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Critique d'album

Robin Guthrie & Harold Budd


Mysterious Skin


(24/05/2005 - Commotion - Dream Pop, Ambient - Genre : Autres)
Produit par Robin Guthrie

1- Neil's Theme / 2- The Memories Returning / 3- Snowfall / 4- Neil's Farewell / 5- Childhood Lost / 6- Halloween / 7- A Silhouette Approaches / 8- Goodbye to Wendy / 9- Brian's Nightmare / The Unknown, Part One / 10- Twilight / 11- The Unknown, Part Two / 12- The Discovery / 13- Loitering / 14- The Writing on the Wall / 15- One True Love
Note de /5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"La plus belle incursion de dream pop et de shoegaze au cinéma"
Valentin, le 07/07/2025
( mots)

Le premier film qui vient à l’esprit lorsque l’on associe le shoegaze au cinéma est probablement Lost in Translation de Sofia Coppola (2003), en grande partie grâce à sa bande originale signée Kevin Shields et quelques intégrations étonnantes comme l’emblématique "Sometimes" de My Bloody Valentine. Il y a pourtant un autre réalisateur qui a fait du shoegaze et de la dream pop des marqueurs essentiels de son esthétique : Gregg Araki. Avec un style visuel outrancier, un humour noir teinté de nihilisme et une inclinaison marquée pour les personnages rejetant les normes hétéronormatives, l’américain a été l’un des auteurs prolifiques du "New Queer Cinema", mouvement indépendant des années 90 pionnier dans la popularisation des histoires LGBTQIA+ au grand écran. 


La musique joue un rôle clé dans le cinéma d’Araki, nourrissant à la fois la texture et l’architecture narrative de ses films. Sa trilogie "Teenage Apocalypse" — faite de Totally Fucked Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997) — dévoile et référence sans cesse des œuvres et artistes connexes au rock alternatif et donc au shoegaze : Nowhere, par exemple, emprunte délibérément le titre du premier album de Ride et s’ouvre sur les volutes brumeuses de "Avalyn 2" de Slowdive. Lorsque Sofia Coppola fait ce choix esthétique pour souligner discrètement l’émotion et la solitude des deux protagonistes dans un Tokyo imperméable, Araki s’en sert plutôt comme la pierre angulaire de ses ambiances hallucinées, tout comme une manière subtile de faire dialoguer les contradictions de ses personnages souvent adolescents. Les chants voilés en dérive dans les ondes saturées apparaissent alors en un flux où se mêlent passion, désenchantement et mélancolie.


"Le seul regret de ma vie est de ne pas avoir vu Slowdive en live."
Gregg Araki, 2011


Avec son neuvième film, l’artiste adopte un ton plus grave et signe son œuvre la plus aboutie sur le plan musical. Mysterious Skin (2004) adapte le roman éponyme de Scott Heim et retrace les destins croisés de deux jeunes adultes confrontés aux traumatismes épouvantables de leurs enfances — l’un a été abusé par son entraîneur de baseball tandis que l’autre souffre de trous de mémoire répétés et croit avoir été enlevé par des extraterrestres. Bien que le sujet soit lourd, parfois même à la limite du supportable, Mysterious Skin le traite avec prudence, révérence et compassion. Le film propose notamment un portrait réaliste des mécanismes de la mémoire traumatique, mais c’est avant tout la tendresse des auteurs pour le duo de protagonistes qui offre un contrepoint salutaire — douceur perceptible jusque dans le paysage musical dressé par le réalisateur. La première scène s’ouvre sur l’éblouissant "Golden Hair" de Slowdive, reprise envoûtante et étirée d’un titre de Syd Barrett. On retrouve plus tard d’autres morceaux plus légers du groupe anglais — qui obsède Araki et que Heim écoutait en boucle durant l’écriture — mêlés au shoegaze de Curve et Ride, sur lesquels s’assoupit de temps en temps le personnage incarné par un jeune Joseph Gordon-Levitt.


"J’écris toujours avec de la musique en fond, elle fait partie intégrante de l’atmosphère et de l’esprit de mes films. Souvent, j’inscris même la piste directement dans le scénario, pour qu’elle accompagne tout le processus."
Gregg Araki, 2011


La bande originale, essence impalpable de la délicatesse du film, est quant à elle réalisée par Harold Budd et Robin Guthrie. Gregg Araki sollicite le duo fin 2003. Le montage de Mysterious Skin a commencé et le voilà en train d’utiliser The Moon and The Melodies (1986) comme bande son passagère de son premier jet, soit l’unique collaboration enregistrée entre Harold Budd et Cocteau Twins, pour lequel Guthrie fait office de guitariste et producteur jusqu’à leur séparation en 1997. L’album est une expérience singulière et significative, puisqu’il s’agit du premier mariage de marque entre ambient et musique alternative. Le cinéaste est touché par la beauté contemplative, solitaire du disque et y voit potentiellement un reflet de ses intentions pour Mysterious Skin : l’originalité et la beauté du projet suffisent à réunir le duo dix-sept ans après, malgré le manque de moyens financiers dont disposait Gregg Araki.


Harold Budd est un pianiste et compositeur minimaliste élevé dans le désert des Mojaves en Californie, originellement un artiste avant-gardiste dans la lignée de John Cage avant de rejeter les prétentions analytiques de ses collègues au profit de créations plus charmantes et spontanées. Successeur spirituel des impressionnistes Debussy, Ravel et plus particulièrement Erik Satie, il collabore avec Brian Eno alors en pleine épiphanie ambient pour deux disques fondateurs du genre – The Plateaux of Mirror (1980) et The Pearl (1984). L’émérite producteur anglais y déploie un ensemble de traitements sonores inédits pensé pour dissoudre et prolonger le jeu minimaliste de Budd, jusqu’à susciter une impression de suspension temporelle, d’éternité, comme une quatrième pédale de piano, invisible, qui ne ferait jamais taire les notes et cultiverait leurs harmoniques à jamais. 


Robin Guthrie est un acteur polyvalent des musiques indépendantes anglaises des années 80 et 90 : cofondateur du label Bella Union actif depuis bientôt 20 ans ; producteur d’une poignées de pépites pour Felt, A.R. Kane, Lush ou Swervedriver ; mais surtout guitariste de Cocteau Twins, formation post-punk anglaise progressivement devenue un incontournable de l’histoire de la dream pop. Avant tout homme de studio, Robin Guthrie sculpte un son à la fois ambigu et cristallin, comme un mur translucide derrière lequel vibrent et ondulent les incantations d’Elizabeth Fraser. Le travail esthétique et technique de Cocteau Twins s’avère capital pour le shoegaze, qui retiendra de leur style la profusion de pédales d’effets et l’art de noyer les voix dans le mixage, même si le genre s’en distingue toutefois par un usage plus bruyant là où Guthrie privilégie la légèreté et les nappes sonores scintillantes. 


"Je ne joue pas de la guitare : je joue le son, je joue les pédales, je joue la réverbération."
Robin Guthrie, 2021


On reconnaît sans peine la signature de chacun dans les compositions de cette bande originale. Budd apporte ses claviers lointains et solitaires, joués lentement sur des paysages inconnus, tandis que Guthrie invite ses halos de cordes au timbres étincelants. Les rayons chaleureux de "Twilight" et "Loitering" pourraient figurer sur le premier album solo du guitariste, mais là où Imperial (2003) manque parfois d’intention mélodique, Mysterious Skin trouve un équilibre inestimable entre pesanteur et légèreté. "Snowfall" évolue d’abord dans l’incertitude avant de rencontrer une liberté fragile, encouragée par des percussions discrètes. Les guitares superposées du thème de Neil recouvrent un motif obstiné, comme une alarme, qui suggère l’urgence d’une douleur écrasante. Les accords tragiques de "Halloween" se fondent dans un souffle réconfortant. Ces titres se montrent bien plus denses que les créations habituelles de Budd. Pourtant, sa science minimaliste donne un relief nécessaire aux décors de son camarade, non pas en les étirant mais en les creusant, en révélant des silences insoupçonnés sous les échos. 


Aucun des deux artistes ne semble se compromettre aux aspirations de l’autre : celles-ci se rejoignent naturellement dans les textures indéterminées et le flou des longues réverbérations. Les titres les plus abstraits comme "The Discovery", "A Silhouette Approaches", et "One True Love" partagent cette même matière indistincte faite de notes en déclin, qui s’étale dans la durée et dans l’épaisseur du monde. Dans ses meilleures inspirations, la bande originale se pose délicatement comme un voile entre notre regard et la violence implicite du film. Elle habite presque toutes les scènes liées aux traumatismes de Neil McCormick ou aux absences de Brian Lackey : une manière habile de détourner notre attention sur les souvenirs et les sentiments confus des personnages, au lieu de se satisfaire d’une horreur sensationnaliste. Il est alors question d’angoisse ou de tristesse, mais bien plus souvent de nostalgie. Pour l’insouciance, les sourires tendres, le confort et les belles journées d’enfance volées. 


"Dans le meilleur des mondes, je souhaiterais retrouver — et faire retrouver aux autres, par ricochet — des émotions oubliées, les faire resurgir avec une clarté presque hallucinatoire."
Harold Budd


Si ce projet mérite autant qu’on s’y attarde vingt ans plus tard, c’est autant pour la justesse de sa charge émotionnelle que pour son rôle essentiel dans la réussite de Mysterious Skin. Le tour de force du film — faire le portrait d’enfants lourdement traumatisés avec une pudeur rare — ne peut pas être distingué de l’atmosphère sonore mélancolique qu’il déploie avec élégance. Pourtant, cet album demeure absent des plateformes de streaming (hormis YouTube) et trop peu de copies physiques circulent actuellement, conséquence de mésententes avérées entre labels. Une situation qui serait également responsable d’un retard de sept années dans la production de Another Flower, ultime collaboration de Guthrie et Budd finalement apparue quelques jours avant le décès de ce dernier en 2020, emporté par la pandémie. Il ne nous reste alors qu’à espérer une réédition plus que nécessaire pour cette bande originale délicate entre ambient, dream pop et shoegaze qui n’a définitivement pas d’équivalent.


"L’une de mes plus grandes fiertés, c’est la bande originale de Mysterious Skin. C’est vraiment un disque magnifique, et l’idée que ce disque n’existerait pas sans Mysterious Skin est tellement gratifiante. J’ai toujours adoré cette musique."
Gregg Araki, 2023


 


A écouter : "Neil's Theme", "Loitering", "Halloween"

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