le premier à jeter le pavé dans la mare avec "Ride a white swan", boogie honteusement efficace gorgé de fuzz, clairement inspiré par Eddie Cochran. Le Glam rock voit le jour, inondant littéralement la Perfide Albion. Et grande nouveauté dans l’histoire du rock, le Glam propose une vision du rock novatrice et rafraîchissante, tout en regardant ses prestigieux aînés dans le rétroviseur. Ou Comment faire du neuf avec du vieux. Une hérésie pour tous les exégètes du Rock de l’époque (ces bons vieux critiques rock avaient oublié la nécessité de l’irrévérence à la création du rock) ! Non contents de choquer le bourgeois, les apprenants Glam se parent de froufrous affriolants, de platform boots, d’un maquillage outrancier à même de plaire aux garçons comme aux filles. La fête ne faisait que commencer pour ces grandes folles tout droit sorties des égouts de Pigalle.


Sur ces entrefaites, Roxy Music débarque en fanfare pour s’adjuger une bonne part du gâteau Glam. Enfin, Glam mais pas que. Issu de la lignée de musiciens anglais étudiants en école d’art, Bryan Ferry perçoit dans le rock un moyen de mettre en action son projet visionnaire de jeter une passerelle entre avant-garde esthétique et pop music. L’Art rock trouvait ses lettres de noblesse. En bon émule de Warhol, le but avoué de Ferry était de recourir à des images de la culture populaire en tant que matière afin de concevoir une œuvre d’art avec le moins d'efforts possibles. Jouer avec les codes connus de tous pour mieux les transgresser. Côté transgression, Brian Eno en connaissait un rayon. Rencontré par l’entremise d’Andy Mackay, l’hautboïste-saxophoniste de la bande, celui qui avait écrit dès 1965 le traité Musique pour non-musiciens va administrer au son du groupe toute sa science de l’expérimentation sonore, dispensant des bruits concrets d’un côté ou en tripatouillant la matière sonique des instruments selon son bon vouloir. Sous l’égide du duo Ferry-Eno (les deux premiers albums du groupe), Les Roxies vont élaborer une des musiques les plus ambitieuses et innovantes de la décennie, d’une modernité affolante. Au sommet de la hype Glam-rock avec un premier album fulgurant, Ferry et ses ouailles comptaient bien battre le fer tant qu’il était chaud. Les hystériques fans du groupe avaient à peine posé Roxy music sur leur platine, qu’ils se retrouvaient déjà avec For your pleasure sur les bras. L’effet était saisissant.


Passé maître dans le subtil art de brouiller les cartes, Ferry & Co laisse barboter  l’auditeur dans les eaux limoneuses du faux semblant. Là où on croit écouter un air de Music-hall Pop, l’irruption bouillonnante de la batterie de Paul Thompson nous propulse vers d’étranges rivages Electro-Prog rock ("Do the strand", hommage appuyé aux danses éphémères du début des années 60). Rien ne laisse supposer que les sombres gargouillements de synthé vont laisser place à une kitschissime chanson de rupture ("Beauty queen"). En pleine lumière, Ferry croone à la façon d’un Julien Clerc sous amphètes, bâtissant patiemment son personnage de dandy de pacotille du samedi soir - métier qu’il exerça durant ses études. Bryan Ferry et les femmes… La présence féminine est indissociable de la représentation sexy et glamour de Roxy Music. La révolution initiée par le groupe n’était pas seulement musicale, elle était également esthétique. L’étude des pochettes de Roxy Music mériterait une thèse. De son iconique pin-up allongé sur un lit de satin comme effrayée par une menace invisible pour le premier album (élue "image de la décennie" en Angleterre) en passant par la violente photo de deux jeunes femmes en lingerie prises en flagrant délit ornant Country life… Esthète au flair incroyable, Ferry avait saisi avant tout le monde l’énorme pouvoir des images chocs sur la psyché du grand public, anticipant la sexualisation à outrance du corps féminin et la starification des top-models qui allaient se retrouver partout dans les années 80. En guise d’écrin à For your pleasure, Ferry jette son dévolu sur sa girlfriend du moment, la noctambule et prétendue transgenre Amanda Lear. Encore une fois, l’éternel dandy frappe très fort : cette maitresse SM gainée dans une robe fourreau cuir tenant une panthère noire au bout d’une laisse sur un tapis de velours convoque d’innombrables suggestions mentales. Cette frénésie déliquescente - dont le groupe se faisait une spécialité - règne sur "Editions of you", formidable défouloir rock laminé par les stridences du saxophone d’Andy Mackay.


Dans l’ombre, Eno ronge son frein (qui finira bientôt par lâcher). Roxy Music sera pour le sorcier des techniques d’enregistrement le laboratoire idéal de ses expérimentations. Pour "Every dream home a heartache", il usine une atmosphère macabre de chaos électronique à la faveur d’un synthé VCS3 déphasé. La scansion habituellement outrée de Ferry prend ici des allures d’une sinistre oraison d’un droïde à l’article de la mort. Souvent relégué derrière l’orgue voire le hautbois (???), Manzanera ne laisse pas passer sa chance de jouer au guitar hero de service et fait voler en éclat ce douloureux monologue. L’illusion serait presque parfaite sauf qu’il s’agit en fin de compte d'une lettre d’amour de Ferry à sa bien aimée poupée gonflable !! Le salaud noie son chagrin d’homme seul dans les bras de sa compagne factice !! Une preuve supplémentaire, s’il en est, de la vision ultra moderne de Ferry à l'égard de la société capitaliste. Cette interprétation du collage d’Hamilton (Just what is it…) restera pour l’éternité un chef d'œuvre d’étrangeté pour tous les amateurs de mauvais goût. Tant qu’on est dans la bizarrerie, autant y rester avec "The Bogus man". Flottant sur une rythmique tribale, d’évidence empruntée au Krautrock naissant ou même au Dub, la voix hantée de Ferry zigzague au milieu des réjouissances d’une enfumée soirée de cabaret berlinois des années 20 (goût du morbide, spectacles d’expressionnisme théâtral, érotisme des bas fonds… tous ces thèmes qui allaient imprégner la trilogie berlinoise de Bowie) nous entraînant toujours plus loin dans cette géhenne déviante qui semble ne jamais finir.


Eno envoie une lettre d’adieu à ses fans énamourés via la chanson "For your pleasure". Celui qui déclarait "la répétition est une forme de changement" ajoute de l’écho, du phasing, pervertit le son de piano, utilise un sample de "Chance meeting" présent sur le premier album du sextet, fait tourner des boucles répétitives, pour en faire un Objet Musical Non Identifié augurant ses prochains travaux en solitaire. La voix fildefériste de Ferry avance en équilibriste au-dessus du magma sonore.


Les deux forces antagonistes de Ferry et Eno ne pouvaient cohabiter plus longtemps. A l’instar d’un John Cale au sein du Velvet Underground, le génie iconoclaste trace sa route pour assouvir sa soif d’expérimentation dans une carrière unique dans l’histoire du Rock. Trop souvent oublié, l’apport de Roxy Music s’avère capital. Ok, leur décadence affichée alliée à leur look rétro-futuriste vont décomplexer la jeunesse punk en gestation qui n’en demandait pas tant pour renverser la table quelques années plus tard. Mais pas uniquement. Mieux que Bowie et de T-Rex, Roxy Music a incarné un certain idéal de transgression ultime sur lequel le temps n’a pas de prise. Un espace où la voix chevrotante d’un pseudo Clark Gable pouvait ondoyer sous les lancinantes notes d’un hautbois, tout en restant rock et actuel.  




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