
BB & The Bullets
High Tide
Produit par Brian Baker


Fort fort lointain
Considération géographique : la Nouvelle-Zélande, c’est tellement loin que quand on y arrive (enfin), on est déjà sur le chemin du retour.
Considérations sociétales : Dieu – et seul Dieu (justement) sait pourquoi – a condamné les Néo-zélandais à vivre la tête en bas et à voir l’eau de leurs éviers tourner dans le mauvais sens. En compensation toute relative, Dieu a donné aux Néo-Zélandais une équipe de gros rugbymen vêtus de noir qui copient les chorés de Village People avant de coller la pâtée aux XV de France (au grand désespoir des quelques rares élus du Massif Central qui comprennent les règles de ce jeu).
Considérations animalières : en Nouvelle-Zélande, il y a des moutons (ça, on voit ce que c’est), des kiwis et des kakas. Le kiwi crie "ki-wi" et ressemble à une poire à lavement avec deux pattes ; le kaka fait "boum-boum" et ne ressemble à rien. Tous deux sont nocturnes et aucun des deux ne sait voler.
C’est plutôt moche pour des oiseaux (1).
Considération musicale : quand on évoque le rock néo-zélandais, les encyclopédistes peuvent citer Split Enz. Puis c’est tout.
Bref, pour nous, la Nouvelle-Zélande, c’est exotique, inexplicable et fort fort lointain.
Brian Baker
Brian Baker est un vieux néo-zélandais touche-à-tout, sympathique et attachant. Guitare, chant, composition, production, télévision, ... Après avoir quitté son île natale pour une plus grande – l’Australie – à l’aube des eighties, le vétéran, fort d’une carrière de près d’un demi-siècle dont personne n’a jamais entendu parler en-dehors de l’hémisphère Sud, est rentré au pays en 2022.
Et il a créé son studio, sa maison de production et sa firme de disques.
Tout ça se passe désormais à Whanganui. Ou plutôt Wanganui. Parce que, dans cette ville portuaire du Nord, il a fallu organiser un référendum pour savoir s’il fallait ou non conserver le "h". Et finalement – scoop – ce sera Wanganui. Ca simplifie la prononciation parce que ce foutu "h" imposait un mouvement de glotte que peu d’habitants maîtrisaient vraiment. Mais il subsiste évidemment des résistants farouches qui, comme Brian Baker, prononcent Whanganui et qui rêvent d’en revenir au nom d’origine.
Voilà ce qui fait l’actualité au pays des kiwis et des kakas, là où l’accent s’inspire de l’Est de l’Angleterre, là on dit "cheers" pour "merci" et "barbie" pour "barbecue". Et là également où le bonjour n’est pas le même en fonction du nombre de personnes à qui l’on s’adresse.
Mais il y a aussi la musique. Parce que, dès son retour d’Australie, Brian a mis sur pied un trio blues rock, The Bullets, pour s’en aller écumer les bistrots du coin et les scènes locales. Et The Bullets porte bien son nom. Parce que c’est de la balle.
Sous son artwork "brutaliste" et caricatural, ce premier album est une jouissance de la première à la dernière note. Comme disait l’autre, ça ne fait pas pipi loin mais qu’est ce que ça sonne…
L’opus est partagé entre cinq reprises (qui sont autant d’hommages à leurs auteurs d’origine) et sept compositions originales aux allures de classiques instantanés (parfois plus authentiques que des authentiques) où Brian Baker prend clairement un pied monumental à emmener ses deux acolytes à un train bluesy d’enfer.
L’album a été enregistré en studio dans des conditions live par les trois gars qui se connaissent sur le bout des doigts à force de partager le même mètre carré sur toutes les scènes qui veulent bien d’eux. C’est de la musique vivante. Pas une fabrication métronomique et machinale.
Cinq reprises
Albert King ("Born Under A Bad Sign"), Bo Diddley ("I Can Tell"), Rufus Thomas ("Walking The Dog"), B.B. (tiens...) King ("The Thrill Is Gone") et The Beatles ("I Want You (She’s So Heavy)") sont alignés pour la parade et passés en revue.
Cherchez l’intrus !
A priori en effet, on peut sincèrement se demander ce que The Beatles fabriquent dans ce défilé de très haute couture bluesy. Et pourtant...
C’est que The Bullets s’attaquent à des montagnes. Des vraies. Et les versions des Néo-Zélandais sont toutes éclatantes, parfois académiques mais le plus souvent merveilleusement inventives. Elles renvoient même certains spécialistes autoproclamés du genre aux oubliettes (2) ce qui ne me chagrinera pas.
Si la revisite du Diddley me semble un peu manquer d’ambition, les emprunts aux deux King (Albert et B.B.) sonnent juste et, en particulier ce phénoménal "The Thrill Is Gone" qui procure justement des frissons alors qu’il est interprété avec beaucoup de retenue.
Le très casse-gueule (et métaphorique) "Walking the Dog" est, pour sa part, réinventé avec une classe très "roots" et un respect infini qui renvoie à la gouaille juvénile de The Rolling Stones circa 1964. Il est amusant de voir quel sort enjoué Brian Baker réserve ici à la composition de Rufus Thomas qui s’était lui même largement inspiré de l’introduction de Songe d’une nuit d’été de Felix Mendelssohn. Comme quoi...
C’est avec la plus grande des curiosités que j’ai écouté la reprise de "I Want You (She’s So Heavy)" de mes quatre Anglais préférés. La plupart des groupes qui se sont frottés au "Répertoire Sacré" se sont misérablement cassé la gueule (3). The Bullets réussissent l’examen avec une jolie mention. Sans vraiment déstructurer la composition atypique (pour ne pas dire bancale) de Lennon & McCartney, le trio s’approprie le titre et lui donne une adorable rondeur bluesy. Ça s’appelle "revisiter une œuvre".
Sept compositions
Il est clair que Brian Baker est également un érudit de la composition. Élève et admirateur de Pat Pattison (4), le gaillard sait ce que sont les rimes, la scansion, les progressions d’accords et les harmonies.
Des titres aussi extraordinaires que "Something In The Water" et "High Tide" (5) n’ont certainement pas à rougir de leur proximité avec des classiques intemporels. On devine même un joyeux cousinage avec Blackberry Smoke ou Rival Sons. Des références qui font beaucoup de bien aux oreilles des petits rockers.
Pour bien marquer le territoire symbolique, le plus syncopé "Seven Ways To Sin" évoque bien évidemment le Diable dont on sait qu’il a transmis aux bluesmen les saintes tables de leur art.
Si "Little Fishies" et le fort générique "Big Boot Running" peinent plus à convaincre, le mélancolique "Lettin’ Go" affirme le talent naturel du six-cordiste, en évoquant parfois Stevie Ray Vaughan, parfois Gary Moore à son meilleur. Quant à l’enjoué "Brian’s Boogie (Hurry Home)", il renoue avec cette tradition totalement passée de mode qui consistait à faire tourner un instrumental pour offrir un tremplin parfait à un petit prodige en mal de démonstration (6).
Muddy Waters a dit (et c’est dire si c’est vrai)
Soit le blues est fait pour toi. Soit il n’est pas fait pour toi. C’est comme les godasses. Une pointure 38 n’ira jamais à un pied de 43. Tu portes les godasses qui te vont. 38 pour 38. 43 pour 43. Et moi, le blues, et bien il me va. Voilà.
Et le blues va à BB & The Bullets aussi clairement qu’une godasse taille 43 peut seoir à un pied de 43.
Là-dessus, il me reste à préparer un hangi de mouton roboratif pour tout le monde. Puis on jouera du blues et on se partagera le plat à la vesprée en éclusant quelques Speight’s Gold Medal.
Ensuite les plus courageux s’en iront fouiner dans les broussailles pour guetter le kaka quand la nuit se fera noire...
Et la vie sera belle ! Comme elle peut l’être sur une île lointaine...
(1) Mon petit cerveau n’arrive pas à concevoir un monde où les kakas se mettraient à voler.
(2) Je pense en particulier aux versions souvent compassées des titres de B.B. King par Eric Clapton.
(3) Toute règle a ses rares exceptions. Esperanto et Kansas ont réussi leurs adaptations respectives d’"Eleanor Rigby", comme Oingo Boingo ou Styx ont rendu un bel hommage à "I’m The Walrus". Le pire absolu reste évidemment "Le sous-marin vert" des Compagnons de la Chanson mais là, on boxe dans une catégorie supérieure…
(4) Professeur au Berklee College of Music de Boston, Pat Pattison est un théoricien de la composition musicale. Il a écrit plusieurs ouvrages de référence sur le sujet.
(5) Les deux titres ont fait l’objet de clips tous deux d’excellente facture. Si "Something In The Water" aborde un sujet plutôt léger (qui concerne néanmoins bon nombre d’entre nous), "High Tide" illustre joliment l’insignifiance du combat que l’homme va devoir mener contre les caprices de la nature qui se révolte contre son arrogance.
(6) Je n’ose imaginer les joyeux développements de ce titre sur scène...
Cette chronique – labellisée IA free – a été conçue par quelques neurones humains (survivants du rock des sixties et des seventies) puis tapée sur un clavier chinois en plastique à deux balles par de vraies vieilles mains humaines.
Mille mercis à Xavier Chezleprêtre pour son travail remarquable, sa patience infinie et sa confiance renouvelée.