Renaissance
Renaissance
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Pérégrinations mexicaines - Part. II
Comme si j’étais remonté au début des 1970’s, j’ai décidé de me procurer l’unique album du groupe mexicain Renaissance en me reposant sur la seule pochette, magnifiquement chamarrée, et sur la description fallacieuse ("rock progressif") d’une vidéo postée sur une fameuse plateforme. Mon goût pour l’exotisme ayant fait le reste, me voici face à un combo si peu connu qu’on ne trouve aucune photographie de ses membres – pour tout dire, j’avais même cru à une pochette alternative d’un des albums de Renaissance, le groupe anglais d’Annie Haslam et Jim McCarty.
Sur le plan musical, Renaissance donne en fait dans le rock psychédélique très inspiré par les Etats-Unis, témoignage des circulations esthétiques et de l’influence des gringos sur le Mexique voisin, avec quelques touches latines qui donnent une saveur locale à l’opus.
L’album s’ouvre sur le manifeste "Listen to Me People", déclamé dans un chant approximatif qui singe Zappa et son compère Captain Beefheart. Il s’agit d’un titre rock très classique et représentatif de la fragilité des compositions de l’opus (également sensible sur le slow "Life" qui bascule étrangement et sans prévenir dans des rythmes latins). Bien souvent, le rock psychédélique est associé à des aspérités latines : "Love the One" et ses élans cuivrés, "Down in Mexico" qui associe un solo de guitare psyché et une ambiance mariachi. L’orientation esthétique est parfois plus marquée dans un sens ou dans l’autre : "Strange Dream" est un pur rock latin orchestral au rythme dansant et chaloupé, avec quelques effluves oniriques enrobées par la flûte (on pensera à Love). A l’inverse, la deuxième partie de l’album sonne davantage nord-américaine : "I’m Dying" est un proto hard-rock psychédélique au riff très californien, "Buried Alive" associe délires guitaristiques et solo de flute typique de l’époque, "A Dome of Love" semble venir des 60’s US (saupoudrées d’un peu de soul). En fin d’album, "The Gift / A New Man Is Born In Me" n’a de progressif que sa longueur puisqu’il mêle rock psychédélique survolté et folk-rock latinisant. Soyons honnête, il n’y rien d’exceptionnel sur le plan musical.
Ce qui nous intéresse d’un point de vue historique, c’est l’artiste derrière ce projet entièrement composé par Alfredo Díaz Borja, qui s’est fait accompagner par de très nombreux musiciens parfois issus de groupes remarquables (notamment d’El Ritual ou, pour le flutiste Armando Nava, de Dug Dug’s). Passionné de rock américain, Alfredo avait eu une première expérience psychédélique au sein de Love Syndicate et avait rencontré les Doors en 1969 alors que ces derniers étaient venus faire une tournée au Mexique. L’opportunité lui a été donnée grâce à son statut social, lui qui est le fils du président mexicain Gustavo Díaz Ordaz. Ce dernier avait violemment réprimé le "mai 1968" (en l’occurrence l’octobre 68) mexicain lors du massacre de Tlatelolco qui fit plusieurs centaines de victimes parmi les étudiants. En 1969, Alfredo parvient à s’improviser guide pour Jim Morrison et sa bande, et il finit par les emmener dans la demeure de son père pour consommer des substances illégales : rentrant à l’improviste, le président chasse ces hippies de sa villa officielle avant de réprimander son fils. Déjà peu amateur de rock, le dirigeant avait commencé à organiser la clandestinité forcée du genre musical qui servait d’exutoire à la jeunesse rebelle.
C’est ainsi que la petite histoire (du rock) rencontre la grande, bien que musicalement parlant, Renaissance porte assez mal son nom.
Note sur les sources : comme souvent, seuls quelques sites en espagnol permettent d’obtenir des informations sur le groupe Renaissance, una banda y un disco clásico del rock en México (primerofueelsonido.com) et sur l’épisode avec Jim Morrison Cuando los Doors tocaron para “juniors” en México y conocieron a Díaz Ordaz - Infobae
À écouter : "I’m Dying", "A Dome of Love"