Murple
Io sono Murple
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Parmi les attributs du rock progressif, le concept album occupe une place importante même s’il n’est pas systématique : de nombreuses œuvres ont adopté ce genre et ont permis de promouvoir un format qui s’est ensuite diffusé à d’autres musiques populaires, notamment au Metal. Les sujets varient, allant du conte pour enfant (Music Inspired by the Snow Goose de Camel, 1975), à la dystopie (The Wall de Pink Floyd, 1979) en passant par la fable humoristique (Thick as a Brick de Jethro Tull, 1972). En Italie, la scène s’est approprié l’album-concept pour mettre au monde les magistraux Atlantide de The Trip (1972), Ys d’Il Balletto di Bronzo (1972), Darwin! de Banco del Mutuo Soccorso (1972), Felona e Sorona de Le Orme (1973), Palepoli d’Osanna (1973), Zarathustra de Museo Rosenbach (1973), et tant d’autres non cités ici. C’est peut-être cela qui explique en partie la facilité du rock progressif italien à se lier au monde du cinéma.
Malgré cette opulence, Murple, groupe romain actif depuis 1971, parvient à se montrer original grâce au sujet de son premier album : le récit raconte les péripéties d’un pingouin qui aspire à l’aventure pour finir capturé et enfermé dans un zoo. Le choix est d’autant plus étonnant que le protagoniste devient en quelque sorte leur mascotte, un destin qui n’était pas évident pour un pingouin dans l’univers visuel du rock, bien que la pochette soit tout à fait remarquable.
En revanche, Murple donne dans le rock progressif symphonique italien de façon représentative, en s’inscrivant dans une réappropriation rock du format de la musique savante : l’album comporte deux grandes suites, une par face, divisées en plusieurs mouvements – rien de très original ici. La musique par contre, est d’une qualité indéniable et se démarque de l’ensemble de la scène.
La première partie est une montée en puissance symphonique, aux percussions entraînantes, qui reste très rock (on pense aux lignes de guitare), et parvient à atteindre l’harmonie entre les différentes mélodies grâce aux claviers qui multiplient les taches - nappes, arrière-plan symphonique, chorus, intermède tamisé, dialogues en contre-point avec la guitare (vers 8’30, de façon assez magistrale). Plusieurs moments sont véritablement brillants, notamment de superbes ruptures rythmiques et un passage qui associe une ligne de basse simple mais entraînante avec des claviers inventifs qui font gagner les cieux (vers 11’40). Mais la deuxième partie est encore plus réussie et cohérente, plus introspective lors de son introduction baroque au piano, plus intense grâce à ses nappes de claviers et sa guitare habitée, plus alambiquée dans ses phases instrumentales complexes et véloces (Emerson, Lake & Palmer vient à l’esprit mais l’inscription italienne est totale, avec sa légèreté admirable), et plus intense lors de son final abasourdissant.
Une signature étonnante sur le label allemand BASF, spécialisé dans la musique classique, met en péril la carrière du groupe. Le label voulait se diversifier mais a vite abandonné l’idée, et Murple se situe justement dans cette chronologie. Cette déconvenue participe à la séparation qui intervient en 1975 malgré des projets en chantier, comme un second opus : il n’y eut donc qu’un unique album avant reformation, triste destin de nombreux groupes italiens.
À écouter : "Io Sono Murple Part 2"